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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
La BCL s’en prend durement au climat socio-économique luxembourgeois qui creuse selon elle l’écart entre le Luxembourg et le reste de l’UE
15-03-2012


BCLJean-Pierre Schoder, l’économiste en chef de la Banque centrale du Luxembourg, a présenté le 15 mars 2012 le Bulletin 2012/1 de sa banque. Dans son exposé, il a expliqué les dernières décisions de politique monétaire, la situation économique et les projections économiques dans la zone euro. Il a ensuite présenté les vues de la BCL sur la situation du Luxembourg, abordant l’activité économique, la situation dans le secteur financier, les questions d’inflation, de coûts et de compétitivité, le rapport sur le mécanisme d’alerte présenté par la Commission européenne le 14 février 2012, ainsi que l’évolution du marché du travail. Jean-Pierre Schoder a ensuite exposé les vues de la BCL dans le cadre du débat sur les finances publiques, pour conclure par les résultats provisoires d’une enquête coordonnée au niveau de l’Eurosystème sur le comportement financier et de consommation des ménages.    

La situation dans la zone euro

L’économiste en chef a souligné qu’il est essentiel que la politique monétaire du système des banques centrales et de la BCE de la zone euro se concentre sur le maintien de la stabilité des prix à moyen terme. La zone euro a un objectif : maintenir l’inflation en-dessous de 2 %. Une politique monétaire dans ce sens peut contribuer à la croissance économique et à la création  d’emplois. La BCE a aussi contribué à améliorer la liquidité des banques par deux opérations non conventionnelles en décembre 2011 et en février 2012 de prêts à long terme sur 3 ans. Elle n’a pas haussé son taux de refinancement, de sorte que son principal taux directeur est à 1 % depuis le 8 décembre 2011, (1,5 % entre juillet et novembre 2011, baissé de 0,25 % le 3 novembre 2011) et elle a décidé de réduire le taux des réserves obligatoires de 2 à 1 %.    

La croissance dans la zone euro a été révisée à la baisse, 1,5 % en 2011, une croissance qui "n’est pas particulièrement porteuse", comme l’a dit Jean-Pierre Schoder. Pour 2012, la fourchette de croissance est évaluée entre -0,5 % et +0,3 %, une baisse de 0,4 % par rapport à des projections antérieures. Avec une prévision de croissance entre 0 et 2,2 %, 2013 ne s’annonce guère mieux. L’inflation prévue pour 2012 serait de 0,4 % plus haute que ce qui était escompté, avec des taux entre 2,1 et 2,7 %. Un léger mieux pourrait être espéré en 2013.

La situation au Luxembourg

L’activité économique au Luxembourg a été marquée, selon des chiffres provisoires, par "une dynamique de croissance particulièrement faible, marquée par une baisse de la production industrielle, de l’activité en berne du commerce en gros et par une baisse de la valeur nette d’inventaire (VNI) des organismes de placement collectif. Le 3e trimestre de 2011 évalué sur une base annuelle affiche une croissance de 1,1 %". Yves Mersch, le président de la BCL, note dans sa préface au bulletin : "Au total, le contraste avec la situation prévalant avant la crise – la croissance moyenne a excédé 4 % l’an de 1960 à 2007 – ne pourrait être plus frappant."

La baisse de l’activité industrielle s’est accentuée avec la fermeture de plusieurs sites sidérurgiques, ce qui a entraîné une baisse de 25 % de la production dans ce secteur au quatrième trimestre 2011. Yves Mersch, souligne cela dans sa préface, en écrivant que "l’évolution préoccupante de la production industrielle (…) a encore reculé en 2011 et s’est au total repliée de 18,6 % du troisième trimestre 2008 au dernier trimestre de 2011. Dans le même temps, la production industrielle de la zone euro n’aura reculé ‘que’ d’environ 7,5 %."

Le secteur financier affiche des résultats nets avant impôt inférieurs de 30 % à ceux de 2010, ce qui représente 1,375 milliards d’euros de moins. Cette baisse est liée à la crise des dettes souveraines, aux dépréciations nettes de valeurs qui en découlent, en tout 1,2 milliards, dont 700 millions d’euros sont directement dus à l’impact de la crise grecque. La VNI des OPC a par ailleurs fléchi de 5 % sous l’impact d’une baisse des investissements nets (60 milliards en moins) et à cause des marchés négatifs.   

L’inflation au Luxembourg devrait ralentir en 2012, et descendre de 3 à 2 % sur les quatre trimestres, grâce au versement reporté en octobre de la tranche indiciaire sur les salaires et grâce aussi à la baisse globale de 0,4 % des taxes indirectes. Mais la hausse du prix du pétrole continuera à pousser l’inflation. Yves Mersch note à ce sujet : "Une situation économique maussade tend ceteris paribus à s’accompagner de moindres tensions inflationnistes. Ce n’est malheureusement pas le cas actuellement au Luxembourg. Depuis plus de deux ans, notre taux d’inflation est constamment plus élevé que dans la zone euro et dans les pays limitrophes. En 2011, cet écart défavorable se chiffrait en moyenne à 0,8 point de pourcentage par rapport aux pays limitrophes et à 0,7 points par rapport à la zone euro, soit les écarts les plus élevés depuis 2000. Cette situation a aggravé la sensible dérive de notre compétitivité." Un autre indice problématique pour la BCL, l’écart cumulé avec la zone euro et les pays voisins depuis 1999. Il est de 5 % avec la zone euro, et même de 9 % avec les pays voisins.

En ce qui concerne le marché du travail, Yves Mersch écrit dans le Bulletin que s’il "réagit traditionnellement avec retard aux inflexions conjoncturelles, (il) connaît également une évolution mitigée. En témoigne une hausse de l’emploi qui demeure certes appréciable, mais a connu un ralentissement certain ces derniers mois, ou encore la hausse du chômage observée depuis mai 2011." Un fait important souligné par Jean-Pierre Schoder est qu’il n’y a presque plus d’écart entre la hausse de l’emploi frontalier et celle de l’emploi national, ce qui est un signal fort du ralentissement de la croissance du marché du travail. D’autres éléments sont la recrudescence du chômage partiel début 2012 et un taux de chômage de nouveau en hausse, ce qui renverse la tendance favorable observée début 2011. 

Trois indicateurs du Luxembourg dans le rouge sur le tableau de bord établi par la Commission européenne dans le rapport sur le mécanisme d’alerte du 14 février 2012, mais seul le coût salarial unitaire suscite des commentaires de la BCL 

La BCL aborde ensuite le Tableau de bord établi par la Commission européenne dans le rapport sur le mécanisme d’alerte du 14 février 2012, selon Jean-Pierre Schoder "un exercice statistique qui est basé sur les indicateurs les plus significatifs et qui ont joué un rôle dans la crise". Ces exercices font que des feux rouges s’allument qui méritent une analyse plus fondée. Dans cet exercice, le Luxembourg, qui échappe à cet examen approfondi, est dans le rouge pour trois indicateurs : le solde du compte des opérations courantes, la dette du secteur privé et le coût salarial unitaire nominal (CSU).

Le Luxembourg dépasse de 0,4 points de pourcentage le seuil maximal de 6 % pour ce qui est du solde du compte des opérations courantes, ce qui s’explique, comme le relève la Commission, par les excédents commerciaux liés à la forte spécialisation du pays dans les services financiers. Cela n’est donc pas lié à une faiblesse de la demande intérieure, mais plus à la concentration au Grand-Duché d’activités économiques et d’emplois y liés.

Enfin, la dette du secteur privé (254 % du PIB), qui dépasse largement le seuil de 160 % du PIB, est couplée à d’importants et volatiles flux de crédits au secteur privé. La Commission note que ce phénomène s’explique par les opérations de prêt et d’emprunt au sein des sociétés internationales non-financières qui ont leur siège au Luxembourg et moins par un endettement excessif du secteur privé. La Commission observe d’ailleurs que le niveau d’endettement des ménages est relativement contenu même si les prix de l’immobilier ont connu une forte croissance tout au long de la dernière décennie.

Si le Luxembourg a connu par ailleurs une forte hausse du coût salarial unitaire nominal (+17,8 %, alors que le seuil maximal pour la zone euro est de + 9 %), ce qui traduit une perte de compétitivité liée à de fortes hausses de salaires et une faible croissance de la productivité, la Commission observe que, dans le même temps, le Luxembourg gagne des parts dans l’exportation de services.

La BCL ne retient de ces trois éléments que ce qu’Yves Mersch appelle "le dérapage de ses coûts salariaux unitaires", le plus fort dans l’UE, et il ajoute que « cette situation s’est accompagnée d’une réduction marquée de la part du Luxembourg dans les exportations de biens", presque 20 % sur 5 ans, qui est due selon Jean-Pierre Schoder au double impact de la désindustrialisation et de la pression des pays émergents. Dans un pays qui affiche entretemps un indicateur de concentration qui exprime le degré de spécialisation de son économie allant vers les 0,35, alors que les autres pays de la zone euro évoluent entre 0,2 et 0,25 points, les risques s’accumulent. 

Réformes et finances publiques

Parallèlement à la mise en œuvre prochaine du pacte budgétaire, la BCL recommande au gouvernement luxembourgeois qu’il se donne comme objectif d’équilibre budgétaire un surplus structurel de 1,15 % du PIB à partir de 2015, alors que le gouvernement s’est fixé comme objectif un surplus de 0,5 % du PIB. Ce serait, comme l’écrit Yves Mersch, une "règle d’or à la luxembourgeoise", qui permettrait au Luxembourg de se "conformer aux nouvelles règles européennes – la plupart d’entre elles étant désormais obligatoires – d’une manière pleinement compatible avec les spécificités de notre pays". Le président de la BCL critique par ailleurs "le peu d’empressement à lancer au Luxembourg le débat sur la réforme du cadre budgétaire", qui devrait toucher pour la BCL à la loi du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité  et la trésorerie de l’Etat, à la constitution et aux compétences de la Cour constitutionnelle. Il pense qu’un tel débat garantirait l’appropriation du cadre budgétaire par l’opinion publique. Ce débat est pour lui "inévitable dans la foulée de la signature du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM"..

La réforme des pensions témoigne selon lui du fait que "les autorités n’ont pas encore pris la pleine mesure de la dégradation de la situation". Pour Yves Mersch, le projet de loi déposé à la Chambre des Députés le 20 janvier 2012 est certes "globalement un pas dans la bonne direction et met fin à près de 15 ans d’immobilisme – voire même de recul". Mais il critique que le fait que le projet "se base sur des hypothèses volontaristes, à savoir une croissance du PIB en volume de 3 % l’an se décomposant en une hausse de l’emploi de 1,5 % et une augmentation similaire de la productivité du travail". Et cela alors que la croissance luxembourgeoise a été nettement en-deçà de ces chiffres depuis 2008.