Lors de la Journée de l’Europe à Nuremberg, le 4 mai 2011, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a prononcé un discours autour de la question d’une "Europe forte" comme "espoir pour un monde qui change".
Jean Asselborn a fait le constat que l’intégration européenne a vécu des moments plus heureux au cours des soixante dernières années. Mais, a-t-il rappelé, les crises font partie de l’apanage de l’Europe qui en est toujours sortie grandie et renforcée. Il a aussi pointé vers le fait que ces crises ont lieu en toute transparence et sont gérés avec des moyens politiques, ce qui n’a pas été la normalité en Europe. Tout comme la paix actuelle ne doit pas être considérée ni par ses partisans ni par ses détracteurs comme normale et irréversible, mais comme un mérite de l’intégration européenne.
L’ouverture des frontières, le marché intérieur, les normes écologiques sont des acquis qui font partie du quotidien des Européens. Mais pour Jean Asselborn, l’UE doit constamment se diriger vers de nouveaux objectifs et convaincre les jeunes générations de la nécessité d’une communauté de solidarité européenne. Dans la mesure où l’UE est "au fond une union économique", Jean Asselborn a abordé d’abord des questions économiques, comme l’UE, "géant économique", l’euro, pour passer à l’affaiblissement, voire à la faiblesse de l’idée d’intégration européenne. Il a ensuite consacré son intervention à la situation en Hongrie, à la politique étrangère de l’UE, au printemps arabe, au soutien de l’UE aux processus de démocratisation dans le monde.
Avec une part de 17,1 % au PIB mondial, l’UE dépasse la Chine avec ses 13,8 % et les Etats-Unis avec leurs 11,6 %. Mais les pays émergents représentent un défi auquel il faut répondre. Une politique financière stable est, dans un tel contexte, un atout essentiel. Mais c’est là aussi où le bât blesse selon le vice-premier ministre, puisque dans la zone euro, "la solidarité européenne a été durement éprouvée".
Les Etats membres de la zone euro doivent affronter une crise des dettes souveraines de certains des leurs qui "n’ont pas mené une politique budgétaire suffisamment sérieuse", comme s’exprime Jean Asselborn. Le Pacte de stabilité n’a pas été appliqué de manière satisfaisante. Des mécanismes de prévention communs et une politique économique faisaient défaut. Entretemps, l’idée qu’il faut partager droits et obligations communs quand on partage une monnaie commune a fait son chemin. Le pacte pour l’euro et le mécanisme de gestion de crises sont venus sanctionner ce processus. La Grèce s’est engagée en contrepartie des aides accordées dans un programme d’austérité budgétaire et de privatisations. Le Portugal sera obligé d’emprunter un chemin analogue après les élections du 5 juin.
Tout cela doit être fait parce que, selon Jean Asselborn, qui a ici "bien pesé ses mots devant un très estimé public allemand", "la solidarité au sein de l’UE nous interdit d’un point de vue politique et éthique toute forme d’exclusion de la zone euro". D’autre part, il est convaincu que la question des euro-obligations refera surface et qu’elles seront en fin de compte acceptées comme "l’instrument le plus efficace de la stabilité et de la crédibilité de l’euro", y compris en Allemagne, le champion mondial de l’exportation, mais qui a aussi enfreint six fois le pacte de stabilité dont elle réclame le renforcement, et dont 60 % des exportations vont vers des pays de l’UE protégée des risques liés au change. Cela pour rappeler qu’au-delà des angoisses de devoir trop payer, "la solidarité n’est pas à sens unique".
Plus que la crise des dettes souveraines, Jean Asselborn ressent l’affaiblissement de l’idée d’intégration européenne comme "le plus grand danger" que court l’UE. C’est le réflexe de percevoir l’UE plus comme une charge que comme une organisation régionale à succès qui fait problème.
Le traité de Lisbonne, c’est pour Jean Asselborn plus d’intégration, plus de méthode communautaire. Or, depuis que le nouveau traité européen est entré en vigueur, c’est l’intergouvernemental qui prime : Deauville pour la crise dans la zone euro, Rome pour l’espace Schengen. Les dirigeants des grands pays donnent le ton, battent la mesure. Pour Jean Asselborn, cela est contraire aux fondements de l’Europe depuis les traités de Rome, à l’idée de l’UE comme communauté solidaire. Tout comme sont contraires à cet esprit le manque de culture européenne de nombreux nouveaux dirigeants européens et la "renaissance rampante des idées nationalistes". Sont visés par Jean Asselborn Geert Wilders, "éminence grise du nouveau gouvernement néerlandais", qui "prône la haine contre l’islam", les Vrais Finnois, grands vainqueurs aux dernières élections dans leur pays, qui présentent les Européens méridionaux comme des "paresseux", ou encore les extrêmes-droites française et autrichienne qui misent sur la xénophobie et qui caracolent en tête des sondages.
L’évolution de la Hongrie inquiète encore plus Jean Asselborn. Son parti gouvernemental a fait passer une loi sur les médias qui "est contraire à la législation européenne, parce qu’elle ne respecte pas un principe de base de l’Etat moderne européen, celui d’une presse indépendante et libre". La nouvelle Constitution hongroise "est un pas supplémentaire vers l’instauration d’un régime autoritaire". Son préambule érige "des valeurs réactionnaires en normes légales de la nouvelle Hongrie" et constitue "une idéalisation romantique de l’identité nationale" pleine de dangers. Cela dans un contexte où des milices d’extrême-droite sèment la terreur dans des localités peuplées par des Roms. La Hongrie ayant la présidence tournante du Conseil, cela cadre mal pour le chef de la diplomatie luxembourgeoise avec l’image d’une UE qui est très exigeante en matière de droits fondamentaux à l’égard de ses partenaires et nuit à la crédibilité de l’Europe.
La chute des régimes de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte constituent pour Jean Asselborn de grands défis pour la politique étrangère de l’UE qui doit adapter ses outils, si elle veut l’influer, à la nouvelle situation qui ne manquera pas d’évoluer.
Le cas de la Libye montre selon Jean Asselborn que le "soft power" ne suffit pas pour faire face. Le recours à la force sous l’égide de l’ONU pour protéger la population civile contre les exactions du régime de Kadhafi "était la seule décision juste". En même temps, le cas de la Libye a montré "qu’il n’est malheureusement pas toujours possible d’arriver à des positions concordantes au sein de l’UE", comme l’a montré l’abstention de l’Allemagne au Conseil de sécurité. D’ores et déjà, il faut préparer la paix dans ce pays, où l’Allemagne resserrera les rangs avec ses partenaires.
Jean Asselborn a ensuite exposé la nouvelle approche de l’UE par rapport aux processus de démocratisation chez ses partenaires dans les pays tiers. L’UE aide à préparer et à observer des élections. Elle essaie de veiller à ce que ces processus aient une vraie légitimité auprès des populations. Pour cela, il faut engager des médiations et des dialogues entre différents groupes politiques quand les pays sont en période de transition. Une aide dans cette direction a été proposée au Yémen, à la Tunisie et à l’Egypte par la Haute représentante, Catherine Ashton dans le cadre d’un paquet sur le "partenariat pour la démocratie et la prospérité commune". L’UE dispose d’un instrument de stabilisation qui permet de dégager rapidement des moyens et pour aider des pays en crise à procéder à des réformes dans les domaines de la sécurité, de la réintégration de combattants ou la reconstruction d’infrastructures.
En parallèle, l’UE a commencé à mettre en place un réseau de représentations intégrées qui incluent la Commission, le Conseil et des fonctionnaires d’Etats membres. Un projet-pilote d’une telle représentation auprès de l’Union africaine a montré entretemps son utilité et permis à l’UE d’avoir une vue plus cohérente des aspirations sur ce continent. Le budget de la politique étrangère de l’UE est de 6,2 milliards d’euros, 5 % du budget global de l’UE. "C’est relativement peu", remarque le ministre.
Jean Asselborn a conclu son discours par un plaidoyer pour une cohésion renforcée de l’UE dans un monde où la nervosité augmente. Il a regretté dans ce contexte que des partis eurosceptiques soient arrivés au pouvoir dans certains Etats membres, car "ce sera de plus en plus difficile d’arriver à un consensus". Or, "la désunion sur des questions importantes risque de tirer l’Union vers le bas".
La montée de l’euroscepticisme ne diminue pas la justification de l’existence de l’UE. Pour Jean Asselborn, les eurosceptiques exploitent la tension entre ce qui se passe au niveau global et ce à quoi les citoyens aspirent au niveau local en faisant de l’UE le bouc émissaire de leurs peurs. Mais la commune, l’Etat national, peuvent-ils être à eux seuls l’ancre ou la référence unique ? Pour Jean Asselborn, même l’Allemagne ou la France, même les Etats-Unis ne peuvent apporter seuls des solutions à des problèmes globaux.
Dans ce sens, l’UE comme ancre et référence est une option "plus réaliste". Créer de nouvelles frontières, opposer Européens du Nord et du Sud, ou les chrétiens aux musulmans, ce serait "montrer que nous n’avons rien appris des soixante dernières années de notre histoire". Dans ce sens, "une Europe forte n’est pas une Europe sans faiblesses, mais une Europe qui arrive à dépasser ses faiblesses".