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Economie, finances et monnaie
Pour Jean-Claude Juncker et Luc Frieden, les propositions émises à l’issue du sommet franco-allemand vont dans la bonne direction, sans pour autant offrir beaucoup de nouveauté
18-08-2011


Le 16 août 2011, le président français, Nicolas Sarkozy, recevait à Paris la chancelière allemande, Angela Merkel, pour un sommet tout entier consacré à la zone euro. A l’issue de leur rencontre convoquée en plein cœur de l’été, dans un contexte de grande volatilité sur les marchés financiers, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy présentaient à la presse des propositions communes formulées dès le lendemain dans une lettre adressée au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy rendant compte à la presse des fruits de leur rencontre du 16 août 2011 (c) Présidence de la République française, Photo C. Alix

"La première de ces propositions consiste à instaurer dans la zone euro un véritable gouvernement économique de la zone euro", déclarait à la presse Nicolas Sarkozy avant de suggérer, en guise de deuxième proposition, que les 17 membres de la zone euro adoptent avant l'été 2012 la règle d'or qui consiste à inscrire dans leurs constitutions respectives la règle montrant que les lois de finances annuelles doivent se soumettre à un objectif de retour à l'équilibre budgétaire. Troisième proposition avancée, qui sera formulée par une proposition commune en septembre prochain, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.

Pour Angela Merkel, il s’agit de passer à "une nouvelle phase qualitative de coopération au sein de la zone euro". La chancelière allemande a ainsi précisé la volonté des deux représentants politiques de voir les fonds de cohésion et les fonds structurels orientés vers un renforcement de la croissance et de la compétitivité. "Nous souhaitons, qu'à partir de 2013, les règles de ces fonds soient adaptées en conséquence", a-t-elle expliqué à la presse, ajoutant que "pour les pays présentant un certain nombre de faiblesses", Allemagne et France proposent "que la Commission ait davantage le droit à la parole pour les pays sous programme et puisse véritablement intervenir pour s'assurer que les mesures servent les objectifs de croissance et de compétitivité".

Des propositions qui n’ont pas manqué de faire l’objet de commentaires au Luxembourg. Pour Jean-Claude Juncker comme pour Luc Frieden, les propositions annoncées "vont dans la bonne direction". Mais chacun y va de ses nuances pour commenter de façon plus détaillée les différentes propositions avancées.

"Nous avons aujourd’hui l’Eurogroupe, les chefs d’Etat et de gouvernement se rencontrent, il nous faut donc voir quelle est la plus-value de cette idée" de gouvernement économique

Le Premier ministre Jean-Claude Juncker, qui a accordé pendant ses congés une interview au quotidien autrichien Tiroler Tageszeitung, ajoutait ainsi aussitôt à cette appréciation générale favorable que certaines propositions étaient des décisions déjà prises, comme par exemple l’idée d’introduire une taxe sur les transactions financières. Quant au ministre des Finances, Luc Frieden, qui salue lui aussi l’orientation prise par ce sommet, il a précisé le 18 août 2011 sur les ondes de la Deutschlandfunk qu’il n’y avait selon lui "rien de fondamentalement nouveau" dans les idées avancées au cours de ce sommet.

Pour Luc Frieden, c’est le cas notamment en ce qui concerne l’idée de gouvernement économique, mais aussi, comme il l’a glissé au Luxemburger Wort qui le rapporte dans son édition du 18 août 2011, pour ce qui est de la fameuse "règle d’or" dans la mesure où le pacte de stabilité prévoit déjà une limite à la dette.

"Nous avons aujourd’hui l’Eurogroupe, les chefs d’Etat et de gouvernement se rencontrent, il nous faut donc voir quelle est la plus-value de cette idée" de gouvernement économique, juge le ministre des Finances luxembourgeois.

Quand Jean-Claude Juncker se voit interrogé sur les tâches que devrait se voir confier ce futur gouvernement économique, il invite à s’en enquérir auprès de ceux qui ont négocié à Paris, soulignant toutefois que le thème n’est pas nouveau, et qu’il s’est d’ailleurs lui-même engagé dès 1991 pour la mise en place d’un gouvernement économique qui aurait agi en contrepoids de la Banque centrale européenne qui est elle en charge de la politique monétaire. La faiblesse des politiques économiques dans l’UEM l’a toujours poussé à appeler à les renforcer, et Jean-Claude Juncker rappelle que la chancelière allemande s’y est elle-même opposée.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy proposent désormais que ce gouvernement économique soit "constitué du Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement" qui se réunira deux fois par an, et plus si nécessaire, et élira un président stable pour deux ans et demi. Herman Van Rompuy est cité par les deux représentants politiques pour en assumer le rôle de président.

"Ce qui importe, c’est la mise en œuvre de ce qui a déjà été décidé"

Pour Luc Frieden, l’Eurogroupe fonctionne déjà relativement bien et il n’est certes pas mauvais que les chefs d’Etat et de gouvernement puissent renforcer de temps à autre les grandes lignes. Mais ce qui importe avant tout à ses yeux, et il croit savoir que c’est le cas pour nombre de ses pairs, c’est la mise en œuvre de ce qui a déjà été décidé. Le respect du pacte de stabilité est là cité au premier rang par le ministre des Finances qui ne perd pas de vue non plus la stratégie Europe 2020.

"Je suis pour un gouvernement économique, c’est-à-dire une sorte d’union politique non pas avec un gouvernement, mais avec un concept général porté par l’ensemble des 17 Etats membres de la zone euro", précise Luc Frieden qui estime qu’une rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement deux ou trois fois par an n’y suffirait pas. "Nous avons besoin de règles strictes", plaide comme souvent le ministre luxembourgeois qui souligne qu’elles existent dans le cadre du pacte de stabilité, que ce dernier est en train d’être renforcé, et que le tout est donc de les appliquer…

Aux yeux du ministre luxembourgeois, ce serait donc toujours aux gouvernements de prononcer et d’appliquer les sanctions, en étroite collaboration avec la Commission. Pour Luc Frieden, il ne doit pas s’agir de décisions politiques à proprement parler, mais d’un règlement validé politiquement, y compris par les parlements nationaux, et si les Etats ne s’en tiennent pas aux règles, des sanctions automatiques doivent suivre. "Cela a toujours été la conception de l’Allemagne, du Luxembourg, des Pays-Bas, d’autres pays du Nord de l’Europe", affirme Luc Frieden qui rappelle que la France a parfois freiné le mouvement. Il plaide une fois de plus pour plus d’automaticité dans les sanctions.

"Cela ne fait donc aucun sens de nommer un président de Conseil si nous ne lui donnons pas aussi les compétences, par exemple de pouvoir dire à la France de réduire plus vite son déficit", poursuit Luc Frieden qui met en garde contre la création de postes sans les attributions qui devraient aller de pair. "Nous voyons que cela ne marche pas encore parfaitement en matière de politique étrangère, et nous ne devons pas appliquer les faiblesses de la politique étrangère à la politique financière", assène le ministre.

Interrogé par la rédaction du quotidien autrichien sur les mandats qui reviendraient à l’Eurogroupe si un tel gouvernement économique devait être créé, Jean-Claude Juncker, qui préside cette formation, rappelle que les ministres des Finances de la zone euro se réunissent une fois par mois pour régler ensemble dans la coordination des détails et celle de la politique économique. Aussi, à ses yeux, si les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro devaient se réunir deux fois par an, "on devrait arriver à une répartition des tâches".

L’actuel président de l’Eurogroupe, que nombre de commentateurs donnent pour dépossédé de son pouvoir par cette proposition, n’analyse pas l’idée de donner à Herman Van Rompuy mandat de président de cette nouvelle formation de cette façon. "Je le lui ai moi-même proposé il y a trois semaines", explique-t-il en effet, ajoutant que l’actuel président du Conseil européen est la bonne personne pour assumer ce rôle. "Nous avons déjà trop de présidents, nous n’en aurions pas besoin d’un supplémentaire", juge-t-il.

En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières proposée par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, Luc Frieden estime qu’elle ne ferait sens que si elle était prélevée dans tous les pays de l’UE, et il faudrait qui plus est décider à qui cette ressource profiterait. Du point de vue du ministre des Finances luxembourgeois, elle pourrait être versée au budget de l’UE, mais dans tous les cas la proposition franco-allemande manque à ces yeux de contenu.

Sujet qui n’a pas été abordé dans les conclusions du sommet franco-allemand, la question de l’introduction d’euro-obligations était pourtant attendue et fait l’objet de larges débats ces dernières semaines. A l’issue de leur rencontre, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont écarté d’une même voix cette option que Jean-Claude Juncker avait suggérée fin 2010.

"J’ai pris acte du fait que Madame Merkel et Monsieur Sarkozy ne sont pas très ouverts à cette idée", commente Jean-Claude Juncker qui précise que, de son point de vue, "les euro-obligations ne conduiraient pas à ce que leur reprochent leurs détracteurs, à savoir une communautarisation de toutes les dettes de tous les Etats et un taux unique dans la zone euro". "Je ne plaide pas pour une introduction immédiate d’euro-obligations", précise encore le président de l’Eurogroupe qui appelle cependant à ce que leurs avantages et leurs inconvénients soient discutés.

Pour Luc Frieden, l’idée d’euro-obligations est bonne mais le contexte pour leur introduction ne l’est pas. Beaucoup pensent en effet que les euro-obligations peuvent être utilisées pour s’endetter sans limite, note Luc Frieden qui souligne lui aussi que là n’était pas l’idée de son Premier ministre Jean-Claude Juncker. "Je pense que dans une Europe fonctionnement de manière parfaite avec une monnaie unique, les euro-obligations font sens", juge le ministre des Finances luxembourgeois qui appelle donc à parler de telles obligations communes à partir du moment où la discipline budgétaire sera rétablie.