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Emploi et politique sociale
Le dialogue social au Luxembourg dans un contexte européen : une conférence du STATEC et du CEPS/INSTEAD
10-02-2011


Le dialogue social au Luxembourg, son histoire et la façon dont il est considéré de l’extérieur ont fait l’objet d’une conférence qui s’est tenue le 10 février 2011 au CCR Neumünster.

Nicolas Schmit : Le gouvernement économique et social de l’UE de demain devra miser sur la participation et le capital humain.

Le ministre du travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit, a fait le constat, dans son introduction, que le dialogue social était en panne, au Luxembourg comme ailleurs, car ce qui se passe au Luxembourg n’est pour lui que le reflet de ce qui se passe en général, notamment en Europe. "La crise nous laisse orphelins du dialogue social", a-t-il déclaré, toutLe ministre du Travail et de l'Emploi, Nicolas Schmit en insistant qu’il fallait comprendre les raisons de la panne afin de redémarrer le moteur et d’essayer de réorganiser la vie économique et sociale.

Ce qui se passe en général dans l’UE qui est sous le coup de la mondialisation n’inspire cependant pas trop de confiance au ministre. "Nous ne sommes pas entièrement maîtres de notre destin économique", a-t-il souligné, ce qui pose de grands problèmes pour trouver des solutions alors que l’économie subit les contraintes des marchés financiers.

L’autre contrainte, au Luxembourg surtout, est la situation financière de l’Etat, où un compromis est possible, quand un chèque est sur table et que la redistribution des sacrifices se fait de manière telle "qu’il n’y a pas de perdant évident". Ce qui fait que "sans chèque, le modèle social luxembourgeois se grippe", comme ce fut le cas fin 2010.

Le Luxembourg et l’UE ont besoin selon Nicolas Schmit d’une relance du dialogue social. La manière dont il est pratiqué avant les Conseils européens est "pour l’instant purement formaliste". Il est donc nécessaire de le revaloriser dans l’UE, sinon celle-ci "perdra le contact avec le citoyen qui ne suit pas toutes les idées technocratiques qui sont actuellement tablées". Ce n’est qu’ensuite que l’on pourra envisager de légiférer au niveau européen, contrairement à ce qui se passe actuellement.

Dans son intervention, Nicolas Schmit a insisté sur le fait que le dialogue social dans les entreprises devait changer de la même manière que celles-ci ont changé, passant d’un mode de production tayloriste à une économie de la connaissance qui exige un autre type de participation. Le gouvernement économique et social de l’UE de demain devra miser sur un modèle social qui tendra à faire participer tous les acteurs à la gestion économique, bref miser sur le capital humain.

Le modèle social change sous le coup des évolutions internationales

Le ministre Nicolas Schmit, Serge Allegrezza (STATEC), Franz Clement (CEPS/INSTEAD), Paul Zahlen (STATEC)Le directeur du STATEC, Serge Allegrezza, a souligné dans son intervention que le modèle social luxembourgeois était un modèle parmi d’autres qui ont cours dans l’UE. Mais tous ces modèles, qu’ils soient anglo-saxon, social-démocrate, continental ou méditerranéen, doivent affronter le double défi de l’individuation et de la décollectivisation d’une part, de la dérégulation et de l’incertitude d’autre part. Lui aussi a souligné la nécessité de miser sur le « management participatif » qui a l’avantage de stimuler les performances des entreprises qui y recourent.

Paul Zahlen, également du STATEC, s’est basé sur quelques caractéristiques du modèle social luxembourgeois – un "corporatisme compétitif" à croissance forte avec moins de prélèvements obligatoires et qui insiste plus sur la pauvreté que sur l’inégalité comme dans les modèles néolibéraux, une flexibilité du marché du travail assurée par la variable d’ajustement qu’est la dimension transfrontalière d’une partie du marché du travail, une forte protection de l’emploi comme dans le modèle continental – pour montrer la « modernité » du modèle luxembourgeois dans le contexte de l’UE et pour affirmer qu’il était "loin d’être en fin de parcours". Le chercheur s’est par contre inquiété du fait que les gouvernements évoquent de plus en plus souvent les contraintes économiques pour ne rien décider, et reprenant un concept de Jean-Claude Milner, il a mis en garde contre le "gouvernement des choses".

Adrien Thomas et Patrick Thill, du CEPS/INSTEAD, ont eux aussi mis en exergue le parallèle entre l’évolution du modèle social luxembourgeois et l’évolution internationale. La flexibilité et le revenu sont pour les deux chercheurs les grands points de discorde internationaux dans le dialogue social. La structure multinationale des entreprises importantes est aussi un défi pour le dialogue social dans les Etats membres de l’UE, puisque celles-ci peuvent avoir des stratégies qui ne s’insèrent plus dans un tel dialogue. Néanmoins, l’européanisation du dialogue social induit une discussion approfondie sur l’implication des salariés dans des mécanismes de cogestion, et elle intègre la dimension transnationale des décisions des entreprises. De même, les exigences de la compétitivité et l’exploitation des possibilités du marché intérieur implique une participation accrue des salariés. La législation communautaire sur la société européenne prévoit explicitement la "participation des salariés" au niveau de la surveillance et du développement des stratégies de l'entreprise. La façon dont les rapports sociaux ont pu évoluer avec cette législation n’a pas encore pu être évaluée.

Le dialogue social luxembourgeois dans un contexte européen

Frédéric Rey, du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM) à Paris, a abordé la question de la place du Luxembourg dans les relations professionnelles en Europe. Dans le cadre des typologies qui circulent, le Luxembourg est très proche d’un groupe de pays dits "centre-ouest", dont font partie la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Autriche. Le Luxembourg a un des taux de syndicalisation les plus élevés, en plus avec une tendance à la hausse, ce qui le distingue de la plupart des pays européens. Le taux d’implantation syndicale est très Jean-Michel Miller (Fond. de Dublin), Claude Wey, Frédéric Rey (CNAM)élevé, avec 50 à 60 %. La composition de la population syndiquée est majoritairement masculine et ouvrière, comme dans les pays du groupe dit "centre-ouest". Le taux de couverture conventionnelle est également important et décentralisé. Les conflits ouverts sont presqu’inexistants, mais le chercheur suppose que la conflictualité sociale se vit autrement. Le Luxembourg fait également partie des pays inclusifs qui ont des institutions nationales qui permettent d’amortir à travers le dialogue les chocs exogènes.

Jean-Michel Miller est un chercheur luxembourgeois qui travaille pour la Fondation de Dublin, dont l’objectif est l’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés en Europe. Il a essayé de faire la distinction, « pour que l’on sache de quoi on parle », entre les relations professionnelles, qui concernent l’ensemble des problèmes entre partenaires sociaux, les relations industrielles, qui concernent une branche économique, et le dialogue social comme concertation entre partenaires sociaux ou bien tripartite, ou bien au sein des comités techniques. Sa Fondation a établi un dictionnaire des relations industrielles pour qu’acteurs et observateurs puissent faire la part des choses. Cela est selon lui d’autant plus important que les acteurs du dialogue social sont souvent engagés dans une logique de rapports de force et recourent à des terminologies qui ont pour effet que l’on tourne à un certain point en rond.

Abordant la question de l’actuel contexte européen pour le dialogue social, Jean-Michel Miller a évoqué les 10 % de chômeurs dans l’UE, les 21 % de jeunes sans travail, une stratégie de Lisbonne axée sur l’emploi qui a échoué et une nouvelle stratégie, Europe 2020, qui la remplace, mais qui fait passer selon lui l’emploi à l’arrière-plan. En même temps, la mondialisation met en question le modèle social européen qui était jusque là basé sur une économie à croissance élevée, une réduction continue du temps de travail, des politiques actives sur le marché du travail, des systèmes sociaux performants et un dialogue social qui fonctionne. Reste que la dimension sociale de l’Europe est ancrée dans le traité de Lisbonne qui contient une clause sociale et qui mise aussi sur la subsidiarité dans le domaine social, comme elle est aussi ancrée dans la Charte des droits fondamentaux.

Avec l’élargissement, la scène syndicale a changé. Le nombre des syndiqués a augmenté dans 9 pays de l’UE. Dans les 12 nouveaux Etats membres, la discussion sociale reste difficile, bien que des fusions et des réorganisations s’effectuent du côté salariat et patronat. Il y a également une émergence de femmes dirigeantes, surtout du côté du patronat. Il y a des pays sans grèves, mais plus de grèves dans les 15 anciens Etats membres, et dans ceux-ci des secteurs comme la construction et les transports qui sont plus touchés que d’autres. Les effets du dialogue ont promu la formation des salariés, le maintien dans l’emploi des plus âgés, et des concepts de concepts-temps qui ont entraîné un nouveau type de flexibilité.

Pour Jean-Michel Miller, si les contextes du dialogue social restent surtout nationaux, les causes et surtout les effets sont européens. Plus il y a de dialogue social, plus la place des salariés s’avère forte, plus l’intérêt commun peut être mis en exergue. La coopération est aussi payante du point de vue économique. Mais une grande question reste ouverte : le dialogue social change-t-il les conditions de travail ? 

Les conclusions de Philippe Poirier

Ce fut à Philippe Poirier de l'Université du Luxembourg de tirer les conclusions, ce qu’il fit en extrapolant les cinq grandes questions qui semblaient avoir été soulevées par la conférence.

La première question concernait la définition de ce qu’est le dialogue social, puisque il y avait à l’évidence ici une compétition entre acteurs, chercheurs et politiques. Le dialogue social, est-il une concertation sociale qui a pour objectif la paix sociale et la compétitivité du pays ? Ou est-ce la cogestion économique et sociale ? Le modèle social luxembourgeois est-il propre au Luxembourg, même s’il a vécu dès le début du 20e siècle d’emprunts à d’autres systèmes allemands, autrichiens ou autres ? Il se déroule aussi à différents niveaux : au niveau des entreprises, de secteurs économiques, au niveau national, intragroupe mais de manière transfrontalière, ou au niveau du gouvernement.

La deuxième question touche aux transformations du dialogue social. Sert-il seulement pour régler une crise, ou sert-il aussi à accompagner la transformation du travail et du marché du travail ?

La troisième question touche les acteurs. Ce ne sont plus les mêmes que lors de la crise sidérurgique des années 70, quand la tripartite luxembourgeoise est née. Le Luxembourg est sujet à la nouvelle division internationale du travail et est entré dans la compétition entre les économies des Etats membres de l’UE. Le système de décision n’est plus clair du tout. Quel est le rôle au niveau des décisions du patronat, des syndicats, du gouvernement ? Et puis de quel patronat parle-t-on ? Des PME locales, ou des grandes firmes multinationales ? Qui participe en tant que salarié au dialogue dans la mesure où la majorité des salariés du secteur privé sont des frontaliers non-résidents ? Pour eux se posent des problèmes de participation, même si la loi est ouverte de ce côté-là. Les questions de mobilité des travailleurs comme leurs carrières de retraite se complexifient.

La quatrième question est celle de la fragmentation de l’organisation du travail, des rapports politiques, de la scène syndicale, du monde patronal et aussi entre Etats membres de l’UE, à travers la compétition entre législations. Le rapport entre espace public et règles négociées dans le secteur privé se pose également dans ce contexte.

La cinquième question part du taux de syndicalisation pour scruter d’autres moyens complémentaires pour que le dialogue social puisse être mené dans le nouveau contexte internationalisé. Les négociations dans les grands groupes mettent en évidence la faille des faibles relations entre syndicats des Etats membres de l’UE alors que la dimension européenne ou mondiale des grands groupes peut affaiblir les syndicats.

Y a-t-il en fin de compte un modèle social et un dialogue social européens ? Selon Philippe Poirier, qui reste perplexe à cet égard, il y a en tout cas dans le domaine social une complémentarité entre l’action des gouvernements des Etats membres de l’UE et l’action de l’UE d’un côté, et de l’autre côté, le dialogue social au Luxembourg est plus dépendant que jamais de l’économie mondiale.