Albert Dess, député européen bavarois, porte-parole du PPE pour les questions agricoles, était l’hôte, le 1er avril 2011, de sa collègue luxembourgeoise, Astrid Lulling, qui avait invité le monde agricole à une réunion d’échanges sur la réforme de la PAC à Mersch.
Albert Dess est membre de la Commission de l'agriculture et du développement rural. Mais il est aussi, comme questions agricoles et budget sont très liés dans l’UE, vu le poids de la PAC qui absorbe plus de 40 % des ressources communautaires, membre de la Commission spéciale sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une Union européenne durable après 2013. Enfin, il est membre-suppléant à la Commission du commerce international, parce que les questions agricoles sont un sujet de plus en plus sensible à cause de l’OMC et du déficit commercial agricole croissant de l’Union. Bref, Astrid Lulling avait invité un personnage hautement stratégique et de surcroît auteur d’un tout récent projet de rapport sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) à l'horizon 2020, qui traite des volets alimentation, ressources naturelles et territoire pour relever les défis de l'avenir.
Pour Astrid Lulling, ce sont les propositions de réforme du commissaire Dacian Ciolos qui sont l’enjeu du débat. Celui-ci prône une nouvelle PAC qui s’articulerait autour de 2 piliers, l’un poursuivant des objectifs économiques, l’autre des objectifs de gestion du territoire, tout en poursuivant les trois objectifs de la sécurité alimentaire, d’une gestion durable des ressources naturelles et du développement équilibré des zones rurales dans l’UE. Pour Astrid Lulling, ces propositions mettraient le monde agricole au défi de résoudre la quadrature du cercle qui consisterait à être à la fois économiquement compétitif et "vert ".
Astrid Lulling a souligné le déficit commercial agricole croissant de l’Europe, 7 milliards en 2008, et qui atteint même 19 milliards avec les pays du Mercosur. Dans ce contexte, elle a souligné que l’agriculture européenne est soumise à des obligations environnementales et phytosanitaires très élevées alors que celles des pays tiers ne sont pas soumises à des normes de ce niveau d’exigence, ce qui les rend selon Astrid Lulling plus compétitives sur le marché mondial.
D’autre part, les aides directes, qui doivent être augmentées dans certains pays où elles sont très en dessous de la moyenne européenne, ne devraient pas être trop rabotées dans les anciens Etats membres ni être déclinées par un "flat rate" qui s’appliquerait de manière identique sur tout le territoire de l’UE, donc une même aide par hectare partout dans l'UE.
Le premier enjeu est selon Albert Dess la redistribution des aides directes communautaires. Les inégalités sont flagrantes. En Grèce, elles vont vers les 550 euros par hectare, en Lettonie, elles ne sont que de l’ordre de 78 euros. Au Luxembourg, elles tournent autour de 365 euros. La moyenne européenne est de 300 euros. Au 1er janvier 2014, aucune aide directe ne devrait plus être inférieure à deux tiers de la moyenne de l’UE. Vu que les surfaces concernées pour bénéficier d’une hausse des aides directes ne sont finalement pas très grandes, une telle redistribution ne devrait pas conduire pour les agriculteurs des autres pays à des diminutions substantielles des aides. Albert Dess pense à une diminution de l'ordre de 10 euros par hectare, dans un contexte où le budget européen n’est pas près d’augmenter, et où il risque même de diminuer. Ceci dit, de grands Etats endettés comme la France, qui craint de fâcher son monde agricole dans la perspective des élections présidentielles de 2012, et l’Allemagne, qui ne veut pas éponger des pertes dépassant 400 millions d’euros, ne veulent pas être confrontés à de nouvelles obligations financières lourdes.
Le deuxième enjeu est le "greening", l’écologisation (un néologisme dans le jargon communautaire) de l’agriculture. L’idée de la Commission est d’augmenter de 30 % toute aide directe, au sein du 1er ou du 2e pilier, si elle est liée à une mesure d’écologisation. Et ce n’est qu’ainsi que l’agriculteur peut arriver à ses 100 % d’aides possibles. Ayant traversé le Luxembourg pendant la matinée, Albert Dess s’est demandé si un pays comme le Luxembourg avait besoin d’une telle démarche. Dans d’autres pays, c’est une nécessité, de sorte qu’aller jusqu’à 2 % des surfaces agricoles soumises à des mesures d’écologisation dans certaines régions est généralement accepté là où il y a de grandes exploitations. Mais dans des agricultures de petites et moyennes exploitations, cela n’est pas nécessaire. Mais pourquoi alors priver l’agriculteur de l’intégralité de ses aides s’il écologise par le fait même de faire son travail.
Mais avant d’aborder la PAC, Albert Dess a commencé par situer l’UE dans le contexte mondial de la production agricole. Il se trouve qu’en 32 ans, la production de céréales n’a augmenté en UE que de 1 %, alors que celle de l’Amérique du Nord a augmenté de 41 % et celle de l’Asie de 97 %. La production de viande n’a augmenté que de 6 %, mais de 78 % en Amérique du Nord et de 387 % en Asie. Les oléagineux ont augmenté de 166 % dans l’UE, mais de 474 % en Amérique du Sud et de 385 % en Asie. Bref, et cela va de pair avec son déficit commercial agricole, l’Europe est sur le recul en ce qui concerne son indépendance alimentaire. Et le déplacement des marchés agricoles n’est pas positif pour l’environnement et la protection des animaux.
Selon Albert Dess, les aides directes découplées du 1er pilier de la nouvelle PAC ont plusieurs fonctions. Elles compensent les prestations que le marché n'a pas su suffisamment honorer au regard des normes sociales européennes particulièrement élevées et des prescriptions très sévères en termes d'environnement et de protection des animaux. Elles compensent aussi les effets du démantèlement progressif sous la coupe de l’OMC de la protection des marchés agricoles européens. Elles contribuent à la stabilisation du revenu des agriculteurs et protègent les entreprises contre certains risques. Pour Albert Dess, ce qui se pratique actuellement devrait être continué.
Le 2e pilier, ce sont pour Albert Dess les mesures de protection de l’environnement, la restructuration des petites entreprises, l’intégration des producteurs primaires dans la chaîne de valeur, le recours efficace aux ressources naturelles, à l’eau, aux énergies renouvelables, la biodiversité, les espaces verts, le recours au potentiel de croissance des espaces ruraux à travers la diversification, la création d’emplois et la lutte contre la pauvreté.
Albert Dess n’est pas opposé à l’écologisation, car elle comporte de grands avantages pour les agriculteurs, l’espace rural et l’environnement. Mais il faut une séparation claire entre ce qui relève du 1er et du 2e pilier, et surtout pas de charges administratives et de contrôle supplémentaires. D’où son refus personnel que l’écologisation soit transférée dans le 2e pilier. Il montre ainsi, avec un double exemple lombard et sud-tyrolien, que l’acteur lombard recevrait pour une mesure d’écologisation prise dans le cadre du 1er pilier 180 euros/ha, et son pair sud-tyrolien 15 euros/ha dans le cadre du 2e pilier.
Ceci dit, son rapport est plus orienté vers le compromis, puisqu’on y lit
Albert Dess refuse les idées de sanctions que la Commission propose d’infliger aux agriculteurs qui ne s’engageraient pas, et qui sont de 3 fois 30 % des aides, ce qui les annulerait tout simplement. L’écologisation doit relever du volontaire.
Autre aspect : le rapport d’Albert Dess préfère des mesures s’étalant sur 5 ans, selon lui plus efficaces et stables quand elles sont planifiées, qui assurent aussi une sécurité du revenu et impliquent moins de bureaucratie. Et dans cet esprit, il ne veut qu’un seul système de contrôle pour les 2 piliers.
L’avantage de ses propositions : elles sont plus faciles à mettre en œuvre ; elles n’impliquent pas la création d’un nouveau système de paiement, de contrôle et de sanctions ; elles donnent plus de flexibilité aux Etats membres et aux agriculteurs ; les mesures n’engagent les agriculteurs qu’aussi longtemps qu’il y a des moyens budgétaires disponibles ; elles renforcent la sécurité du revenu et réduisent la bureaucratie ; elles permettent la combinaison de plusieurs programmes environnementaux.
Frank Schmit, le directeur du Service d’économie rurale (SER), a ensuite exposé les positions luxembourgeoises.
Son constat : le rapport Dess va plus loin que la Commission, mais les moyens budgétaires pour la politique qu’il propose sont insuffisants. Alors que la Commission veut et que le rapport Dess accepte des paiements directs par exploitation et la rupture avec les valeurs de référence historiques et de chaque exploitation, et "demande, lors de la prochaine période de programmation, le passage à une prime locale, régionale ou nationale unique au titre des paiements découplés", le Luxembourg craint cette approche et aurait préféré que le passage à ce régime soit mieux aménagé en termes de transition. Le Luxembourg est en tout cas opposé à un taux unique, "flat-rate", et penche en faveur d’une approche qui tienne plus compte de l’histoire et des réalités socio-économiques. Il n’a pas encore de position fixe quant à un éventuel plafonnement des aides directes.
Le Luxembourg est également contre une sur-réglementation de l’attribution des moyens liés à l’écologisation. D’autre part, il faut donner, selon Frank Schmit, des marges de manœuvres aux Etats membres dans le cadre du 2e pilier et s’abstenir de fixer des taux maximaux de cofinancement. L’approche du "greening" doit se dérouler sous le signe de la subsidiarité, ce qui implique et n’exclut pas des contrôles efficaces des termes du cofinancement. Beaucoup dépend du maintien des aides pour les régions défavorisées dans le 1er pilier - le Luxembourg, sauf les arrondissements de Luxembourg et d’Esch et la région mosellane, est considéré comme une région défavorisée à cause notamment de la difficulté du milieu agricole de pouvoir verser des salaires compétitifs – car un passage vers le 2e pilier pourrait faire perdre aux agriculteurs luxembourgeois jusqu’à 100 millions d’aides. Finalement, Frank Schmit a trouvé que les propositions d’Albert Dess pour simplifier le contrôle des paiements étaient décidemment trop sommaires et qu’il fallait malgré tout des contrôles ex ante, et pas seulement ex post.
Le grand problème du Luxembourg, même s’il n’est pas directement lié au propos de l’eurodéputé, est la question du lait, dont l’agriculture luxembourgeoise dépend fortement, faute d’alternatives. Les agriculteurs luxembourgeois dépassent systématiquement les quotas et sont donc soumis à des super-taxes. Comme les Pays-Bas et l’Irlande, le Luxembourg voudrait arriver à un atterrissage en douceur.