Laurent Wauquiez, ministre chargé des Affaires européennes de la France, présenté par Jean-Claude Juncker comme "un des grands espoirs de la politique française", s’est entretenu le 13 avril 2011 avec le Premier ministre luxembourgeois, "une très grande figure européenne, tant morale que politique" aux yeux de son interlocuteur qui s’est dit résolument pro-européen. La rencontre s’est tenue à Luxembourg, en marge des Conseils Affaires générales et Affaires étrangères.
Les relations franco-allemandes ont tenu une place particulièrement importante dans le compte-rendu que les deux ministres ont fait d’un entretien qui portait sur les questions européennes. Jean-Claude Juncker a rappelé l’importance accordée par le Luxembourg au perfectionnement des relations entre France et Luxembourg tout en soulignant que le moteur franco-allemand devrait garder sa capacité d’impulsion, sans pour autant considérer les autres Etats membres comme de simples suiveurs sans opinion ni point de vue à faire valoir.
"Le Luxembourg est un partenaire stratégique pour la France", a souligné de son côté Laurent Wauquiez qui ne voit pas d’un bon œil l’idée d’une "diplomatie à l’échelle européenne construite sur le tête-à-tête franco-allemand" qui se ferait "sur un registre à la fois arrogant et oublieux des autres". "Il importe pour la France d’avoir une diplomatie européenne très ouverte", a au contraire plaidé le ministre français pour qui le Luxembourg joue dans ce contexte un rôle essentiel en termes d’entraînement, de point d’équilibre.
Au vu des nombreuses crises traversées par l’Europe ces derniers temps, Laurent Wauquiez et Jean-Claude Juncker ont partagé "leur vision d’une Europe post-crise". Selon le ministre français, il convient maintenant de ne pas ralentir le rythme, d’aller de l’avant. Laurent Wauquiez a souligné en effet les résultats concret obtenus, en insistant bien sur le fait que l’Europe post-crise ne saurait être la même que celle d’avant la crise.
Deux chantiers semblent particulièrement importants aux yeux de Laurent Wauquiez : la relance du marché intérieur, un projet porté par le commissaire Michel Barnier qui présentait justement le même jour les douze mesures prioritaires à mettre en œuvre, et le travail sur la convergence fiscale au sein de la zone euro. Laurent Wauquiez a insisté sur la nécessité d’articuler une vision économique, nécessaire au développement de l’élément structurant qu’est le marché intérieur, et un impératif politique porteur d’une vision de solidarité. Il n’a pas manqué de citer à ce titre la clause sociale qui oblige, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, à s’interroger sur l’impact social de toute décision économique.
Quant à la crise de l’endettement qui a frappé "certains Etats membres objectivement plus faibles", Jean-Claude Juncker a une fois de plus lancé un appel à être solidaires, tout en exigeant de ces Etats membres qu’ils fassent preuve de la solidité nécessaire.
Interrogé plus spécifiquement sur la crise traversée par le Portugal, qui est sur le point de se lancer dans les négociations sur un programme d’ajustement qui va conditionner l’aide financière que le pays obtiendra de la part de l’UE et du FMI, Jean-Claude Juncker a reconnu que la situation politique au Portugal était "précaire". Mais le président de l’Eurogroupe a redit avec quelle insistance il avait invité les différents partis politiques portugais à "s’adonner à l’ardeur exigeante de se mettre d’accord ensemble pour affronter les négociations qu’ils vont devoir mener avec la BCE, la Commission et le FMI". Les déclarations de Jean-Claude Juncker ont sonné comme une invitation aux partis portugais à «dévier leur regard de la campagne électorale » au nom de « l’honneur national ». Jean-Claude Juncker, qui s’est dit prêt à défendre la cause portugaise à la condition expresse que le Portugal fasse preuve d’une grande "solidité" à l’égard de ses partenaires européens, a rappelé aussi avoir insisté pour que "tout soit fait de façon à ce que les engagements pris soient honorés au lendemain des élections"..
Le dimanche 17 avril 2011, des élections législatives auront lieu en Finlande. Les sondages annoncent une montée des partis eurosceptiques et d’extrême droite. "Qu’y a-t-il à craindre ?", ont demandé des journalistes qui se demandent si la participation de la Finlande à l’aide financière octroyée au Portugal et l’augmentation de la capacité de prêt de l’EFSF qui est prévue ne pourraient pas être remises en question. "Dans l’Eurogroupe, nous ne traitons pas avec des gouvernements, mais avec des Etats", a répondu Jean-Claude Juncker qui rappelé qu’il y a continuité dans l’exercice du pouvoir public. "Tout gouvernement est tenu par les décisions qui ont été prises par un gouvernement antérieur", a-t-il poursuivi, soulignant que "jusque là, la Finlande s’est comportée dès le début de son adhésion à l’UE comme un pays fondateur, tout comme l’Irlande". Il a fait part de son souhait que ce pays ne devienne pas eurosceptique, mais reste euroréaliste. Et de compléter : "Je n’aime ni la droite pure et dure ni l’extrême droite. Ceux qui les écoutent finissent toujours par être leurs premières victimes."
La centrale nucléaire de Cattenom, "un problème historique" entre le Luxembourg et la France, selon le mot de Jean-Claude Juncker, a également été évoquée par lui et Laurent Wauquiez. Le Luxembourg voudrait que les tests de sécurité prévus en Europe soient menés à Cattenom avec une extrême rigueur. Si toutes les garanties ne sont pas données, elle devrait être fermée. Par ailleurs, le Luxembourg est opposé à ce que son activité soit prolongée au-delà des délais prévus.
Selon le ministre français, la sécurité nucléaire préoccupe également la France qui comprend les inquiétudes luxembourgeoises "surtout après l’émotion suscitée par l’incident de Fukushima". Elle s’engage à soumettre la centrale de Cattenom à un audit indépendant de la part de l’Autorité de sûreté nucléaire qui sera mené avec la plus grande rigueur et dont les résultats seront communiqués de manière transparente. Pour l’instant, il n’y a pas d’informations selon lesquelles la sécurité ne serait pas garantie, mais si les résultats de l’audit devaient être différents, "la France prendra les mesures qui s’imposent". Laurent Wauquiez a réaffirmé que la France soutient le recours à l’énergie nucléaire, mais ce soutien est assorti du plus haut niveau d’exigence en matière de sûreté nucléaire.
La mise en cause de Strasbourg en tant que siège accueillant les réunions plénières du Parlement européen du fait de la modification qu’a opérée début mars 2011 le Parlement européen dans son calendrier a conduit la France à préparer un recours devant la Cour de Justice de l’UE contre cette décision. "Le Luxembourg soutient la France dans sa démarche", a confirmé Jean-Claude Juncker. Pour le doyen des dirigeants européens, une telle décision relève, selon le traité, de la responsabilité des gouvernements, mais non pas du Parlement européen "qu’il faut écouter en la matière". Au-delà de l’argument juridique, la question de Strasbourg soulève des questions symboliques qui relèvent de l’histoire et de la mémoire européenne. "Strasbourg est un lieu de la réconciliation. Les jeunes parlementaires ne peuvent pas passer l’éponge sur l’histoire", a lancé le Premier ministre. "Auschwitz, Struthof, Hinzert ne sont pas non plus des lieux neutres. Sur Strasbourg, nous ne transigerons pas", a-t-il poursuivi.
Pour Laurent Wauquiez, l’amendement voté début mars au Parlement européen n’est pas conforme juridiquement au protocole VI du traité européen et porte aussi atteinte à la qualité du travail du Parlement européen. Le soutien du Luxembourg au recours de la France devant la CJUE qui sera déposé au cours du mois de mai 2011 est "un soutien fort".
Et si Luxembourg, lieu de réunion des Conseils en avril, juin et octobre, devait être le prochain siège contesté ? La réponse de Jean-Claude Juncker à cette question d’un journaliste fut courte : "Je ne suis pas inquiet, et pour le reste, je m’en fiche. Le droit est le droit. Je suis sûr que la France soutiendrait alors un recours du Luxembourg."