"Yves Mersch : la BCE pourrait arrêter d’acheter des obligations italiennes". Tel est le titre choisi par le quotidien turinois La Stampa pour un entretien avec Yves Mersch, président de la BCL, publié dans son édition datée du 6 novembre 2011. Cet entretien paraît dans un contexte de forte pression sur l’Italie, nourrie par les inquiétudes sur la capacité du gouvernement de Silvio Berlusconi à mener les réformes auxquelles il s’est engagé, mais aussi par l’envolée que connaissent les taux des obligations italiennes ces derniers jours.
La journaliste Tonia Mastrobuoni évoque le contexte en quelques mots : le pays est placé sous "la surveillance spéciale du FMI et de la Commission européenne". Après la lettre que Silvio Berlusconi a remise à ses partenaires européens le 26 octobre dernier, le Premier ministre italien a en effet annoncé à l’issue du G20, qui s’est tenu les 3 et 4 novembre 2011 à Cannes, que l’Italie a "demandé que le Fonds (monétaire international, ndlr) puisse surveiller, certifier publiquement tous les trois mois l'état d'avancement" des ses réformes. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, avait expliqué auparavant à Cannes que la Commission allait mener une évaluation détaillée et un suivi de la situation italienne, et ce dès la semaine qui devait suivre.
Quant à Yves Mersch, il est "clair et net", ainsi que le résume la journaliste. "L’achat d’obligations devrait être limité en quantité, ainsi que dans le temps, et il devrait avoir pour unique objectif celui de garantir le mécanisme de transmission de la politique monétaire", rappelle en effet le banquier central luxembourgeois qui précise aussi que "si nous constatons que nos interventions sont minées par le manque d’efforts des gouvernements nationaux, nous devons nous poser la question des incitations". "Si le conseil des gouverneurs de la BCE arrive à la conclusion que les conditions qui l'ont poussé à prendre une décision n'existent plus, il est libre de changer d'opinion à n'importe quel moment", ajoute encore Yves Mersch lorsque la journaliste lui demande si cela signifie que la BCE pourrait cesser d’acheter des obligations si l’Italie n’arrive pas à mettre en œuvre les réformes promises.
"Chaque pays a une responsabilité", répond Yves Mersch lorsqu’il est interrogé sur la situation italienne. "Dans la mesure où nombre de décisions économiques sont prises exclusivement au niveau national, on arrive régulièrement à des effets de contagion", estime le président de la BCL qui regrette que l’on continue à prendre des décisions "en tenant compte seulement de l’électorat".
Plus généralement, pour Yves Mersch, "les traités actuels ne sont pas compatibles avec une crise qui a atteint des dimensions européennes". "Nous avons un problème de gouvernance", constate-t-il, jugeant qu’il n’est pas concevable que la légitimation démocratique de certaines décisions soit soustraite au niveau national sans qu’il n’y ait de processus de légitimation au niveau européen. "Nous sommes dans une phase de transition", estime le banquier central pour qui nous devons aller vers une modification des traités se concentrant sur la légitimation démocratique et sur la répartition des responsabilités entre niveaux nationaux et européens, non seulement au niveau du Conseil européen, mais aussi pour le Parlement et la Commission. Yves Mersch évoque une zone euro "orpheline", aucune institution spécifique ne la représentant à l’exception de la BCE. Et il avoue aussi ne pas être convaincu par "le petit théâtre politique auquel nous assistons", lui qui estime nécessaires "des réponses sérieuses".
Quant à savoir si la BCE pourrait devenir "prêteur en dernier ressort", ainsi que le lui demande Tonia Mastrobuoni, Yves Mersch explique que la BCE n’est pas "avide de pouvoir" et ne souhaite pas de mandat supplémentaire, se satisfaisant des tâches qui lui sont attribuées par les traités. "Ce qui nous préoccupe", confie cependant Yves Mersch, c’est de voir "notre devoir aggravé si d’autres secteurs de la politiques, sur lesquels nous n’avons pas le contrôle, ne se conforment pas à leurs responsabilités". "Notre devoir n'est pas de remédier aux erreurs de la politique", conclut Yves Mersch, cassant.
Interrogé enfin sur "le cas Bini Smaghi", membre du directoire de la BCE dont la France souhaiterait qu'il laisse sa place à un Français dans la mesure où Mario Draghi, Italien lui aussi, succède depuis le 1er novembre 2011 au Français Jean-Claude Trichet à la présidence de la BCE, Yves Mersch s’en réfère à "l’esprit des traités" : "chacun de nous devrait laisser son passeport au vestiaire quand il participe aux réunions". Il rappelle ainsi que l’Italien Bini Smaghi, nommé comme tous les autres banquiers centraux à titre personnel et non en tant que représentant de l’Italie, a un mandat de huit années et qu’il n’est pas inscrit dans les traités que "si quelqu’un vient d’un certain Ministère du Trésor il a le droit à un poste au directoire de la BCE". Pour Yves Mersch, il importe que "la politique comprenne que les ambitions nationales ne sont pas acceptables", au nom du respect de l’indépendance de la BCE.