Le 18 mai 2010, les ministres des Finances de l'Union européenne, réunis à Bruxelles, ont conclu un accord sur un texte visant à mieux encadrer les "hedge funds", et ce malgré les réticences des Britanniques qui ont longtemps bloqué ce dossier. Les ministres "se sont mis d'accord" sur une position pour "entamer des négociations avec le Parlement européen sur un projet de directive qui introduit des règles harmonisées dans l’UE pour les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs", ont-ils indiqué.
Londres, d'où sont gérés environ 70 % des fonds spéculatifs européens, n'a pas caché ses réticences ces derniers mois sur le sujet. Le précédent gouvernement du travailliste Gordon Brown avait obtenu lors du Conseil Ecofin de mars un report de la question dont il était initialement prévu que les ministres débattent en vue de trouver un compromis. La Présidence espagnole avait alors décidé d’ajourner le débat "afin d'avoir plus de temps pour obtenir le soutien le plus large possible".
A la lumière de la crise financière, l'Union européenne a entrepris de réguler pour la première fois l’activité des fonds alternatifs tels que les fonds spéculatifs ("hedge funds"), mais aussi ceux de capital-risque ou d'investissement. Peu transparents, ils gèrent quelque 2 000 milliards d'euros dans le monde et sont accusés d'encourager la spéculation via des prises de risque importantes pour obtenir les rendements les plus élevés possibles.
Le débat portait surtout sur le traitement des fonds se trouvant dans des pays en dehors de l'UE. Selon la position adoptée, en échange d'une plus grande transparence, les fonds installés hors d'Europe mais disposant d'un gestionnaire européen disposeraient de règles allégées, mais pas de laissez-passer global. Les ministres ne voulaient pas leur fournir un "passeport" leur permettant d'exercer dans n'importe quel pays européen à partir du moment où ils ont été autorisés dans l'un d'eux, contrairement à ce que demandait la Grande-Bretagne. Actuellement, les fonds domiciliés hors de l'UE doivent demander dans chaque pays une autorisation à l'autorité nationale de régulation.
En marge du Conseil, le ministre des Finances, Luc Frieden, a particulièrement salué l’attitude constructive des Britanniques, qui ont d'ailleurs obtenu l'engagement que les "préoccupations exprimées par certains Etats membres" soient "prises en compte" dans les négociations avec le Parlement européen. Dans le Tageblatt du 18 mai 2010, il a salué le compromis trouvé au sein du Conseil qui permet "davantage de surveillance et de transparence" des fonds spéculatifs et la prévention des risques y liés. Selon le ministre, le Luxembourg a toujours été d’avis qu’il ne fallait pas isoler un pays. "Le ministre britannique des Finances Georges Osborne s’est engagé pour les intérêts de son pays sans vouloir empêcher une solution européenne", a-t-il souligné. Pour Luc Frieden, il faut tenir compte des soucis britanniques et veiller à ce que chaque place financière puisse se développer.
Le 17 mai 2010, la commission des Affaires économiques (ECON) du Parlement européen a adopté en parallèle sa position sur les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs, en se montrant moins restrictive que les ministres des Finances de l’UE. Avec 33 voix pour, 11 voix contre et 3 abstentions, les députés ont opté en faveur de nouvelles règles pour les gestionnaires et les fonds domiciliés en dehors de l'UE, d'un système de proportionnalité permettant de réguler de manière moins rigoureuse les fonds les moins risqués et de règles sur les rémunérations et la vente à découvert. Ils ont aussi amélioré les règles sur la transparence et la réduction des risques.
Jean-Paul Gauzès, le rapporteur du texte au Parlement européen, a salué l’accord équilibré auquel sont parvenus les principaux groupes politiques. "Il s’agit de mettre en place une réglementation efficace qui assure une meilleure transparence des opérations financières et la meilleure sécurité possible dans la maîtrise des risques. Cette réglementation prend en compte les impératifs de l’industrie financière chaque fois qu’elle est au service du développement économique" a-t-il déclaré.
Selon la législation telle qu'amendée par la commission ECON, les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs (AIFM) dans les pays tiers devront être en conformité avec la directive afin de commercialiser les fonds dans l'UE. Les fonds de capital-investissement ou les fonds immobiliers doivent être moins régulés que les fonds alternatifs (hedge funds) et d'autres types de fond d'investissements alternatifs (AIF) seraient totalement exemptés. Les principaux changements introduits par les députés à la proposition de directive initiale de la Commission européenne visent à augmenter la protection des investisseurs et la transparence tout en réduisant la dimension potentiellement protectionniste des règles sur l'accès au marché de l'UE.
Contrairement à la position du Conseil Ecofin, le texte adopté par les parlementaires plaide en faveur d'un système où tous les gestionnaires de hedge funds, que ces derniers soient ou non basés en Europe, puissent obtenir un "passeport" leur permettant d'investir dans n'importe quel pays européen à partir du moment où ils ont été autorisés dans l'un d'eux et qu'ils s'engagent à respecter les règles en vigueur dans l'UE. Luc Frieden a déclaré dans ce contexte qu’une disposition pour les pays tiers ne doit pas permettre de contourner la législation de l’UE.
Des négociations devraient bientôt démarrer entre les députés et le Conseil, en amont du vote en première lecture en plénière, prévu pour juillet 2010.
A l’issue du vote au Parlement, l’eurodéputée Astrid Lulling (PPE), membre de la commission ECON, s’est montrée satisfaite de l’adoption du rapport Gauzès. Elle a déclaré dans le Luxemburger Wort du 18 mai 2010 qu’il est important pour le Luxembourg qu’il n’y ait pas de discriminations entre les fonds spéculatifs de l’UE et de pays tiers. Pour l’eurodéputée, un protectionnisme excessif limiterait la liberté d’investissement, mais un manque de réglementation des fonds spéculatifs dans les pays tiers pourrait nuire à la compétitivité de la place financière luxembourgeoise dans la mesure où il y aurait davantage de conditions régulatrices à remplir au sein de l’UE.
L’eurodéputé Robert Goebbels, rapporteur fictif pour son groupe parlementaire S&D de la proposition de directive sur les AIFM, a également salué l’adoption du rapport de Jean-Paul Gauzès. Il pense que ce résultat renforce la position du Parlement européen en vue des négociations avec le Conseil et la Commission. C’est d’ailleurs sur proposition de l’eurodéputé socialiste que le texte interdit la vente à découvert à nu, procédé consistant à vendre un actif qui n'est ni possédé, ni emprunté.
Robert Goebbels soutient par ailleurs la proposition du Parlement européen qui prévoit que les gestionnaires de fonds d'investissements alternatifs de pays tiers pourraient se soumettre volontairement aux critères de la directive pour opérer dans l'UE. "C’est inacceptable que les fonds domiciliés dans des pays tiers, qui sont en concurrence avec les fonds européens, soient soumis à d’autres règles que les fonds européens", a-t-il déclaré en ajoutant : "Qui commercialise ses fonds dans l’UE, doit le faire selon les règles européennes." Dans le Luxemburger Wort du 18 mai 2010, Robert Goebbels a par ailleurs souligné que le rapport Gauzès présente de nouvelles chances pour le Luxembourg dans la mesure où la transposition de la directive laisse des marges de manœuvre qui pourraient avoir des effets positifs sur l’attractivité du Grand-Duché.
Dans un communiqué publié le 19 mai 2010, le LSAP constate avec satisfaction que l'accord au Conseil Ecofin constitue "une première avancée concrète vers la régulation des marchés financiers internationaux". Les socialistes luxembourgeois se disent conscients du fait qu'un impôt sur les transactions ne pourra être introduit qu'au niveau européen et mettent en garde contre de trop grandes hésitations à ce niveau. Pour eux, des mesures fiscales ne devraient pas toucher les clients normaux des banques, mais "les acteurs qui spéculent sur les marchés et prennent ce faisant de gros risques."