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Economie, finances et monnaie
"En Europe, nous avons les instruments de nos ambitions mais pas l'ambition de nos instruments", déclare Jean-Claude Juncker dans un entretien au quotidien belge Le Soir
03-09-2011


Dans un entretien accordé à la journaliste Béatrice Delvaux et publié le 3 septembre 2011 dans le quotidien belge Le Soir, Jean-Claude Juncker revient en détail sur sa conception d’un pilotage économique de la zone euro, un pilotage qui s’appuie sur nombre de mesures déjà prises ou en voie de l’être.Le Soir

Premier rappel du Premier ministre luxembourgeois, "la traduction dans les faits" des décisions prises par les chefs d’Etat et de gouvernement le 21 juillet 2011 "demande du temps". "Il y a beaucoup de questions techniques, voire même politiques, que le Conseil ne peut résoudre seul et d'un coup", explique en effet le président de l’Eurogroupe, chiffres à l’appui : "la zone euro comprend 17 gouvernements, parlements, opinions publiques, 60 partis politiques et il y a le Parlement européen". En bref, "la démocratie demande du temps".

Un "pilotage économique qui repose sur des règles, fortes et strictes", ce qui commence par le respect et le renforcement du pacte de stabilité

"La zone euro n’est pas une zone monétaire idéale", poursuit le président de l’Eurogroupe qui souligne qu’il existe des disparités qui se sont accrues. L’Union européenne, la Commission ne sont pas des Etats centraux, la décision repose sur plusieurs épaules, constate-t-il avant de proposer de "remplacer cet Etat central, ce gouvernement inexistant, par un pilotage économique qui repose sur des règles, fortes et strictes".

Nouveau rappel de Jean-Claude Juncker, "ce corps de règles est constitué par le pacte de croissance et stabilité". Il plaide donc une fois de plus, afin de pouvoir "exercer une action plus vigoureuse et plus compréhensible", pour un retour au "strict respect du pacte de croissance et de stabilité", mais aussi pour son renforcement par un accroissement des sanctions à l’égard des pays qui l’enfreignent.

"Il faut des sanctions immédiates", lance le président de l’Eurogroupe, lançant un appel à peine déguisé à "ceux qui ne cessent, à raison, de réclamer la transposition immédiate des décisions du 21 juillet" à faire preuve "d'une réelle volonté de parvenir à ces fins". En clair, précise Jean-Claude Juncker à la demande de la journaliste du Soir : "La France et d'autres pays membres doivent faire un grand pas en direction du Parlement européen pour le pacte de croissance et de stabilité". Les négociations sur le paquet gouvernance économique que mènent actuellement Parlement européen et Conseil achoppent en effet encore sur la question du degré d’automaticité des sanctions.

Un pilotage auquel participent le Conseil européen, qui donne les impulsions stratégiques sur l'euro, et l'Eurogroupe, qui assure son travail de suivi continu, une fois par mois

"Qui dirige l'Europe aujourd'hui ?", s’enquiert la journaliste, reprenant les termes de Guy Verhofstadt qui évoque le "Merkozy", le tandem Merkel-Sarkozy. Jean-Claude Juncker, qui se veut serein, explique qu’Herman Van Rompuy, président permanent du Conseil de l’UE, "homme intelligent et ami de trente ans" avec lequel Jean-Claude Juncker se dit en accord sur l'essentiel, "s'acquitte de sa tâche avec élégance et détermination".

Quant au duo franco-allemand, Jean-Claude Juncker estime que "lorsqu'il ne fonctionne pas, cela pose à 1'Europe d'énormes problèmes". "Lorsqu'il fonctionne d'une manière qui laisse croire qu'il est le moteur unique et suffisant de l'Europe, cela produit de mauvais résultats", ajoute-t-il, appelant la France et l'Allemagne à "faire de bonnes propositions à l'intersection des intérêts de chacun et que la dignité des autres soit aussi respectée que la leur". Pour autant, "ils ne méritent pas les critiques acerbes qu'ils récoltent" selon Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker précise ainsi que la chancelière allemande l’avait consulté à deux reprises avant la rencontre franco-allemande du 16 août. "Ce dialogue était utile, mais ne devrait pas donner l'impression qu'ils auraient lancé des initiatives dont les autres pays n'auraient pas eu connaissance", juge le président de l’Eurogroupe qui trouve que la lettre que les deux dirigeants ont adressée à Herman Van Rompuy est "un bon résumé, avec panache, de décisions prises avant".

Pour ce qui est du "gouvernement économique" proposé à l’occasion de ce sommet bilatéral, Jean-Claude Juncker pense qu’on ne peut pas "s'auto-déclarer gouvernement économique lorsqu'on se réunit deux fois par an". Il est pour sa part en faveur d'un "pilotage auquel participent le Conseil européen, qui donne les impulsions stratégiques sur l'euro, et l'Eurogroupe, qui assure son travail de suivi continu, une fois par mois". "Il faudra organiser la concertation entre les deux, éviter de les charger de faire la même chose", détaille-t-il, son souci étant que l'Eurogroupe ne soit pas freiné par le Conseil européen dans ses prises de décision.

Quant à la Commission, dont le président de l’Eurogroupe rappelle qu’elle ne décide pas mais dispose du droit d’initiative, Jean-Claude Juncker estime qu’elle "devrait ne pas donner l'impression d'être soumise". "L'Europe n'a rien à gagner à l'affaiblissement de la Commission", estime en effet le Premier ministre luxembourgeois pour qui cette institution "a toujours raison lorsqu'elle joue son rôle".

"On a créé le semestre européen où l'on se met d'accord sur les projets de budget", "c'est cela le pilotage de l'Europe"

En ce qui concerne l’idée d'un ministre des Finances européen, elle mériterait "d'être plus richement articulée" aux yeux de Jean-Claude Juncker pour qui il conviendrait de "savoir ce que ce ministre devrait faire". S’il devait "intervenir dans la confection du budget national et être arbitre suprême des budgets", le Premier ministre luxembourgeois "imagine mal le Bundestag, l'Assemblée nationale accepter qu'un non-élu puisse intervenir de façon normative dans les budgets nationaux".

Jean-Claude Juncker fait donc une nouvelle piqure de rappel : "on a créé le semestre européen où l'on se met d'accord sur les projets de budget", "c'est cela le pilotage de l'Europe". "Les Parlements nationaux sont insuffisamment attentifs aux recommandations de l'Eurogroupe", regrette-t-il, déplorant aussi que "le grand public ignore que nous faisons ce travail". "En Europe, nous avons les instruments de nos ambitions mais pas l'ambition de nos instruments", résume ainsi le président de l’Eurogroupe.