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Environnement
La transposition de la directive "déchets" commence à déclencher un débat sur ses conséquences sur l’autonomie, les finances et les taxes communales
26-10-2011


Le Luxembourg s’apprête, avec le projet de loi 6288 relative aux déchets à transposer la directive 2008/98/CE sur les déchets qui lui a encore valu en mai 2011 une procédure en infraction pour retard de transposition. Le débat sur cette transposition a été lancé le 21 octobre 2011 par un avis du SYVICOL qui pose de nombreuses questions.

La directive

Avec la directive sur les déchets de 2008, l’UE s’est dotée d’un cadre juridique qui vise à contrôler tout le cycle du déchet, de la production à l’élimination, en mettant l’accent sur la valorisation et le recyclage. La directive vise à protéger l’environnement et la santé humaine par la prévention des effets nocifs de la production et de la gestion des déchets.

Elle s’applique aux déchets ne comprenant pas d’effluents gazeux, d’éléments radioactifs, d’explosifs déclassés, de matières fécales, d’eaux usées, de sous-produits animaux, de carcasses d’animaux morts autrement que par abattage ou d’éléments provenant des ressources minérales.

Hiérarchie

Afin de protéger au mieux l’environnement, elle exige des États membres des mesures pour le traitement de leurs déchets conformément à une hiérarchie suivante qui s’applique par ordre de priorités : la prévention ; la préparation en vue du réemploi ; le recyclage ; une autre valorisation des déchets, notamment énergétique ; l’élimination.

La directive implique que les États membres peuvent mettre en place des mesures législatives en vue de renforcer cette hiérarchie dans le traitement des déchets. Ils doivent cependant assurer que la gestion des déchets ne met pas en danger la santé humaine et ne nuit pas à l’environnement.

Gestion des déchets

Tout producteur ou tout détenteur de déchets doit procéder lui-même à leur traitement ou doit le faire faire par un négociant, établissement ou entreprise. Les États membres peuvent coopérer, si nécessaire, pour parvenir à l’établissement d’un réseau d’installations d’élimination des déchets. Ce réseau doit permettre l’indépendance de l’Union européenne en matière de traitement des déchets.

Les déchets dangereux doivent être stockés et traités dans des conditions de protection de l’environnement et de la santé. Ils ne doivent en aucun cas être mélangés à d’autres déchets dangereux et doivent être emballés ou étiquetés conformément aux normes internationales ou communautaires.

Autorisation et enregistrement

Tout établissement ou entreprise désirant procéder au traitement de déchets obtient une autorisation auprès des autorités compétentes qui déterminent notamment la quantité et le type de déchets traités, la méthode utilisée, ainsi que les opérations de suivi et de contrôle.

Toute méthode d’incinération ou de co-incinération visant une valorisation énergétique ne doit s’effectuer que si cette valorisation présente une efficacité énergétique élevée.

Plans et programmes

Les autorités compétentes sont tenues d’établir un ou plusieurs plans de gestion destinés à couvrir l’ensemble du territoire de l’État membre concerné. Ces plans contiennent notamment le type, la quantité, la source de déchets, les systèmes existants de collecte et les critères d’emplacement.

Des plans de prévention doivent également être élaborés, en vue de rompre le lien entre la croissance économique et les incidences environnementales associées à la production de déchets.

Ces plans sont notifiés par les États membres à la Commission européenne.

L’avis du SYVICOL

SYVICOLLe Syndicat des Villes et Communes Luxembourgeoises (SYVICOL) a rendu public son avis sur le projet de loi 6288 qui transpose la directive le 21 octobre 2011 sous l’angle des nouvelles obligations prévues pour les communes. 

Le Luxembourg bien placé

D’emblée, le SYVICOL cite dans ses considérations générales l’exposé des motifs du projet qui dit que "la gestion des déchets au Luxembourg peut être considérée aujourd’hui comme étant une des plus performantes en Europe. La totalité de la population est rattachée à un système de ramassage des déchets résiduels. La quasi-totalité peut profiter d’au moins un système de collecte séparée. De nombreuses entreprises ont fait des efforts pour procéder à une gestion plus écologique de leurs déchets. Les taux de collecte sélective qui sont atteints figurent parmi les premiers d’Europe."

Bref, le SYVICOL estime qu’il est "important (…) de rappeler le fait que le Luxembourg figure parmi les pays les mieux placés pour se conformer aux dispositions de la directive 2008/98/CE que le projet de loi sous examen vise à transposer."

Si le SYVICOL est d’accord sur le fait que "le Luxembourg ne peut pas se reposer sur ses lauriers", il se demande néanmoins s’il faut pour autant "dès à présent (…) placer la barre plus haut que ne l’exige l’Union européenne".

Pourquoi aller au-delà des normes de la directive ?

L’UE exige un taux de recyclage de 50 % des déchets. Mais selon le SYVICOL, "les moyens que le projet de loi veut obliger les communes à mettre en place, vont en réalité obtenir des taux largement supérieurs aux objectifs quantitatifs en matière de réemploi et de recyclage prévus à l’article 11.2. de la directive". Ce sont donc plutôt 65 % qui sont visés avec la collecte porte-à-porte obligatoire des bio-déchets et un système de collecte et de tarification basé sur le pesage des poubelles ou la fréquence de leurs vidages.

Pour le SYVICOL, cet objectif des 65 % est louable. Là où le bât blesse, c’est que le projet de loi "fait abstraction d’un aspect essentiel de la discussion, à savoir des coûts que représenteront les efforts pour atteindre ces objectifs ambitieux : coûts financiers d’une part (les investissements initiaux des communes, puis leur répercussion sur les citoyens via les taxes sur les déchets en application du principe du pollueur-payeur prévu), coûts environnementaux résultant de ces nouvelles collectes d’autre part."

Subsidiarité en cause

C’est pourquoi le SYVICOL "plaide en faveur d’un changement d’approche du gouvernement dans la manière de transposer les objectifs en matière de gestion des déchets ménagers." : "Plutôt que d’imposer certains modes de collecte par la voie législative, il devrait laisser au secteur communal le choix des moyens à mettre en œuvre pour se conformer aux dispositions de la directive. Cette approche responsabiliserait davantage les communes et serait plus respectueuse de l’autonomie communale." Tout cela au nom des principes de subsidiarité, d'autonomie locale et le de proximité, des principes qui jouent selon le Comité des Régions et selon le SYVICOL "un rôle important pour la réalisation des objectifs de l'Union européenne."

La gouvernance réglementaire pose problème

Le SYVICOL critique, en termes de gouvernance réglementaire, le fait que le projet de loi "renvoie à de nombreux endroits à des règlements grand-ducaux, censés exécuter les dispositions législatives", que le projet de loi lui-même est formulé "dans des termes si généraux, que leur portée réelle ne sera connue qu’au moment où les règlements grand-ducaux seront disponibles". Conséquence : le SYVICOL veut voir les projets de règlement avant de statuer.

Il critique aussi le fait que le projet de loi n’est pas assorti "d’une fiche financière mesurant l’impact budgétaire des modifications projetées par le gouvernement sur le secteur communal."

Consulter en amont les acteurs concernés

Finalement, le SYVICOL regrette ne pas avoir été consulté par le gouvernement en amont de l’adoption de la directive 2008/98/CE, donc il y a plus de trois ans. Et il rappelle au gouvernement que "les gouvernements d’autres Etats membres ont l’habitude de se concerter avec leurs collectivités territoriales lorsque l’Union européenne prévoit de légiférer dans des domaines qui relèvent de la compétence des niveaux infra-étatiques." En conséquence, "le SYVICOL souhaiterait que les représentants gouvernementaux luxembourgeois qui participent à l’élaboration de ces textes, s’approprient cette méthode de travail."

Problèmes techniques

Dans le détail, l’avis demande pourquoi le projet de loi veut systématiquement obliger les communes, à côté des autres acteurs, à prendre en compte le réemploi des déchets dans les critères d’attribution des marchés publics, alors que cela n’est pas demandé par la directive.

Le SYVICOL ne veut pas non plus que les centres de recyclage soient contraints d’installer des second-hand shops dont le SYVICOL a déjà, dans un avis du 1er octobre 2009, décrit les inconvénients.

Le SYVICOL note aussi "que la liste de mesures proposée (…) pour favoriser le réemploi et la préparation au réemploi sont formulées de manière très générale, sans que le partage des responsabilités entre l’Etat, les communes et les producteurs ne soit clairement défini."

Le SYVICOL veut être consulté sur les règlements qui fixent "la méthode qui sera appliquée pour calculer les taux de recyclage fixés par la directive", car celle-ci sera un outil indispensable pour orienter les stratégies des acteurs communaux dans le domaine des déchets. Cela devrait permettre "la prise en compte des réalités du terrain, qu’elles soient d’ordre technique, logistique ou financier » et garantir le « respect de l’autonomie communale, de manière à permettre une approche différenciée en fonction notamment des caractéristiques du territoire couvert (urbain ou rural)."

Le principe pollueur-payeur et les taxes communales

L’avis du SYVICOL constate par ailleurs qu’à première vue, le projet de loi ne diffère pas, quant à ses dispositions relatives aux taxes communales, des modalités de taxation actuellement en vigueur : application du principe du pollueur-payeur et obligation d’introduire une composante variable calculée en fonction du poids et/ou volume des déchets ménagers et encombrants produits.

Dans ce contexte, il est d’avis que tous les systèmes de collecte des déchets ménagers actuellement appliqués sur le territoire luxembourgeois tiennent compte, "d’une façon ou d’une autre, de la quantité/ du poids dans la fixation des taxes dues par le détenteur des déchets ménagers", et donc du principe pollueur-payeur. Mais il lui semble que le commentaire gouvernemental du projet de loi insinue que "seulement 21 communes appliquent un système de taxes qui se base réellement sur les quantités de déchets produits" et qu’en d’autres termes, "toutes les autres communes n’appliqueraient pas le principe du pollueur-payeur", ce qu’il conteste. Conséquence : "celles-ci devraient par conséquent introduire une nouvelle taxation et, ce qui en est le corollaire, procéder une adaptation du matériel utilisé pour la collecte des déchets".

Le projet de loi veut donc, selon le SYVICOL, imposer un modèle, même si le contraire est affirmé, et cela "exigera de la part de toutes ces communes de nouveaux investissements, étant donné qu’elle présuppose des adaptations techniques, voire même le remplacement du matériel utilisé actuellement pour la collecte des déchets (camions, poubelles…)". Or, le gouvernement ne dit rien, souligne le SYVICOL, sur l’impact financier pour les collectivités des mesures qu’il veut faire voter, et sur les risques qu’elles comportent, comme "notamment l’augmentation probable de l’abandon incontrôlé d’ordures".

Le gouvernement veut-il imposer un seul système "de collecte séparée porte-à-porte des déchets de jardin et alimentaires des ménages" ?

En ce qui concerne les bio-déchets, le SYVICOL lit dans le projet de loi l’intention du gouvernement « d’imposer sur la totalité du territoire du Luxembourg, des systèmes de collecte séparée porte-à-porte des déchets de jardin et alimentaires des ménages ». En clair, cela voudrait dire que comme 31 des 116 communes du pays effectuent actuellement une telle collecte, "les 87 communes 'non-conformes' se verraient obligées d’introduire une collecte séparée porte-à-porte des bio-déchets." Or, pour le SYVICOL, la directive n’exige pas la collecte séparée.

Et de poser la question des répercussions collatérales que peut avoir la mise en place d’une collecte porte-à-porte des bio-déchets dans toutes les communes. « En effet, une telle décision ne génère pas que des bénéfices, elle a aussi des coûts environnementaux et économiques, tels:

  • un coût environnemental lié à la production de nouveaux camions-poubelle
  • un coût environnemental lié à la production de poubelles spécifiques pour la collecte des bio-déchets
  • des coûts découlant de l’organisation de collectes supplémentaires (embauche de personnel et achat de nouveaux camions par la commune, le syndicat de communes ou le sous-traitant agréé)
  • des nuisances causées par la circulation de camions-poubelles supplémentaires : augmentation des émissions de CO2, pollution de l’air, bruit…"

Préoccupations sociales

Les conséquences financières de cette décision seront, souligne le SYVICOL, "à supporter par les ménages via les taxes communales". Le SYVICOL est ici logé à la même enseigne que la Chambre des Salariés, qui dans son avis du 11 octobre 2011(voir dossier de la Chambre des députés sur le projet 6288)  s’est dite préoccupée "plus particulièrement" par les "risques de traitements inéquitables au niveau de future taxe communale, gravant le cas échéant excessivement les budgets des ménages."

Avant d’aller plus loin, le SYVICOL voudrait donc "d’abord un bilan écologique et une analyse coût/bénéfices de la valorisation de bio-déchets par une collecte porte-à-porte dans les régions où ceci ne se fait pas encore, avant de l’imposer partout", tout cela aussi dans l’esprit de maintenir "l’autonomie communale dans le choix des moyens à mettre en œuvre  pour atteindre les objectifs de la directive".

Le respect de l’autonomie communale

Pour conclure, le SYVICOL revient aux sources du pouvoir communal moderne. Il souligne que la gestion des déchets fait partie des missions dites originaires des communes, parce qu’elles relèvent du domaine de l’hygiène et de la salubrité, des domaines "ancrés dans les décrets de l’époque de la Révolution Française et précisées et approfondies au cours du temps". Et puis : "S’il est souhaitable que l’Etat donne des impulsions, voire une orientation générale à cette politique, le SYVICOL plaide toutefois en faveur de la préservation du degré actuel d’autonomie communale dans les domaines qui relèvent aujourd’hui de la compétence des communes."