Depuis plus d’un an, le Luxembourg a connu un grand afflux de demandeurs d’asile. Les demandes ont triplé en 2011 par rapport à 2010, passant de 786 à 2164 demandes. C’est comme si en Allemagne, 340 000 personnes avaient fait cette démarche, alors que l’Allemagne n’a pas connu en 2011 plus de 46 000 demandes, selon le ministre. Plus de 78 % des demandeurs de protection internationale viennent des pays des Balkans, la Serbie et la Macédoine (cette dernière étant un pays candidat à l’adhésion à l’UE), des pays considérés comme "sûrs". 21,5 % des demandeurs d’asile seulement proviennent des autres régions du monde, « où les crises sont nombreuses et autrement plus virulentes », comme l’a souligné Nicolas Schmit. Ainsi le nombre des demandeurs d’asile venant de pays comme la Tunisie, l’Iran ou l’Irak a tourné autour de 40.
1389 décisions ont pu être prises par des services complètement dépassés par le nombre de demandeurs, de sorte que les bureaux d’accueil pour les demandeurs d’asile avaient été fermés quelques jours en septembre 2011 "parce que la sécurité des lieux ne pouvait plus être garantie", comme l’a avancé le ministre pour justifier sa décision. Derrière ces dossiers et ces chiffres se cachent pour lui "des gens désespérés" qui constituent, avec leurs soucis, "un grand problème pour un petit service". Si seulement 41 personnes se sont vues accorder le statut de réfugié, c’est dû, selon Nicolas Schmit, aux retards que l’afflux de milliers de personnes des Balkans a déclenchés dans le traitement des dossiers en cours. Car même si les dossiers des personnes en provenance d’un "pays sûr" sont plutôt traités selon la procédure accélérée, cette dernière a dû être mise en suspens après la question préjudicielle posée à la CJUE et l’on attend l’amendement de la loi, qui prévoit maintenant un recours unique contre une procédure accélérée, pour réattaquer les dossiers.
Nicolas Schmit a par ailleurs annoncé que six personnes ont bénéficié d’une protection subsidiaire, 145 d’un statut de tolérance, tandis que 494 demandes ont été jugées non-fondées et que 207 personnes ont été soumises à une procédure accélérée- Pour 219 personnes, le Luxembourg s’est déclaré incompétent, et 170 personnes ont été transférées vers d’autres Etats membres de l’UE signataires du règlement Dublin II, mais 42 personnes ont aussi été reçues au Luxembourg sur base de cette même convention. Enfin, 319 personnes, dont 282 des Balkans, ont renoncé volontairement au cours de 2011 à leur demande de protection internationale.
En 2012, 130 personnes avaient demandé une protection internationale entre le 1er et le 27 janvier, et 25 personnes sont venues s’ajouter depuis lors, dont plus de deux tiers en provenance des Balkans.
Les pays les plus visés par cette migration sont, au-delà du Luxembourg, l’Allemagne, la Belgique et la Suède. Entre ces pays, une concertation s’est établie, comme il y a eu aussi de nombreux échanges avec les autorités des pays d’origine des demandeurs d’asile, dont la Serbie. Un groupe de travail a aussi été crée par le Ministère luxembourgeois de l’Intégration avec la Serbie pour travailler, dans le cadre de microprojets dans les domaines de la scolarité et de l’emploi, sur les causes de cette migration dans les localités d’où partent un grand nombre des personnes. Car la situation n’y est pas bonne. Mais, a commenté le ministre Schmit, "cela n’est pas suffisant pour justifier une demande d’asile".
Du personnel supplémentaire a été engagé et un accord a été conclu avec le Bureau européen d’appui pour l’asile pour former le personnel luxembourgeois.
Les demandeurs d’asile déboutés sont censés retourner dans leur pays. Le gouvernement luxembourgeois veut privilégier le retour volontaire par rapport au retour forcé. Les personnes qui sont prêtes à un retour volontaire sont conseillées par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour que leur retour et leur réintégration se passent le mieux possible. En 2011, il y a eu 582 retours, dont 93 ont été assistés par l’OIM. Il y a eu 524 retours volontaires, dont 92 % vers les Balkans. Il y a eu 26 retours forcés, dont 9 vers l’Afrique et 16 vers les Balkans, et 32 retours « semi-forcés », dont 13 vers les Balkans et 10 vers l’Afrique. Plusieurs retours se sont faits avec l’assistance technique de l’agence européenne FRONTEX, qui a organisé des vols communs de retour vers un pays d’origine.
Le Centre de rétention ouvert en août 2011 a accueilli depuis lors 129 personnes. Deux personnes se sont évadées, 47 ont été transférées dans le pays responsable du traitement de leur dossier en fonction de Dublin II, 23 personnes ont été transférées dans leur pays d’origine et 35 ont été élargies, c’est-à-dire libres de disposer d’elles-mêmes. Le centre peut accueillir jusqu’à 88 personnes. Le jour de la conférence de presse, il hébergeait 22 personnes. La durée moyenne d’une rétention a été de 25,5 jours. Les mineurs qui y sont passés, moins d’une dizaine avec leurs parents, n’y sont pas restés plus d’une journée.
Pour le ministre Schmit, l’afflux de demandeurs d’asile des Balkans est facilité par la levée de l’obligation de visas pour l’espace Schengen dans ces pays. Cette facilité avait été accordée à ces pays pour leur montrer qu’ils font partie de l’Europe et qu’ils ont une perspective européenne qui est d’adhérer un jour à l’UE. Que cette facilité allait conduire à un afflux de demandeurs d’asile n’était en rien prévisible. "Sinon elle n’aurait peut-être pas été accordée par certains pays", a-t-il avancé, admettant aussi que les Etats membres de l'UE connaissent toujours trop peu de ces pays.
Nombreux sont les Roms parmi ces demandeurs d’asile. Mais le problème des Roms n’est vraiment thématisé dans l’UE que depuis l’affaire des Roms roumains en France durant l’été 2010. Depuis, la Commission a élaboré une stratégie européenne d’intégration pour les 12 millions de Roms de l’UE. Encore ne concerne-t-elle que les Roms de l’UE. "Cette stratégie n’est pas encore arrivée sur le terrain", pense Nicolas Schmit, pour qui les problèmes en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie, etc. sont loin d’être réglés, et elle n’empêche pas les autres Roms aux frontières de l’UE de migrer. D’autant plus que la crise européenne entraîne les pays de l’UE de la région, dont la Grèce, dans une spirale de la récession. Et pour lui, l’UE ne semble pas trouver un nouveau chemin de croissance et de développement, "et on semble même aller dans l’autre direction".
Les citoyens de l’UE et ceux qui leur sont assimilés comme les Islandais, les Norvégiens, les Suisses et les ressortissants du Liechtenstein ont été 10 559 à recevoir une attestation d’enregistrement et 11 356 à recevoir une attestation de séjour permanent. Il s’agit là de chiffres élevés, mais pas exceptionnels.
Ce qui l’est par contre, et le ministre Schmit l’a relevé avec force, c’est que le nombre de personnes qui demandent une attestation d’enregistrement et qui ne bénéficient que d’un contrat de travail de très courte de durée – entre 2 mois et seulement 2 à 3 jours – est en augmentation, comme le signalent les communes, en émoi, au Ministère de l’Immigration. Ces personnes se retrouvent après quelques semaines, quand elles sont sans travail, sans filet de sécurité sociale, et la seule issue qui leur reste après quelques mois est le revenu minimum garanti ou bien d’autres formes de travail, comme un emploi illégal. En même temps, les classes d’accueil qui prennent en charge les enfants de ces personnes explosent. Bref, "nous sommes en train de reproduire, en période de chômage élevé, le chômage des personnes non-qualifiées du futur."
La plupart de ces personnes viennent du Portugal, un pays en crise profonde où le SMIC est entretemps inférieur à 500 euros, suivis par les Italiens. 4059 personnes sur les 10 559 qui ont reçu une attestation d’enregistrement viennent du Portugal. 1253 sont qualifiées de non-ventilées, 1465 sont des salariés et 1273 des membres de famille. Le ministre a évoqué de longues discussions avec la communauté portugaise qui s’inquiète de l’intégration des enfants de ces familles qui viennent sans contrat de travail solide à la clé, qui s’inquiète aussi de la précarité et de la pauvreté qui sévissent chez ces nouveaux arrivants, avec des personnes qui dorment dans les voitures et sur les chantiers, ce qui est "une situation inacceptable".
Le ministre Schmit a ainsi lancé "un appel aux employeurs qui donnent des contrats de si courte durée et qui exposent ces personnes à une précarité totale et jouent avec leur désespoir". Il a souligné leur responsabilité et dénoncé "cette politique qui consiste à profiter de ces gens". Le ministre a aussi indiqué qu’il se concertera avec les syndicats et le patronat pour que "ces abus cessent".
Interrogé au sujet d’une extrême droite qui se manifeste et d’un discours xénophobe décomplexé qui a gagné le pays sur les questions de demandeurs d’asile et d’immigration, le ministre Schmit a déclaré que "ceux qui essaient de mener une politique xénophobe sont à condamner et à mépriser". Le phénomène a cours dans toute l’UE et constitue un grand défi. Il est pour le ministre possible de démythifier le discours xénophobe en montrant clairement que les gens qui viennent au Luxembourg pour fuir des situations précaires se retrouvent également au Luxembourg dans des conditions précaires. D’autre part, les situations créées par cette migration ne peuvent être acceptées telles quelles. "Le Luxembourg est un pays ouvert, mais il n’est pas acceptable que des milliers de demandeurs d’asile viennent au Luxembourg, alors qu’ils ne peuvent avoir droit à l’asile", a insisté le ministre. Et paraphrasant Michel Rocard, il a déclaré, que "nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, mais en assumer notre part".
NB: Le 29 février 2012, le Ministère de l'Immigration a fait parvenir à Europaforum.lu une annexe au dossier de la conférence de presse du ministre du ministre Nicolas Schmit. "Suite à une erreur matérielle, un des tableaux du dossier contient des données erronées." L'annexe publiée ci-dessous contient les données rectifiées.