La Chaire de recherches en études parlementaires, née d’une convention signée le 15 juillet 2011 entre la Chambre des Députés et l’Université de Luxembourg, a fait sa rentrée le 3 octobre 2011.
C’est à la Chambre que s’est tenue une séance inaugurale qui a permis de poser les bases du travail de recherches auquel vont s’atteler, en étroite collaboration avec la Chambre, professeurs, chargés de recherches, doctorants, stagiaires et étudiants de Master dans les prochaines années.
L’occasion donc de faire un bilan des défis qui se posent au parlementarisme de façon générale, mais aussi aux parlements nationaux au niveau européen.
Avant d’esquisser un tableau des défis auquel doit faire face le parlementarisme, le secrétaire général de la Chambre des Députés, Claude Frieseisen, a tenu à souligner l’importance de la connaissance et l’étude du fonctionnement du parlementarisme et du processus législatif. Il s’est donc félicité de la création d’une Chaire visant à des recherches objectives et non partisanes qui vont permettre de suivre, documenter et analyser les rouages démocratiques du pays, tout en plaçant ce travail dans une perspective comparative. Le fait d’associer les étudiants du Master en Gouvernance européenne à ce travail lui a semblé par ailleurs essentiel.
Pour le secrétaire général du parlement, la société actuelle est en constante évolution et, par analogie, la démocratie parlementaire l’est aussi. Grâce aux recherches, le Parlement doit dans un premier temps, analyser la conjoncture, pour ensuite, grâce aux analyses, essayer de présager les changements. L’idée est de déterminer "le rôle futur des parlementaires dans une société future".
Partant d’une définition de la démocratie parlementaire basée sur trois critères, à savoir qu’elle est une démocratie représentative, que le parlement est légitimé par des élections et qu’il prend les décisions les plus importantes, le secrétaire général s’est demandé si c’était bien le cas encore aujourd’hui dans une monde interconnecté où interviennent dans la prise de décisions, notamment liées à la crise, de plus en plus d’organismes intergouvernementaux.
L’enjeu premier est, pour Claude Frieseisen, de savoir si les parlements sont dûment associés aux décisions. Et ce qui vaut au niveau international, européen, vaut dans certains cas aussi au niveau national, dans le cas de la tripartite par exemple. Autre défi relevé par Claude Frieseisen, l’émergence de nouvelles formes de légitimités dans nos sociétés. Entre la démocratie représentative et l’idée d’une participation citoyenne plus directe, quelle forme de légitimation doit l’emporter ?
Les parlements sont par ailleurs soumis à la pression du court-termisme qui se fait à tous les niveaux. "L’accélération excessive tue les démocraties", s’inquiète en effet Claude Frieseisen qui appelle les parlements à conserver le temps qui est nécessaire à la négociation et à la réflexion.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont joué un rôle capital ces derniers mois dans les mouvements de mobilisation qui ont eu cours de par le monde, a constaté le secrétaire général de la Chambre qui s’est demandé enfin s’il y a lieu d’associer le parlementarisme aux nouvelles formes comme twitter ou facebook.
Laurent Mosar s’est penché plus particulièrement sur les défis que rencontrent les parlements nationaux au niveau européen. Aux yeux du président de la Chambre des députés, les parlements nationaux jouent en effet un rôle clef dans la relation qui existe entre démocratie et Union européenne : proches des citoyens, les parlements nationaux se sont aussi vus doter de nouveaux pouvoirs par le traité de Lisbonne.
"L’approfondissement de l’UE ne peut se faire sans, ni contre les citoyens", affirme Laurent Mosar qui s’est attaché à démontrer dans son discours comment les parlements nationaux pouvait jouer un rôle clef pour faire face au grand défi qui consiste à renforcer la légitimité démocratiques des institutions européennes. "D’abord, ils sont associés au processus décisionnel européen et ils peuvent ainsi contribuer, non seulement à défendre leurs intérêts nationaux, mais aussi et surtout à renforcer la légitimité de l’Union et de ses politiques en inscrivant leurs actions dans ce processus", estime Laurent Mosar. Ensuite, poursuit-il, "la multiplication des débats au sein des Parlements nationaux sur les politiques européennes permet non seulement aux Députés nationaux de se pencher davantage sur les questions européennes, mais elle permet aux Députés de mieux dialoguer et de façon plus directe avec leurs concitoyens sur des sujets de politique européenne".
Pour Laurent Mosar, les Parlements nationaux constituent ainsi "un vecteur de démocratisation qui peut contribuer à légitimer davantage la politique européenne, alors qu’ils sont en même temps des piliers de la démocratie en Europe, dont l’objectif est de rapprocher, voire de réconcilier l’Europe et ses citoyens". Et c’est bien ainsi que, selon son président, "la Chambre des Députés conçoit son rôle européen aujourd’hui : contribuer activement à approfondir la construction européenne à travers le renforcement de sa dimension démocratique en devenant une courroie de transmission entre le débat politique européen et le débat politique national".
Revenant brièvement sur l’évolution dans l’histoire du rôle des parlements dans l’UE, Laurent Mosar a notamment insisté sur le rôle joué par la COSAC, "expression de la démocratie délibérative en Europe", depuis 1989. Le président de la Chambre a rappelé les nouveaux pouvoirs conférés par le traité de Lisbonne aux parlements nationaux, notamment en matière de contrôle des principes de subsidiarité et de proportionnalité, ce qui permet aux parlements nationaux de s’impliquer plus tôt et plus largement dans la procédure législative au niveau européen.
C’est en juillet 2010 qu’une nouvelle procédure relative au contrôle de la subsidiarité et de la proportionnalité de toute initiative législative européenne a été introduite à la Chambre. Depuis son entrée en vigueur, la Chambre des Députés a émis cinq avis motivés. La Chambre des Députés fait également parvenir, en vertu de "l’initiative Barroso", des avis dits "politiques" aux institutions européennes. Neuf avis politiques ont ainsi été transmis à Bruxelles par la Chambre des Députés au cours de la session 2010/2011.
Pour autant, le rôle des parlements nationaux mériterait, selon Laurent Mosar, d’être renforcé dans certains domaines, notamment la défense ou la mise en œuvre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
Le président de la Chambre a souligné l’importance du dialogue étroit et régulier entretenu avec les institutions européennes, tout en rappelant qu’une étroite coopération avec le gouvernement, encadrée par l’aide-mémoire entre Chambre et gouvernement, et les milieux professionnels peut permettre au parlement d’apporter sa contribution en amont du processus législatif.
Voyant dans l’instauration du semestre européen "un pas important", Laurent Mosar estime que cette nouvelle procédure "n'est pas un facteur d'affaiblissement pour les parlements, mais qu’il renforcera au contraire la fonction de contrôle parlementaire sur le budget de l'État". En effet, argue-t-il, cette nouvelle initiative européenne oblige la Chambre à discuter plus tôt et plus souvent du budget de l'État.
Pour lui, "la seule et unique solution est d’approfondir l’intégration européenne et de mettre en place une véritable gouvernance économique européenne", ce qui doit passer aussi par "la réconciliation entre l’Europe et ses citoyens à travers une gestion de crise réussie". Les parlements nationaux ont dans ce contexte une double responsabilité aux yeux de Laurent Mosar. Ils doivent "mener un dialogue avec les citoyens pour expliquer pourquoi il est nécessaire de réparer les erreurs du passé et de trouver une issue solidaire à la crise, malgré son coût". Mais ils doivent aussi "renforcer le contrôle parlementaire sur la politique européenne et exiger continuellement une association plus étroite aux négociations sur les mesures qui sont en train d’être prises en matière de gouvernance économique européenne et de la régulation des marchés financiers", car, aux yeux du président de la Chambre, "le rôle des Parlements dans nos démocraties modernes ne peut plus se limiter à la simple validation des décisions intergouvernementales".
"Il reste encore beaucoup à faire pour renforcer le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne", a conclu Laurent Mosar, soulignant cependant que "la Chambre assume pleinement son rôle dans le processus législatif européen en portant le débat européen sur la place publique".
Place a été faite ensuite aux chercheurs.
Philippe Poirier, responsable de la nouvelle Chaire, a commencé par dresser un rapide état des lieux des études parlementaires dans le monde, faisant notamment le tour des grands enjeux sur lesquels elles se concentrent actuellement. Les parlements comme acteurs des politiques publiques, la hiérarchisation et les relations inter-institutionnelles, la légitimation et l’interaction avec la société civile, les processus décisionnels à multiples niveaux ou encore la législation comparée sont apparus comme les sujets les plus répandus dans les recherches menées en ce moment.
Patrick Dumont et Raphaël Kies, tous deux chercheurs en science politique à l’Université de Luxembourg, ont esquissé un "profil idéal des axes de recherches" que pourrait engager la Chaire en études parlementaires.
Un premier axe pourrait se concentrer sur le statut et l’autonomie de la Chambre. Il s’agirait de replacer la Chambre par rapport aux autres institutions politiques à la fois nationales et européennes. Un travail qui permettrait un inventaire formel des sources garantissant son autonomie, mais aussi un travail plus empirique sur les différents rôles assumés par la Chambre qui est à la fois législateur, mais qui exerce aussi, de plus en plus d’ailleurs, un contrôle du gouvernement.
Un deuxième axe de recherches pourrait s’intéresser à l’implication de la Chambre dans la législation européenne. Un projet de recherches sur le contrôle parlementaire exercé par les parlements nationaux est d’ailleurs déjà en cours et vise à objectiver l’impact de la législation européenne sur la législation nationale, qui arrive, au Luxembourg, à environ 40 %. Mais il va s’agir aussi d’observer et d’analyser la capacité du parlement à influer sur la position du gouvernement au niveau européen, tant a priori qu’a posteriori. Evaluer la méthode de travail établie par l’aide mémoire sur la coopération entre Chambre et gouvernement pourrait aussi être étudié, tout autant que le contrôle de la subsidiarité exercé par la Chambre. Un exercice est d’ailleurs en cours au sein de la COSAC pour voir, entre autres, si les délais prévus par la procédure sont suffisants, s’ils sont bien respectés.
La communication politique de la Chambre au 21e siècle pourrait faire l’objet d’un troisième axe de travail, répondant ainsi à certains des défis évoqués plus avant par le secrétaire général de la Chambre. Il en va en effet de la re-légitimisation des parlements nationaux sous la contrainte des dynamiques des politiques externes et des politiques internes, et ce alors que la pression des citoyens et de certains partis s’accroît pour une plus grande transparence et une implication plus directe. Le tout dans un environnement où les nouvelles technologies de l’information et de la communication placent les parlements devant le choix de s’adapter ou bien d’innover en la matière. La question de la transparence et du contrôle du travail parlementaire, l’interaction entre représentants et représentés, par exemple dans le cadre de hearings ou du parlement des jeunes, pourraient être étudiées dans ce cadre qui pourrait aussi permettre de réfléchir à la façon d’impliquer les citoyens dans le processus législatif.
Deux jeunes doctorantes de l’Université ont présenté en quelques mots les sujets de thèses dans lesquelles elles viennent de se lancer. Andrejan Pegan va se pencher sur le rôle des fonctionnaires au sein du Parlement européen, et notamment sur les interactions entre ceux qui travaillent pour le secrétariat général et ceux qui officient pour les groupes politiques, ces derniers étant de plus en plus nombreux en proportion. Son travail, qu’elle entend baser sur des données empiriques qui sont encore rares sur ce sujet, devrait contribuer à la transparence, mais permettre de soulever aussi une question taboue, à savoir comment la politique interfère dans les administrations. Astrid Spreitzer a quant à elle choisi pour sujet l’européanisation de la législation luxembourgeoise et le rôle de la Chambre des Députés. Il s’agit pour elle de tester la thèse selon laquelle l’intégration européenne se ferait au prix d’une déparlementarisation. La principale question posée dans cette future thèse, c’est celle des conséquences de l’européanisation de la législation sur la Chambre des Députés.