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Justice, liberté, sécurité et immigration
Dans le cadre d’une procédure de retour, les mesures mises en œuvre pour effectuer l’éloignement doivent être "les moins coercitives possibles" selon la CJUE
06-12-2011


CJUELe 6 décembre 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt dans l’affaire"Alexandre Achughbabian / Préfet du Val-de-Marne". Selon l’arrêt de la Cour, la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (dite "directive retour") s’oppose à une législation nationale qui impose une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier au cours de la procédure de retour. La directive prévoit l'adoption, à l'égard de tout ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, d'une décision de retour qui ouvre, en principe, une période de retour volontaire suivie, si nécessaire, de mesures d’éloignement forcé. Cette procédure d’éloignement se traduit par des mesures les moins coercitives possibles. Ce n’est que si l’éloignement risque d’être compromis, que l’État membre peut procéder à la rétention de la personne concernée dont la durée ne peut dépasser en aucun cas 18 mois.

Dans cette affaire, Alexandre Achughbabian, ressortissant arménien, est entré en France en 2008. Suite à une décision préfectorale en 2009, il a ensuite été contraint à quitter le territoire français dans un délai d’un mois pour un départ volontaire. Suite à son refus de quitter la France, une nouvelle décision de retour a été adoptée en juin 2011. Cette décision de retour s’est matérialisée sous la forme d’un arrêté de reconduite à la frontière, non assorti d’un délai de départ volontaire. En outre, les autorités françaises ont ordonné son placement en garde à vue puis sa rétention pour séjour irrégulier, mesures qu’il a contestées devant la justice française.

C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Paris, qui a été saisie de ce litige, a demandé à la CJUE si "la directive retour" s’oppose à une législation française - Article L 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) - qui punit d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros, le ressortissant d’un pays tiers qui séjourne irrégulièrement en France, au-delà de trois mois, non muni des documents et visas exigés, notamment de la carte de séjour.

Même si lors de la saisine, Alexandre Achughbabian n’était plus en rétention au moment de la saisine, la CJUE a toutefois décidé d’examiner cette affaire en procédure accélérée. Le choix d’une procédure accélérée s’explique par le fait que d’autres affaires similaires sont également pendantes devant les juridictions françaises. À ce titre, la CJUE a souligné la nécessité de juger l’affaire dans les plus brefs délais afin d’empêcher d’éventuelles privations de liberté illégales ou de réduire leur durée.

La CJUE ne s’intéresse qu’aux décisions qui rentrent dans le champ d’application de la directive retour

La CJUE a dans un premier temps relevé que la directive – dont l’objet n’est pas d’harmoniser dans leur intégralité les règles nationales relatives au séjour des étrangers – ne porte que sur les décisions de retour et leur exécution.

C’est pourquoi, la directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui qualifie le séjour irrégulier d’un ressortissant d’un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d’emprisonnement.

La directive ne s’oppose pas non plus à un placement en détention en vue de déterminer le caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers.

Néanmoins, les autorités nationales sont tenues d’agir avec diligence et de prendre position dans les plus brefs délais. Une fois l’irrégularité du séjour constatée, ces autorités doivent, en principe, adopter une décision de retour.

Une peine emprisonnement ne contribue pas à réaliser l’éloignement

La Cour a examiné la conformité, avec la directive, de la réglementation française, dans la mesure où elle est susceptible de conduire à un emprisonnement pendant la procédure de retour.

Sur base de l’arrêt "El Dridi" - qui énonce que les États membres doivent aménager leur législation pénale dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier de manière à assurer le respect du droit de l’Union – la CJUE a statué que les États membres ne peuvent pas appliquer une réglementation pénale susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par la "directive retour". Une telle réglementation priverait la directive retour de son effet utile.

Dans la suite de son raisonnement, la CJUE a interprété les termes "mesures" et "mesures coercitives" contenues dans la directive et considère qu’ils se réfèrent à toute intervention qui conduit, de manière efficace et proportionnée, au retour de l’intéressé.

Néanmoins, pour la CJUE, imposer et exécuter une peine d’emprisonnement au cours de la procédure de retour ne contribue pas à réaliser l’éloignement. De ce fait, une telle peine ne constitue donc pas une "mesure" ou "une mesure coercitive" au sens de la directive.

La CJUE conclut donc que le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale permettant l’emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier qui n'a pas été soumis aux mesures coercitives prévues par la directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de l’application de la procédure d’éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention.

Des dispositions pénales peuvent être adoptées mais dans le respect de la directive retour

Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions pénales qui règlent, dans le respect de la "directive retour" et de son objectif, la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier.

Ainsi la directive ne s’oppose pas à ce que des sanctions pénales inscrites dans le droit national soient infligées à des ressortissants de pays tiers auxquels la procédure de retour établie par cette directive a été appliquée et qui séjournent irrégulièrement sur le territoire d’un État membre sans motif justifié de non-retour, sous réserve du respect des droits fondamentaux.

L’arrêt accueillit avec satisfaction par le gouvernement français

Selon une dépêche de l’AFP du 6 décembre 2010, les ministres français de l'Intérieur Claude Guéant et de la Justice Michel Mercier ont "pris connaissance avec satisfaction de l'arrêt".

Les ministres observent que "la CJUE confirme que le recours à la garde à vue en matière de séjour irrégulier est compatible avec le droit communautaire", malgré le fait que cette mesure est parfois contestée par les avocats des étrangers interpellés pour séjour irrégulier.

Pour les ministres français, l’arrêt "ne fait nullement obstacle à ce que les étrangers en situation irrégulière puissent être placés en garde à vue le temps nécessaire pour procéder aux vérifications propres à établir si l'intéressé doit faire l'objet d'une procédure d'éloignement du territoire ou de procédures judiciaires".