Dans un entretien accordé à Stefan Ruhkamp et publié dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) du 18 septembre 2010, le président de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), Yves Mersch, décrit par la rédaction du quotidien allemand comme un "outsider dans la course à la présidence de la BCE", expose ses vues sur la situation dans la zone euro.
Pour Yves Mersch, il existe des moyens pour la zone euro d’échapper à un scénario à la japonaise marqué par une croissance très faible pendant de longues années. L’exemple des pays scandinaves montre à son avis l’importance du rétablissement d’un système financier sain. Une politique économique visant la stabilité lui semble par ailleurs une condition incontournable en vue d’une croissance durable, et c’est pour cette raison que des stratégies crédibles de sortie de l’actuelle politique fiscale expansive sont à ses yeux d’une importance capitale. La politique financière devrait aussi être plus fortement réglementée à l’avenir tandis que des réformes structurelles, notamment du marché de l’emploi, peuvent selon Yves Mersch aider à renforcer le potentiel de croissance.
Le président de la BCL, qui estime ne pas avoir à se mêler des négociations menées entre les entreprises allemandes et leurs partenaires sociaux, semble bien étranger à l’idée d’appeler les entreprises allemandes à réduire leur compétitivité. Comme il le rappelle, l’objectif de l’Union monétaire "n’a jamais été d’assurer la stabilité moyenne des monnaies participantes, mais bien celle des meilleures". Et au vu du pouvoir d’achat, cela semble réussi à Yves Mersch qui pense qu’il faut appliquer le même principe en matière de compétitivité. A ses yeux en effet, l’excellence est la vision qui fonde l’euro.
Et pour faire face aux difficultés qui peuvent naître du fait de n’avoir qu’un seul taux directeur pour l’ensemble de la zone euro, Yves Mersch est d’avis que la politique monétaire doit être flanquée d’un appareil réglementaire en mesure de prévenir, corriger, et le cas échéant, de sanctionner les déséquilibres fiscaux ou macro-économiques. Pour Yves Mersch, il en va surtout ici de la responsabilité des gouvernements nationaux.
La Grèce va-t-elle restructurer sa dette ? A cette question du journaliste allemand, la réponse du président de la BCL est claire : cette stratégie n’est pas souhaitable. En effet, la perte de confiance qui s’ensuivrait risquerait de frapper les autres Etats de la zone euro dont la situation budgétaire est tendue. Mais pour Yves Mersch, une telle restructuration de la dette serait de toute façon "inutile" pour les pays de la zone euro dans la mesure où les pays les plus en difficulté, Grèce comprise, ont réalisé "des progrès remarquables en matière de consolidation budgétaire et de réformes structurelles". Et même dans le cas de nouvelles tensions sur le marché obligataire, Yves Mersch rappelle qu’interviendrait alors la toute nouvelle Facilité de stabilité financière européenne (EFSF) (qui vient d’ailleurs d’être accréditée d’un triple A par les agences de notation Standard & Poor's, Moody's et Fitch n.d.l.r.). Il en conclut qu’une restructuration de la dette est donc hautement invraisemblable.
Les obligations d’Etat apparaissent dans la surveillance bancaire aussi "liquides"que de l’argent liquide, souligne le journaliste qui se demande si de telles règles ne favorisent pas l’endettement des Etats. Pour Yves Mersch, il est de ce fait d’autant plus important que l’Europe veille à ce que l’endettement des Etats reste modéré. "Un renforcement du pacte de stabilité et de croissance au sein de la zone euro est de ce fait incontournable", souligne Yves Mersch qui juge tout aussi impératif un accroissement de la surveillance du développement économique dans son ensemble tel que le prévoit la task force sur la gouvernance économique présidée par Herman Van Rompuy.
En ce qui concerne l’idée émise par certains pays de la zone euro d’un endettement commun, elle contredirait aux dires d’Yves Mersch le principe du benchmark (à savoir l’utilisation d’un emprunt d'État particulièrement liquide comme base de comparaison à l'ensemble du marché obligataire) et elle risquerait de diluer la responsabilité nécessaire à des finances publiques solides. Pour le président de la BCL, plutôt que de chercher des moyens innovants de contracter de nouvelles dettes, il conviendrait en effet mieux de remettre de l’ordre dans les finances…
Au vu de la situation de l’économie, dont Yves Mersch salue une reprise plus forte que prévu tout en soulignant les grandes incertitudes qui pèsent et le fait que les niveaux de production et de revenus restent bien plus bas qu’avant la crise, le président de la BCL estime que le niveau des taux d’intérêt actuel reste adapté.
Il note par ailleurs que le retrait des aides aux banques en termes de liquidité a déjà commencé, dans la mesure où les banques se portent mieux, depuis un moment. S’il insiste cependant sur le fait que le système financier reste fragile, et que cette sortie se poursuit donc avec prudence, à ses yeux, le temps des mesures non conventionnelles appartient clairement au passé.
Quant à l’achat par la BCE d’obligations "dont personne ne veut", à l’image d’une "bad bank" mise en avant par le journaliste, Yves Mersch concède que les banques centrales de l’eurosystème ont pris des risques pendant la crise financière, mais il souligne que c’était indispensable pour garantir la stabilité des marchés financiers et donc la capacité de fonctionnement de la politique monétaire. Il insiste par ailleurs sur les précautions prises en matière de contrôle des risques et enfin sur le fait que ces mesures sont limitées dans le temps.
Est-ce le moment pour la BCE de mettre fin à son programme d’achats au vu de la résistance des marchés ? Pour Yves Mersch, il est plausible que le marché apparaisse si résistant justement parce que les pays européens et la BCE ont fait preuve de détermination. S’il précise que les achats sont actuellement à un niveau des plus bas par rapport au printemps dernier, le président de la BCL met cependant en garde contre un retrait prématuré de ce programme par la BCE qui pourrait occasionner de nouvelles tensions. Même si le programme d’achats n’est bien entendu pas fait pour durer à tout jamais comme il ne manque pas de le préciser.