Dans un arrêt du 9 novembre 2011, la Cour constitutionnelle allemande a déclaré que le système électoral des élections en 2009 du Parlement européen inscrit dans la loi allemande du 17 mars 2008 sur les élections des députés au Parlement européen qui incluait une clause de seuil minimal de 5 % de représentativité effective à l’article 2 paragraphe 7, allait à l’encontre de l’égalité des chances et contre l’égalité dans le processus électoral des partis politiques. De ce fait, la Cour a décidé que cette clause de seuil minimal de 5 % pour les élections européennes allait à l’encontre des principes constitutionnels allemands. Mais elle n’a pas pour autant invalidé les élections européennes de 2009 qui se sont déroulées sous ce régime.
Cette décision a été prise à 5 voix contre 3 au sein de la Cour constitutionnelle. Deux juges ont livré une opinion dissidente. Elle montre de nouveau à quel point la Cour constitutionnelle de Karlsruhe observe de près et se prononce sur l’impact de l’UE sur le dispositif constitutionnel allemand.
En application de la décision du Conseil 2002/772/CE, le principe du scrutin proportionnel a été introduit pour les élections européennes dans tout les Etats membres. La décision du Conseil de 2002 a permis en son article 2 (A) aux Etats membres de fixer "un seuil minimal pour l’attribution des sièges. Ce seuil ne doit pas être fixé au niveau national à plus de 5 % des suffrages exprimés".
Pour illustrer le scrutin proportionnel du Parlement européen, il faut savoir que lors d’élections européennes, les listes électorales qui n’ont pas obtenu 5 % des voix en Allemagne (ou en France) sont exclues de la répartition des sièges au Parlement européen.
Le Luxembourg quant à lui fonctionne sur base d’un scrutin de liste à la proportionnelle, une liste ne pouvant pas comprendre plus de 6 candidats pour les 6 sièges à pourvoir pour le Luxembourg. Dans un petit Etat comme le Luxembourg, et pour tous les Etats qui disposent de moins de 20 députés au PE, un tel seuil de 5 % est de fait superflu. Ne sont donc pas concernés outre le Luxembourg, la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, l’Irlande, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Hongrie, la Slovénie, la Slovaquie, la Finlande et la Suède, donc 14 Etats membres sur 27.
Selon la Cour allemande, le droit européen doit être interprété à la lumière des principes constitutionnels allemands qui consacre une égalité des chances et un droit de vote égal pour tous les partis politiques. Le principe de l’égalité du droit de vote inscrit dans la Constitution allemande suppose que chaque électeur avec sa voix puisse avoir la même influence que les autres électeurs dans l’élection du pouvoir législatif et vaut aussi pour les parlementaires européens. Le principe de l’égalité des chances des partis politiques implique que ceux-ci bénéficient des mêmes possibilités durant tout le processus électoral et par conséquence des mêmes possibilités dans la cadre de l’attribution des sièges au sein du Parlement.
La clause de seuil minimal de 5 % qui apparaît à l’article 2 paragraphe 7 de la loi allemande concernant les élections européennes et qui dit que "pour la répartition des sièges entre les différents élus, seront seulement considérés ceux qui auront reçu au moins 5 % des suffrages valablement exprimés dans la circonscription électorale", entraîne selon la Cour de Karlsruhe une inégalité de pondération des voix électorales et par conséquence dans les suffrages électoraux. La raison est que les voix qui ont été données par les électeurs aux partis qui se retrouvent en dessous des 5 % de représentativité nationale ne seront pas prises en compte et n’auront donc aucune influence. Par la même occasion, l’égalité entre partis est remise en cause selon la Cour.
L’argument avancé selon lequel, sans une clause restrictive de 5 %, des parties de plus petites envergures pourraient accéder au Parlement européen et de ce fait compliquer la prise de décision au sein de cet organe, ne justifie pas selon la Cour allemande, une restriction des principes fondamentaux de l’égalité du vote et de l’égalité des chances des différents partis politiques.
En Allemagne, sans la clause restrictive de 5 %, le nombre de partis allemands représentés au Parlement européen passerait de 6 à possiblement 13 partis représentés avec un à deux sièges. La Cour estime de ce fait qu’il n’est pas prouvé que cela porte atteinte au fonctionnement et aux processus décisionnels du Parlement.
Les juges constitutionnels allemands expliquent aussi que le système législatif du Parlement européen n’est pas semblable à celui d’un Etat et n’est donc pas censé dégager une majorité qui soutient une coalition stable face à une opposition. L’idée n’est pas d’élire un gouvernement de l’UE, et le processus législatif de l’UE est selon Karlsruhe conçu de telle manière qu’il n’est pas dépendant des différentes majorités au sein du Parlement européen.
Néanmoins l’inconstitutionnalité de l’article 2 paragraphe 7 de la loi allemande concernant les élections européennes qui dit que ne doit pas permettre d’invalider l’élection européenne de 2009 en Allemagne. En effet l’importance et la priorité des élections européennes, renvoi au second plan la nécessité de remédier rétroactivement à cette erreur électorale.
Pour les juges constitutionnels allemands, les conséquences d’une telle remise en cause de la loi fixant les modalités de l’élection européenne en Allemagne pourraient êtres trop imprévisibles. De plus, cette erreur dans le processus électoral ne représente pas un obstacle insurmontable au principe d’élection égalitaire et démocratique car elle ne concerne qu’une toute petite partie du contingent de députés allemands et ne remet pas en cause la légitimité des députés européens élus par les citoyens allemande dans sa globalité.
Les juges Di Fabio et Mellinghoff ne partagent pas ces conclusions et les solutions proposées par l’arrêt. Selon ces juges, leurs collègues formant la majorité interpréteraient le pouvoir discrétionnaire du législateur de manière trop restrictive et envisage une déficience fonctionnelle du Parlement européen et ce malgré sa responsabilité politique accrue. La clause restrictive de 5 % est, de leurs points de vue, surtout un ajout réglementaire au système d’élections proportionnelles.
Pour ces deux juges, le fait que la constitution allemande prévoit à l’article 38 un mode de scrutin majoritaire à un tour pour les élections législatives au Bundestag et qui pourrait entraîner lui aussi la non-prise en compte de 50 % des votants, est bien plus radicale pour l’égalité des chances des partis politiques et l’égalité du vote, que la clause restrictive de 5 % du processus électoral européen.
Le seuil minimal de 5 % est objectivement justifié dans la pratique car il empêche une trop grande fragmentation du contingent politique allemand au sein du Parlement européen. En abrogeant le seuil minimal, les juges de la majorité dans ce jugement créeraient à niveau européen, une situation unique.
Le Parlement européen a en plus jusqu’à présent permis la prise de décisions majoritaires viables et ce dans une grande hétérogénéité, pensent les deux juges minoritaires. Chaque fragmentation politique supplémentaire a pour conséquence la prolongation et des difficultés supplémentaires dans la recherche d’un consensus. Les grandes lignes politiques seraient plus dures à dégager et les électeurs auraient plus de mal à se reconnaître dans la législation européenne.
Selon les deux juges, une certaine flexibilité doit être accordée au le législateur allemand afin que celui évalue les risques fonctionnels que peut entraîner l’abrogation du seuil minimal de 5 % pour les élections européennes en Allemagne. Le Parlement se trouve depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne dans une nouvelle phase de son évolution et cela doit être pris en compte.