"D’après les partisans de la thèse de la dette implicite, la dette d’un Etat ne retient que les engagements financiers 'explicites', c’est-à-dire l’ensemble des engagements financiers que l’État s’est engagé explicitement à payer, notamment de manière contractuelle, comme ses emprunts. Or, cette dette ne serait pas la véritable dette, puisque, à côté de ces engagements explicites, il existe aussi des engagements dits 'implicites', comme les pensions futures. La dette publique serait donc sous-estimée.", écrit la CSL.
Dans une note de bas de page, la CSL attire l’attention sur le fait que "l’on retrouve cette argumentation dans la 12e actualisation du Programme de stabilité et de croissance du Luxembourg (PSC)" : "A politique inchangée, les dépenses publiques liées au vieillissement démographique augmenteront fortement à partir de 2020 et les passifs implicites du Luxembourg sont donc substantiellement plus élevés que les passifs 'explicites' exprimés par la dette publique brute.(…) En effet, les dépenses publiques liées au vieillissement démographique sont projetées de passer, à politique inchangée, de 20 % du PIB en 2010 à 38 % du PIB en 2060, selon les projections à long terme de l’Inspection générale de la sécurité sociale. Cet accroissement sera essentiellement imputable à hauteur de 85 % à l’évolution des dépenses de pensions (tous secteurs confondus), qui passent de 8,6 % du PIB en 2010 à 23.9 % du PIB en 2060."
La Chambre des salariés place cette discussion sur la dette cachée dans le cadre du débat sur les finances publiques qui travaille actuellement l’UE. Et elle souligne que l’on insiste beaucoup dans ce débat sur l’évolution des dépenses publiques liées au vieillissement, et qu’il est alors fait référence à une dette "cachée".
Pour la CSL, "ces points de vue visent clairement à transformer l’existence du régime public et obligatoire de pension, pilier de la protection sociale déployé pour assurer une sécurité financière institutionnalisée dans la vieillesse, en un problème majeur dans un monde vieillissant."
Mais pour la CSL, "le débat sur la dette implicite est un faux débat puisqu’il se place dans une logique, qui n’est pas celle de la répartition, mais de la capitalisation.* La dette implicite n’a pas de sens dans un régime de répartition, le système qui est la règle au Luxembourg.
Son argument : "Le calcul d’un besoin de financement des déséquilibres futurs (dette implicite ex ante, dette explicite ex post, tax gap, Nachhaltigkeitslücke) a l’inconvénient de suggérer que la norme serait le provisionnement de l’ensemble des déficits futurs à l’heure actuelle. Une telle prudence est très excessive, voire superflue. Dans la pratique, ce sont bien des réformes structurelles (paramètres de systèmes de retraites dont les taux de cotisation et les taux de remplacement) qui permettent d’assurer la soutenabilité du système à long terme au fur et à mesure des besoins."
Cela ne veut pas dire pour la CSL que rien ne va changer. Elle écrit ensuite : "Une cotisation sociale n’est en effet jamais fixée pour l’éternité. De la logique du système par répartition découle, le cas échéant, la nécessité d’augmenter les ressources pour accompagner l’accroissement des dépenses, sans que cela implique d’ailleurs de recourir aux marchés financiers pour ce faire et de s’endetter massivement."
Pour la CSL, cela ne fait donc pas sens de rapporter des dépenses futures au seul revenu d’aujourd’hui.
Un indicateur synthétique comme la dette implicite est pour elle basé sur l’idée d’un ajustement de la dette "en une fois", ce qu’elle juge "complètement irréaliste". Dans la pratique, insiste la CSL, "les ajustements de cotisations et de prestations se font toujours de manière graduelle".
Un autre élément de pratique est de constater qu’il "n’est pas anormal que ces indicateurs aient des valeurs très élevées, très au-dessus de l’ordre de grandeur des ratios dette/PIB usuels". Pour la CSL, "des valeurs élevées ne sont pas en soi un signe de déséquilibre : un système de retraite par répartition a toujours une dette implicite élevée même si on est dans un régime permanent parfaitement équilibré, puisque les recettes couvrent uniquement les prestations des retraités actuels, et non pas celles des retraités futurs." Et de rassurer : "Cette valeur élevée ne serait un motif d’inquiétude que s’il y avait un risque réel d’obligation de fermeture du système, que cette fermeture prenne la forme d’une fermeture immédiate ou d’une fermeture limitée aux nouveaux entrants."
Pour la CSL, la limite de l’indicateur synthétique de la dette cachée "découle de son ambition de ramener à un indicateur unique l’ensemble des déséquilibres futurs" et du fait que l’on fasse 'comme si' on cherchait à résoudre ces déficits en une fois. Bref, il faut "des projections plus détaillées des besoins de financement futurs".
Pour la CSL, "l’indicateur de dette implicite compare deux choses bien différentes : un stock et un flux, la dette totale (explicite ou implicite) étant un stock, et le PIB (que l’on peut associer à un revenu) étant un flux." Par ailleurs, contrairement à toute forme de dette explicite, la dette implicite relative au système de pension public n’est pas "une dette véritablement contractée" mais un ensemble "de promesses de pension dont les paramètres peuvent être adaptés en cours de route et en cas de besoin". Et dans la mesure où l’Etat est un acteur dans ce jeu, il lui reste la possibilité "d’augmenter ses revenus par la voie d’une augmentation des impôts".
D’après un document de l’Institut national de la statistique et des études économiques français (INSEE) sur les engagements implicites des systèmes de retraite de 2006, deux paramètres s’avèrent selon la CSL cruciaux pour l’évaluation de la dette implicite.
Le premier paramètre est le taux d’actualisation. "Plus ce taux est élevé, plus la 'dette implicite ex ante' est faible : pour faire face dans le futur à un même besoin de financement, on a besoin de placer aujourd’hui moins d’argent si les rendements futurs sont plus élevés. Dans les calculs du document de l’INSEE, les taux d’intérêt sont exprimés en écart au taux de croissance du PIB. Ici intervient donc la discussion sur les taux de croissance du PIB réel et du PIB nominal. On ne peut pas simplement affirmer que la croissance du PIB nominal est la multiplication du taux de croissance du PIB réel par le taux d’inflation, étant donné qu’au Luxembourg, depuis 2006, il existe une grande différence entre l’évolution du déflateur du PIB et du taux d’inflation."
Le deuxième paramètre est l’horizon de calcul. "Les résultats sont évidemment différents selon le choix de la date choisie de l’horizon. On peut en outre effectuer des calculs à horizon infini", écrit la CSL, concluant que "dans ce cas, les projections sont encore plus défavorables".
Autre critique : "L’indicateur ne saisit en outre pas toujours bien l’incidence des changements démographiques, par exemple les chocs sur la fécondité. Ainsi, une chute de la fécondité à une date donnée n’a aucune incidence sur l’indicateur durant une vingtaine d’années puisqu’elle ne change ni le nombre d’actifs, ni le nombre de retraités, ni les droits des uns et des autres. Le ratio 'droits acquis/PIB' est donc totalement myope quant aux conséquences de ce type de choc. Il ne commence à évoluer que lorsque les premières générations creuses entrent en activité, et il ne le fait qu’en raison d’un effet dénominateur, à savoir le fait que des engagements implicites presque inchangés sont rapportés à un PIB qui freine ou se contracte."
Bref, pour la CSL, "la dette cachée est bien un mythe".