Le commissaire en charge des Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, et le président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, étaient invités le lundi 3 juin 2011 à venir débattre au Parlement européen de la réponse de l’UE à la crise. Un échange de vues qui s’est fait avec les eurodéputés de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON).
Pour Olli Rehn, cette discussion ne tombait on ne peut mieux, car nous nous trouvons selon lui dans une période cruciale : une série de décisions importantes doivent en effet être prises durant le mois de juin, concernant la Grèce d’une part, mais aussi pour ce qui est d’achever les modifications au traité nécessaire pour mettre en place l’ESM, ou encore pour augmenter la capacité financière de l’EFSF. C’est sans compter le paquet législatif sur la gouvernance économique qui doit faire l’objet de discussions entre Conseil et Parlement européen dans le cadre d’une série de trilogues. En bref, pour Olli Rehn, les semaines qui viennent vont devoir marquer le début de la fin de la crise, et il va donc falloir être audacieux pour prendre les décisions difficiles qui s’imposent. Car il est trop tôt encore pour crier victoire.
Un des enjeux est en effet à ses yeux la crédibilité de la réponse qu’apporteront les institutions de l’UE. Un sentiment partagé au sein de la commission ECON, la façon de communiquer la réponse apportée à la crise ayant été un des grands sujets du débat.
C’est d’ailleurs par là que Jean-Claude Juncker a commencé son propos, reconnaissant que s’il avait un reproche à se faire, ce serait de ne pas avoir su "discuter et communiquer d’une façon ordonnée, structurée, organisée" des divergences existant dans une zone euro qui n’est pas "une zone monétaire optimale". Résultat, la communication n’a pas été optimale non plus, comme en a témoigné le fait que l’Eurogroupe, qui n’est "pas doté d’un véritable mandat pour expliquer devant l’opinion publique européenne le contenu intime de ses débats", a vu venir un certain nombre de problèmes, en a discuté, mais sans le communiquer.
Jean-Claude Juncker espère que l’entrée en vigueur des nouveaux textes du paquet gouvernance, qui se concentrent sur les déséquilibres et les divergences, permettra à l’avenir "de dire les choses comme elles sont".
Du côté des eurodéputés, ces interrogations sur la crédibilité de la réponse de l’UE à la crise, notamment vis-à-vis des marchés, n’ont pas manqué de trouver un écho certain.
S’il a relevé que la question de la gouvernance économique relevait de l’Ecofin, et non de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker s’est dit, en tant que Premier ministre luxembourgeois "très satisfait" des travaux menés jusqu’à ce jour par le Parlement européen. Selon lui, ce dernier maintient en effet les ambitions à la hauteur de celles de la Commission, que les Etats membres n’ont pas su maintenir. "Parmi les gouvernements, certains sont très proches des propositions faites par la Commission et des esquisses de rapports produits par le Parlement européen", a ainsi lancé Jean-Claude Juncker aux rapporteurs présents dans la salle.
Comme l’a fait remarquer l’assistance, l’accord entre Parlement et Conseil sur le dossier dépendra beaucoup de la position du Conseil. Olli Rehn a rappelé qu’une série de trilogues était prévue sur ce point, dont les premiers résultats devraient ressortir dans les jours à venir. Le commissaire a fait état de nombreuses questions restant en suspens, certaines étant d’ordre technique, d’autres étant politiques. Son espoir ? Arriver à des progrès sur les questions politiques dès le lendemain pour pouvoir espérer ensuite avoir le temps d’avancer sur les points plus techniques.
Quant à l’idée émise le 3 juin 2011 par le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, à Aix-la-Chapelle, où il s’est vu remettre le prix Charlemagne, de créer un poste de ministre européen des Finances, Jean-Claude Juncker a jugé sur le principe que ce serait "une bonne idée", mais qu’elle mériterait "une articulation plus méticuleuse". Le président de l’Eurogroupe se dit en effet partisan d’un renforcement des institutions, mais il a aussi insisté sur les questions que soulèverait un tel changement qui impliquerait une modification des traités, qui risquerait de froisser des parlements nationaux attachés à leur pouvoir budgétaire. Et puis, a souligné le président de l’Eurogroupe, on voit déjà les difficultés qu’il y a dans certains pays à accepter des injonctions en matière de consolidation budgétaire venant de la Commission…
De façon plus générale, les discussions ont porté sur les difficultés d’une zone euro dans laquelle on voit, comme l’a relevé l’eurodéputée Sylvie Goulard, d’un côté 17 Etats membres, et de l’autre une monnaie unique. Pour elle, et ni Jean-Claude Juncker ni Olli Rehn ne l’ont contredite, l’avenir, c’est le choix de la monnaie unique. C’est donc la nécessité de plus de convergence entre ces 17 gouvernements qui, s’ils semblent l’oublier parfois, ont déjà décidé de partager leur souveraineté. L’eurodéputée a plaidé pour un nouveau dialogue, appelant à ce que les ministres nationaux viennent défendre leur point de vue devant le Parlement européen.
Pour Jean-Claude Juncker, faire partie de l’UEM, c’est gérer collectivement une monnaie unique et cela nécessite à la fois une identité d’analyse et une même ligne d’actions de la part de ses Etats membres. Jean-Claude Juncker, partisan d’un gouvernement économique bien avant l’heure, a d’ailleurs mis en garde contre les différentes interprétations que revêt cette expression selon les interlocuteurs. Pour Olli Rehn, le paquet qui est sur la table vise justement à répondre en partie aux faiblesses systémiques d’une zone monétaire constituée de 17 économies nationales. Il s’est dit par ailleurs certain qu’un compromis ambitieux est possible pour que le Parlement européen puisse inviter un ministre d’un Etat membre.
"Je ne me fais que très peu de souci au sujet de l’Irlande et du Portugal", a déclaré Jean-Claude Juncker aux eurodéputés, constatant que ces deux pays sont "sur une avenue qui mérite applaudissements et encouragements". Dans ces deux pays, les responsables politiques ont, indépendamment des résultats des élections portugaises, "une approche européenne et nationale convenable" selon le président de l’Eurogroupe qui a émis le souhait qu’une telle démarche s’impose en Grèce.
"Nous n’arriverons pas à bon port si dans la société politique grecque le consensus entre les différentes forces ne s’établit pas", craint en effet Jean-Claude Juncker qui considère qu’un accord sans trop de nuances des principaux acteurs politiques sur les objectifs du programme en train d’être mis en œuvre représenterait un signal qu’il conviendrait de ne pas sous-estimer.
Le président de l’Eurogroupe s’est dit "optimiste néanmoins" dans le cas grec. Son objectif est en effet d’arriver à ce que l’Eurogroupe et l’UE aient trouvé d’ici la fin du mois de juin "une solution d’ensemble".
En guise de rappel, Jean-Claude Juncker a une fois de plus exclu "deux solutions trop faciles pour être acceptables", et dont il n’a d’ailleurs "jamais été question" : une sortie de la Grèce de la zone euro serait "une impasse absolue, un crime à l’égard du peuple grec qui mérite mieux que le dédain et le mépris", tandis qu’il n’est pas question non plus de restructuration globale et totale de la dette grecque.
Au vu des conclusions livrées par la troïka le 3 juin 2011, et sans avoir pu encore prendre connaissance du rapport complet des experts de la Commission, de la BCE et du FMI, Jean-Claude Juncker a fait part de son impression que le gouvernement grec est en train d’atteindre les objectifs budgétaires qu’il s’était fixés pour 2011. Comme l’a souligné Olli Rehn, les progrès relevés par la troïka en matière de consolidation budgétaire sont importants : le déficit budgétaire a en effet été réduit de 7 % en termes nets, une réussite qui vaut au gouvernement grec tout son respect.
Certes, cela n’ira pas sans efforts rigoureux et de taille pour le 2e semestre. En matière de privatisations, Jean-Claude Juncker qui s’est dit une fois encore ne pas être un ami forcené de cette solution, juge que dans le cas grec, plus il y aura de privatisations, moins de sacrifices seront imposés aux plus modestes des Grecs.
L’eurodéputé socialiste Udo Bullmann s’est inquiété des mesures qui seront prises pour aider les pays qui bénéficient de l’aide financière à retrouver le chemin de la croissance alors que nombre des mesures prises ont tendance à les plonger dans la récession. Sur ce point, Jean-Claude Juncker, s’est dit très préoccupé, bien qu’il assure qu’il n’y pas d’alternative aux programmes mis sur pied. "Je suis pour des réformes qui porteront à la croissance", a lancé Jean-Claude Juncker qui considère que les réformes structurelles prévues dans le cadre des programmes conditionnant l’aide financière à ces pays est justement de libérer leur potentiel de croissance. Et Olli Rehn n’a pas manqué de citer pour exemples, dans le cas grec, les réformes prévues pour ouvrir des professions fermées, ou encore la réforme du marché du travail qui a pour objectif d’encourager un plus fort taux d’emploi.
"Il ne peut y avoir de croissance sans consolidation des finances publiques", a renchéri un peu plus tard le président de l’Eurogroupe qui a souligné qu’il revenait aux autorités nationales de répartir l’effort, lequel n’est, il en convient, pas toujours équitablement réparti.
Les négociations en cours au sujet de la Grèce sont, aux dires de Jean-Claude Juncker, "ardues et ardentes". Certains gouvernements pensent par exemple ne pas pouvoir convaincre leur parlement et leurs opinions s’il n’y a pas d’implication du secteur privé dans la solution à la crise grecque, un point avancé par Jean-Claude Juncker dès le 3 juin 2011 à l’issue de son entretien avec le Premier ministre grec.
Du point de vue d’Olli Rehn, "la situation est grave", la Grèce se trouvant à "un carrefour critique". Pour le commissaire, les discussions sur les modalités de financement, les réformes économiques et les politiques de réajustement devront être menées à bien avant le 20 juin. Sans cela, a-t-il prévenu, la Grèce ne serait pas en mesure de respecter ses engagements financiers.
Le commissaire s’est dit préoccupé par les divergences qu’il constate dans les débats nationaux des différents Etats membres. Alors que les pays du Sud semblent exprimer une lassitude certaine à l’égard des réformes que leurs gouvernements doivent conduire, le commissaire observe aussi une lassitude de la part des autres pays à l’idée de les soutenir… "Nous sommes tous dans le même bateau, c’est ensemble qu’on sortira de cette situation", a donc lancé Olli Rehn. Il a confié que son travail, qui consiste à convaincre les ministres des Etats qui vont prêter de l’argent à la Grèce, n’était pas toujours facile. Et dans ce contexte, la demande faite aux principaux partis politiques grecs de trouver un accord apparaît particulièrement importante. "Si c’est possible en Irlande, au Portugal, pourquoi cela ne le serait pas en Grèce ?", a conclu le commissaire sur ce point.
"Que dire aux Grecs ?", s’est demandé en fin de compte Jean-Claude Juncker en réponse à des eurodéputés qui jugent pour certains que la Grèce est un malade dans le coma à qui l’on demande de faire de la gymnastique pour s’en sortir. Ce que le président de l’Eurogroupe dirait au peuple grec, c’est que "l’Europe ne va pas se désolidariser de la Grèce, mais que cette nation fière, héroïque doit montrer qu’il y a un consensus sur les objectifs entre les deux grands partis". Il s’agit là selon lui d’une nécessité vitale pour pouvoir agir.