Le pivot financier de ce plan « interconnexion en Europe » serait un instrument financier d'un nouveau type dans l'UE, élaboré en liaison avec la Banque européenne d'investissement (BEI) : un emprunt obligataire européen de financement de projet appelé "Project Bond Initiative".
Ce plan doit être avalisé par le Parlement européen et les gouvernements européens et devra "démontrer sa capacité à attirer les capitaux des fonds de pensions et des assureurs", a affirmé le commissaire aux Affaires économiques Olli Rehn. Et cela dans un contexte où actuellement, la majorité des Etats membres reste encore opposée à l’idée d’un recours à des emprunts obligataires européens, parce qu’ils craignent qu'elle ne finisse par augmenter leurs contributions au budget de l'UE, et que la même idée fait par contre de plus en plus d’émules parmi les eurodéputés.
"Un financement des réseaux largement par le budget de l'Union européenne ne peut pas être la solution", a été par exemple le commentaire averti du ministre allemand de l'Economie, le libéral Philipp Rösler. Reste que des emprunts avec un soutien budgétaire de l'UE, pour financer des projets ou apporter un soutien, ont déjà été utilisés par les institutions européennes à plusieurs reprises. Mais les sommes en jeu étaient beaucoup moins importantes.
La Commission pense que l'UE doit contribuer à la construction de routes, de chemins de fer, de réseaux énergétiques, de gazoducs et de réseaux à haut débit, dans la mesure où ceux-ci sont très importants pour les citoyens et les entreprises de l'Europe.
Ce sont 31,7 milliards d'euros qui seront investis pour améliorer les infrastructures de transport en Europe, 9,1 milliards d'euros pour les infrastructures transeuropéennes afin d'atteindre les objectifs énergétiques et climatiques d'"Europe 2020" et 9,2 milliards d'euros pour les réseaux à haut débit et les services numériques paneuropéens.
Même si le prochain budget de l'UE pour 2014-2020 doit encore être adopté par le Parlement européen et les Etats membres de l'UE, le président de la Commission, José Manuel Barroso a affirmé que les services de la Commission lanceraient déjà une phase pilote en utilisant jusqu'à 230 millions d'euros du budget actuel. L'effet multiplicateur devrait permettre de mobiliser jusqu'à 4,5 milliards d'euros, a précisé le commissaire Rehn, tandis que José Manuel Barroso a invité "le Conseil et le Parlement européen à approuver cette phase pilote aussitôt que possible".
Durant cette phase-pilote, il s'agira de se concentrer sur 5 à 10 projets, en particulier ceux qui se trouvent à un stade relativement avancé dans le processus d'adjudication et de financement ou qui ont besoin d'un refinancement après la phase de construction, dans un ou plusieurs des trois secteurs cibles des transports, de l'énergie et du haut débit. La phase-pilote serait gérée par la BEI.
Le budget de l'UE sera utilisé pour fournir à la BEI des capitaux destinés à couvrir une partie du risque qu'elle assume lorsqu'elle finance les projets admissibles. Le budget de l'UE fournira une sorte de garantie pour que la BEI finance les projets concernés, mais la BEI devra assumer le reliquat de risque.
En général, la Commission veut garder le contrôle des projets. "Les projets seront sélectionnés en fonction de raisons solides et viables sur le plan économique", a déclaré José Manuel Barroso, qui veut privilégier "une logique paneuropéenne des fonds communautaires". Car par le passé, les fonds ont souvent été utilisés plus pour des infrastructures dictées par des contingences de la politique locale que par des nécessités européennes.
Dans un de ses papiers, la Commission européenne explique que des projets de grandes infrastructures, qui sont nécessairement et de par leur nature propre des projets sur le long terme, sont rentables sur le moyen et court terme, mais qu’ils impliquent de grands risques à court terme lors de leur phase de construction et lors du premier temps de leur opérationnalité. Cela rend difficile une analyse de la valeur de l’investissement pour les acteurs du marché. D’autre part, argue la Commission, ces projets sont d’une grande valeur pour la société, et cette valeur ne peut pas seulement être saisie en termes monétaires. En visant avec les « EU project bonds » ce genre de grands projets, la Commission, de concert avec la BEI, veut en même temps réduire les risques qui leur sont inhérents et rendre possible leur réalisation en aidant les entreprises privées à attirer d'autres financements sur le marché des capitaux.
Le commissaire Olli Rehn a par ailleurs précisé que tous les projets d'infrastructure ne pourront pas être financés via les project bonds. Les techniques qui seront employées par la BEI ont déjà été éprouvées avec certains instruments existants, comme les garanties de crédit bancaire. Cette technique s'appliquerait donc aux marchés des capitaux, aux fonds de pension ou aux compagnies d'assurance qui souhaitent investir sur le long terme, mais ne peuvent pas se permettre de prendre trop de risques. La Banque européenne d'investissement sera le partenaire du partage des risques de la Commission, selon Olli Rehn.
Dans le domaine des transports, la proposition de la Commission vise à transformer l'actuelle mosaïque de routes, voies ferrées, aéroports et canaux en un réseau de transport unifié de l’UE (RTE-T). Le nouveau réseau central de ce dispositif devrait permettre d'éliminer les goulets d'étranglement, de moderniser les infrastructures et de rationaliser les opérations de transport transfrontalier pour les passagers et les entreprises, dans toute l'UE. Il devrait aussi améliorer les connexions entre différents modes de transport et contribuer à la réalisation des objectifs de l'UE en matière de changement climatique.
Le nouveau réseau central RTE-T est censé s'appuyer sur un large réseau, au niveau régional et national. Ce dernier devrait idéalement être largement financé par les États membres, avec des possibilités de financement au niveau régional et européen, notamment au moyen d'instruments financiers innovants comme les "EU projects bonds". L'objectif est de garantir que progressivement, d'ici à 2050, la grande majorité des entreprises et des citoyens européens ne soient pas à plus de 30 minutes de temps de trajet du réseau capillaire.
La Commission a proposé la création de corridors afin de couvrir les projets transfrontaliers les plus importants. Selon ses estimations, une enveloppe de 500 milliards d’euros sera nécessaire d'ici à 2020 pour réaliser un réseau européen digne de ce nom, y compris 250 milliards d’euros pour la suppression des goulets d'étranglement et la construction des tronçons manquants dans le réseau principal.
Le mécanisme pour l'interconnexion en Europe prévoit ici un investissement de 31,7 milliards d’euros jusqu’en 2020. Cela inclut 10 milliards d’euros du Fonds de cohésion qui sont réservés pour des projets dans le domaine des transports dans les pays de la cohésion, les 21,7 milliards d’euros restants étant mis à la disposition de tous les États membres pour des investissements dans l'infrastructure de transport. Les autres 470 milliards d’euros devront donc être financés soit par les Etats soit par des partenariats privé-public recourant éventuellement aux instruments financiers innovants tels que les « project bonds ».
Le Ministère du Développement durable et des Infrastructures (MDDI) a publié le 20 octobre un communiqué, dans lequel il met l’accent sur "l’importance cruciale" des points d’interconnexion entre les différents modes de transport, et il pointe ici la plate-forme intermodale à Bettembourg et le port de Mertert situé immédiatement sur des axes prioritaires routiers et ferroviaires, mais aussi la gare de Luxembourg et l’aéroport de Luxembourg qui "sont d’une grande importance européenne".
Bref, "il est évident que le Luxembourg implanté au centre de l’Europe est vivement concerné par cette réorganisation", dit le MDDI. "L’intérêt pour le Luxembourg est de profiter de ces connexions efficaces sur lesquelles toutes les règles d’interopérabilité sont applicables", conclut-il.
Par ailleurs, le MDDI précise que "la construction d’une nouvelle ligne électrifiée (dont la construction est prévue à partir de 2014, ndlr) à deux voies entre Luxembourg et Bettembourg dans le cadre de l’amélioration de la relation internationale Bruxelles – Luxembourg – Strasbourg, et la réalisation d’un centre logistique à Bettembourg-Dudelange routes Nord-Sud (dont l’étude de faisabilité est d’ores et déjà soutenue financièrement par la Commission, ndlr) sont des exemples qui entrent bien dans cette optique européenne."
En ce qui concerne le secteur de l'énergie, un investissement de 9,1 milliards d’euros est prévu dans l'infrastructure transeuropéenne, ce qui devrait permettre d'atteindre les objectifs fixés par l’UE pour 2020 dans les domaines climatique et énergétique. Le mécanisme pour l'interconnexion en Europe devrait selon la Commission également permettre de combler les besoins financiers et de supprimer les goulets d'étranglement des réseaux. L'amélioration des interconnexions permettra au marché intérieur de l'énergie de continuer à s'élargir, ce qui favorisera la sécurité de l'approvisionnement et le transport efficace et rentable des énergies renouvelables. Là aussi, la Commission pense que le financement provenant du mécanisme pour l'interconnexion en Europe devrait servir de levier pour attirer des fonds supplémentaires d'autres investisseurs privés et publics.
Le mécanisme pour l'interconnexion en Europe prévoit une enveloppe de près de 9,2 milliards d’euros pour soutenir les investissements dans les réseaux à haut débit rapides et très rapides et dans les services numériques paneuropéens.
Ce mécanisme attirera d'autres fonds privés et publics en conférant une crédibilité aux projets d'infrastructure et en réduisant leur profil de risque. En se fondant sur des estimations "prudentes", la Commission estime que le financement de l'infrastructure de réseau pourrait susciter des investissements d'une valeur supérieure à 50 milliards d’euros. Les objectifs figurant dans la stratégie numérique pour l'Europe sont une connexion à un débit minimal de 30 Mbps pour tous, avec une proportion de foyers européens disposant d'abonnements offrant un débit supérieur à 100 Mbps au moins égale à 50 %.
En ce qui concerne les services numériques, les fonds disponibles seront utilisés pour des subventions octroyées pour la construction de l'infrastructure nécessaire au déploiement de la carte d'identité électronique, des marchés publics électroniques, des dossiers médicaux électroniques, ainsi que des services Europeana, Justice en ligne et des services douaniers en ligne. Les fonds serviront à assurer l'interopérabilité et à supporter les coûts de fonctionnement de l'infrastructure à l'échelle européenne pour relier les infrastructures des États membres.
Le Parti populaire européen (PPE), le plus grand groupe politique au Parlement européen, a salué la proposition de la Commission sur les project bonds, affirmant qu'elle permettrait d'assurer des fonds plus que nécessaires pour des projets d'infrastructure. Ces project bonds permettront d'instaurer une confiance suffisante pour attirer plus de financements privés, devenant ainsi un mécanisme important pour maximiser l'effet de levier des dépenses publiques, a affirmé le PPE.
Corien Wortmann-Kool, vice-présidente du groupe PPE en charge des affaires économiques, a déclaré : "Le groupe PPE salue les initiatives visant à renforcer le rôle de la Banque européenne d'investissement en émettant des obligations pour des projets particuliers dans des domaines cruciaux tels que l'énergie, les télécommunications et les transports. Ces initiatives sont essentielles pour stimuler la croissance et l'emploi."
L'eurodéputé Jean-Paul Gauzès, coordinateur du groupe PPE à la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, a expliqué : "Le groupe PPE demande la mise en œuvre des project bonds depuis longtemps et la proposition de la Commission est par conséquent très appréciée. Le financement des infrastructures est un bon moyen d'assoir la position de l'Europe dans le monde et de s'assurer un avenir prospère."
Les socialistes et démocrates S&D au Parlement européen ont eux aussi salué la proposition du"Mécanisme pour l'interconnexion en Europe", "parce que ce mécanisme dopera l'emploi et la compétitivité et contribuera à l’achèvement du marché unique". Ils sont "heureux que la Commission propose un plan de croissance, parce que nous avons répété à satiété que l’austérité ne nous sortira pas de la crise et ne créera pas d’emplois." Pour eux, "ce mécanisme constitue un bon point de départ mais il ne réussira qu’à condition d'attirer des investissements nationaux et privés."
Mais les choix opérés par la Commission sont aussi critiqués. Le groupe des Verts au Parlement européen les a qualifiés de "rétrogrades" et a signalé son mécontentement à la lecture de la liste des couloirs prioritaires pour les réseaux électriques, car un seul est consacré au transport d'énergies renouvelables, contre quatre pour le gaz. Le Groupe des Verts/ ALE au Parlement européen "accueille favorablement la décision de la Commission de mettre cette question des infrastructures énergétiques à l'ordre du jour", mais "il s'inquiète cependant de l'intérêt porté aux combustibles fossiles au détriment des énergies renouvelables, en termes d'aide financière mais également pour la transparence de la procédure."
Claude Turmes, l’eurodéputé vert luxembourgeois et rapporteur de la directive sur l'efficacité énergétique a déclaré : "Il y a également de vrais soucis concernant les propositions de cofinancement des fonds européens pour les grands projets de gazoducs : jusqu'à 80 % de financement européen pour des projets de gaz comme Nabucco. Etonnante décision alors que la Commission a elle-même déclaré que plus de 70 % des besoins de financement se situent dans le domaine du réseau électrique. Ces propositions sont donc sérieusement déséquilibrées."
Mais il dit aussi : "Heureusement, les propositions finales de la Commission soulignent l'obligation pour les projets d'infrastructure de respecter la législation environnementale européenne (contrairement aux versions précédentes qui penchaient vers l'exemption). En aucun cas les projets d'infrastructure énergétique ne peuvent miner la protection de l'environnement et la législation européenne dans ce domaine. Nous accueillons également favorablement les propositions sur l'accélération des procédures décisionnelles pour les autorisations d'infrastructure, ainsi que les propositions concrètes pour améliorer la transparence, l'accès à l'information et la participation du public."