Les ministres des Finances de la zone euro ont tenu le 8 juin 2011 une conférence téléphonique pour faire le point sur le rapport d’évaluation livré par la troïka à la suite de sa mission en Grèce. Selon un communiqué diffusé par son président, Jean-Claude Juncker, l’Eurogroupe salue l’accord trouvé avec les autorités grecques sur la mise en place d’un paquet de mesures économiques et budgétaires visant à atteindre les objectifs du programme.
"Nous reconnaissons les progrès significatifs réalisés jusqu'ici par les autorités grecques, en particulier concernant la consolidation budgétaire, bien qu'un regain d'efforts budgétaires et des réformes structurelles plus larges restent nécessaires", indique ainsi le communiqué, faisant un écho évident aux conclusions de la mission d’évaluation qui avaient été présentées le 3 juin 2011. Les ministres saluent aussi l’engagement du gouvernement grec au sujet de son programme de privatisation.
Le communiqué renouvelle l’appel adressé aux différentes forces politiques grecques à s’entendre sur les objectifs et les principaux paramètres du programme présenté par le gouvernement grec. Un message que Jean-Claude Juncker et Olli Rehn n’avaient eu de cesse de faire passer lors de leur échange de vues avec les eurodéputés de la commission ECON le 6 juin dernier.
Le communiqué évoque ensuite de façon plutôt lapidaire le fait que les ministres ont eu "un premier échange de vues sur les modalités de financement du programme d’ajustement grec".
Cette question des modalités de financement du programme d’ajustement, qui conditionne le versement à la Grèce de la cinquième tranche du plan d’aide qui lui a été octroyé en mai 2010, apparaît cependant comme un sujet sensible, et ce d’autant plus que l’enjeu est de taille au vu des incertitudes qui pèsent sur les marchés. L’aide supplémentaire dont pourrait avoir besoin la Grèce pourrait atteindre, selon les sources, entre 60 et 90 milliards d’euros, ce dernier montant apparaissant de plus en plus souvent.
Il semblerait qu’un tiers environ du financement nécessaire pourrait provenir de recettes de privatisations grecques, un tiers de prêts des Européens et du FMI, et le reste d'une participation des créanciers privés de la Grèce. Ce dernier point est un sujet sur lequel insiste notamment l’Allemagne, les modalités de cette participation faisant cependant l’objet de discussions.
Alors que l’échéance pour arriver à un accord est fixée dans moins de deux semaines, avec un dîner des ministres des Finances prévu le 14 juin, et une réunion qui aura lieu à Luxembourg le 20 juin, juste avant le Conseil européen des 23 et 24 juin, deux grandes options semblent se dégager.
L’Allemagne voudrait voir ré-échelonnés les remboursements de la dette grecque détenue par des banques privées, tandis que la Commission européenne, la BCE et la France semblent privilégier la piste d'un renouvellement volontaire de leurs prêts à la Grèce quand ils arriveront à échéance.
Dans un courrier daté du 6 juin 2011 et dont la presse a eu connaissance le 8 juin 2011, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, plaidait pour un rééchelonnement du remboursement de la dette grecque détenue par les banques privées. Il évoquait ainsi dans cette lettre adressée à ses homologues de la zone euro "un allongement de sept ans de la maturité des obligations d'Etat grecques en circulation".
Cette participation des banques et fonds d'investissement, que défend vivement l’Allemagne, devrait permettre, selon une formule du porte-parole du Ministère des Finances, Martin Kreienbaum, "une répartition équitable du fardeau entre le contribuable et les investisseurs". Les exigences de Wolfgang Schäuble ont d’ailleurs été défendues par la chancelière Angela Merkel, alors que le débat est vif en Allemagne sur les conditions à fixer pour l’octroi d’une nouvelle aide à la Grèce
Selon Wolfgang Schäuble, le rééchelonnement de la dette grecque doit être assez long pour "donner à la Grèce le temps de mettre en œuvre pleinement les réformes nécessaires et de regagner la confiance du marché". Le ministre revendique une contribution "substantielle" des détenteurs de titres grecs, qui pourrait se faire par un échange des obligations détenues par les créanciers contre des obligations dont la maturité serait rallongée de sept ans. Un échange qui se ferait sur une base volontaire selon l’idée du ministre allemand.
Dans leur édition datée du 9 juin 2011, Les Echos affirment que les banques allemandes ne seraient pas opposées à cette option, qualifiée par certains de "forme douce de restructuration", et le quotidien financier ajoute que la veille, "l’entourage de Jean-Claude Juncker affirmait que cette solution emportait l’adhésion de la quasi-unanimité des pays de la zone euro". Les Pays-Bas, la Finlande, l’Autriche, la Slovaquie et le Luxembourg soutiendraient, selon le journal, cette position.
Le risque de cette option, qui est certes pénalisante pour les créanciers, est que les agences de notation ne l’interprètent comme un défaut de paiement de la part de la Grèce, ce qui ne serait pas sans conséquences, on peut aisément l’imaginer.
Face à cette position, la BCE, la Commission et certains autres pays, dont notamment la France, disent s’opposer à toute forme de restructuration de la dette, et se prononceraient plutôt pour l’option d'un "roll-over", qui consisterait à inviter les banques privées à s’engager, toujours sur une base volontaire, à renouveler leurs prêts à la Grèce quand ils arriveront à échéance. Ce scénario du "roll-over" a pour modèle "l'initiative de Vienne" qui avait vu les banques autrichiennes maintenir leurs engagements en Roumanie puis en Hongrie et en Lettonie en 2009. Les Echos indiquent que l’Espagne et l’Italie seraient aussi favorables à cette option.
Du côté des banques, le Crédit Agricole, dont l'exposition directe à la dette de la Grèce atteignait 631 millions d'euros à la fin mars 2011, serait favorable à cette option. "Nous pourrions être favorables à un roll-over, un renouvellement des titres de dette arrivés à maturité, solution envisagée dans le cadre de l'initiative de Vienne, à condition que tous les acteurs privés détenant ces titres soient impliqués dans l'opération et pas seulement les banques", a ainsi déclaré le 8 juin 2011 Jean-Paul Chifflet, directeur général de la banque.
Une option comme un "hair cut", qui consisterait à réduire le montant remboursé de la dette, est en revanche écartée avec vigueur par tous les protagonistes. Jean-Claude Juncker a rejeté l’idée le 6 juin devant le Parlement européen, tandis que Mario Draghi, qui devrait assurer la présidence de la BCE à compter d’octobre 2011, a lui aussi fermement rejeté cette option. Interrogé sur la réaction qu'aurait la BCE si un gouvernement de la zone euro était contraint à ne rembourser qu'une partie de ses obligations et pratiquait un "haircut" (décote), Mario Draghi a répondu aux eurodéputés qu’une "restructuration de dette est une option dont les coûts dépasseraient les bénéfices", et qu’elle induirait "de graves risques financiers et macroéconomiques".