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Economie, finances et monnaie
Yves Mersch réclame des réformes budgétaires et structurelles rapides pour freiner l’endettement, l’appauvrissement et le décrochage économique du Luxembourg
14-12-2011


Yves Mersch, présentation du Bulletin 2011/3 de la BCL, 14 décembre 2011 à LuxembourgLa présentation du Bulletin de la BCL – cette fois-ci le numéro 3/2011 - est à chaque parution l’occasion pour le président de la BCL, Yves Mersch, de présenter ses observations macroéconomiques sur la zone euro et le Luxembourg.

La situation économique dans la zone euro s’annonce dure pour 2012, avec une croissance révisée à la baisse de oscillant selon les statistiques de l’Eurosystème entre -0,4 et 1 % seulement, avec des projections modestes pour 2012 entre 0,3 et 2,3 %, avec des risques que de nouvelles révisions à la baisse interviennent. "Le retour à une croissance positive sera lent en 2012 et affectera aussi 2013", a conclu Yves Mersch. Un point d’optimisme : certains indicateurs suggéreraient que le plancher semble être atteint. Quant à l’inflation, le retour à une certaine croissance et l’augmentation des prix se tiendraient en équilibre.     

L’évolution du PIB au Luxembourg

Tout le monde, y compris lui-même, a cru que le Luxembourg était sur le chemin de la reprise, a admis le président de la BCL. En fin de compte, la croissance du PIB luxembourgeois sera "extrêmement modeste", comme le montre la révision des projections d’octobre du STATEC, qui passent de 4 à 1,7 % pour 2011, et la BCL croit plus encore sur base de ses calculs à une croissance de 1,6 %. Cela affectera l’année 2012, vers laquelle peu d’acquis de croissance pourront être transportés, et où la croissance ne dépassera pas, selon la BCL, le 1 %. Peu de croissance, beaucoup d’inflation, résume Yves Mersch, pour qui la révision des comptes nationaux publiée en octobre montre encore plus à quel point la situation est grave avec le ralentissement, voire la stagnation depuis 2009 qui en ressort. Dans l’éditorial du Bulletin, il écrit même que "selon les nouvelles projections macroéconomiques de la BCL, le PIB en volume sera à peine plus élevé en 2012 qu’en 2007." Ce processus témoigne pour lui d’un "appauvrissement du pays en termes relatifs et absolus".

Le décrochage par rapport à l’Allemagne

Le décrochage par rapport à l’Allemagne constitue une autre préoccupation pour Yves Mersch. "La croissance luxembourgeoise devrait être tout juste équivalente à la croissance allemande sur la période de trois ans 2011-2013", note-t-il. Or, au cours de l’épisode « pré-crise » 1995-2007, la croissance luxembourgeoise avait en moyenne excédé de 3,4 % par an le chiffre allemand correspondant. "Le décrochage est plus sensible encore en termes de PIB réel par habitant", relève Yves Mersch. Ici, le Luxembourg, dont la population augmente, perd 8 % en PIB par rapport à 2007, et 12 % par rapport à la hausse du PIB par habitant en Allemagne. Et pour 2011-2013, les projections de la BCL disent que "cet indicateur accuserait pour le Luxembourg un recul cumulé de l’ordre de 5 % par rapport à l’Allemagne". De même, le différentiel d’inflation en défaveur du Luxembourg devrait selon Yves Mersch atteindre près de 1 % par an en moyenne par rapport à l’Allemagne de 2011 à 2013.

L’activité économique

Autre surprise de l’intervention d’Yves Mersch : l’activité économique laisse augurer une récession technique au second semestre 2011, de l’ordre de 0,1 % au 3e et de 0,2 % au 4e trimestre. Même s’il dit lui-même qu’il faut interpréter cette projection avec prudence, elle est basée sur un indicateur sensible aux retournements économiques et qui a l’avantage d’être très actuel. Mais les chiffres des banques sont "tout sauf roses", et dans l’industrie des OPC, l’on assiste, selon le chef de la BCL, à des retraits de fonds et des diminutions de valeur "sans précédent". Les indicateurs de confiance de l’industrie, dont la production n’a plus rejoint le volume de 2005, n’ont cessé de chuter depuis 2007. Seule la confiance des ménages semble avoir atteint un plancher. Mais cela reste à voir.

Inflation, coûts et compétitivité

Selon la BCL, l’inflation devrait avoir atteint son pic en décembre 2011 et reculer à partir du 2e trimestre 2012. Cela n’empêchera pas le Luxembourg "de compter parmi les cancres de la zone euro", car l’inflation va se stabiliser à un niveau élevé, en raison des prix élevés des services qui sont eux dus, selon Yves Mersch, aux coûts salariaux. Le président de la BCL a qualifié le système de formation des salaires qu’est l’indexation des salaires de "déconnecté de la productivité et des réalités économiques". L’indexation des salaires entre pour deux tiers dans la croissance du coût salarial moyen, ce qui se traduit à ses yeux par une hausse du chômage. Et cela ne va s’améliorer à politique inchangée. Au sein de la zone euro, les coûts salariaux luxembourgeois "se singularisent", affirme Yves Mersch, parlant du Luxembourg comme d’un pays "qui envoie ses salaires à la lune". Cette tendance "met en danger la capacité d’appartenance du Luxembourg à la zone euro" s’il ne réagit pas rapidement à ces différentiels substantiels avec les autres pays de la zone.

Le marché du travail

L’emploi au Luxembourg continue de croître avec 10 400 emplois nets en 2011, surtout dans les services, les services publics, le commerce, moins dans le secteur financier. Mais cette croissance se tasse. Aussi Yves Mersch se demande s’il est justifiable que l’on engage tant dans le secteur des transports, "le plus subsidié d’Europe, avec tous ces bus qui circulent, souvent vides, dans tout le pays", et qu’il y ait par ailleurs tant d’emplois dans le secteur public. La durée des périodes de chômage augmente, le chômage des salariés au-delà de 45 ans, le chômage des jeunes, le chômage des personnes à basse qualification ont tendance à devenir structurels.

Les finances publiques

Yves Mersch est d’avis, au vu du développement de la dette publique et du déficit budgétaire, que les vraies économies budgétaires n’ont pas encore été attaquées. Alors qu’au Conseil européen, le Luxembourg s’est engagé à ne pas dépasser un déficit structurel de 0,5 %, ce déficit atteint actuellement 0,7 % selon les chiffres mêmes du projet de budget 2012 (p. 25). Le déficit de l’Administration centrale, de 2,6 % entre 2011 et 2013, est sous la pression de l’excédent sur le recul de la sécurité sociale. Bref, sans économies budgétaires et sans réforme de la sécurité sociale, notamment du système de pensions, la dette augmente de trimestre en trimestre, de sorte que le risque de l’effet de boule de neige se rapproche à grands pas, d’autant plus que la croissance ralentit.            

Dans l’éditorial du Bulletin, Yves Mersch note ainsi qu’à l’affaissement des indicateurs macroéconomiques va s’ajouter une forte hausse tendancielle des dépenses de santé et de pension. "Notre actuel excédent de la sécurité sociale est purement virtuel, comme chacun le sait", indique-t-il avant de poursuivre qu’il "laissera à terme la place à de substantiels déficits, du moins en l’absence de mesures nouvelles". A ses yeux, la détérioration structurelle de la situation budgétaire de l’Administration centrale et les déficits futurs de la sécurité sociale requièrent sans tarder un assainissement budgétaire d’envergure. Comme elle l’indique dans son avis sur le projet de budget, la BCL considère qu’un excédent structurel des Administrations publiques d’au moins 1,15 % du PIB s’impose pour 2015 au plus tard, parallèlement à une réforme d’envergure des pensions. "En l’absence d’une telle réforme, le surplus structurel requis dès 2015 afin d’éviter une explosion de l’endettement se monterait non pas à 1,15 %, mais à plus de 4 % du PIB", calcule Yves Mersch qui évalue que les mesures requises sur la période 2012-2015 afin d’assurer le respect de cet objectif de 4 % du PIB se monteraient à quelque 7 % du PIB, ce qui illustre à ses yeux l’ampleur des défis auxquels fait face le Luxembourg.

Dans une simulation, la BCL montre que si rien n’est entrepris avant que la dette publique ne passe à 30 % du PIB, donc autour de 2017, l’effort cumulé de consolidation requerra jusqu’à 16 % du PIB en 2040. Si une stratégie proactive qui passe immédiatement à l’assainissement est menée, elle absorbera de manière constate 8 % du PIB. Et si une telle stratégie suspend l’ajustement des pensions aux salaires réels – la dite "péréquation" pour toute une génération, l’effort serait de 4 %. Mais il vaudrait mieux, admet Yves Mersch, "répartir l’effort".

Pour enfoncer le clou, Yves Mersch a abordé dans son exposé l’étude de la Stiftung Marktwirtschaft sur des finances publiques durables qui analyse les dettes implicites ou cachées de 12 pays de la zone euro (à l’exception de Chypre, de l’Estonie, de Malte, de la Slovaquie et de la Slovénie). Le ranking de la fondation allemande se base sur l’addition entre les dettes publiques et les engagements à long terme, et là, l’Italie est en tête du classement avec peu d’engagements en pourcentages d’engagements à long terme, avec un besoin d’effort cumulé de consolidation de 2,4 % du PIB. Le Luxembourg se place derrière la Grèce et juste avant la lanterne rouge, l’Irlande, avec une dette publique de 19,1 % augmentée des engagements à long terme de l’ordre de 1096,% du PIB, le déficit en termes de durabilité arrivant donc au chiffre de 1115,6 % de PIB ou 12 % de PIB en termes d’effort cumulé de consolidation. (voir version courte de l'étude)   

Le prix de l’immobilier résidentiel

Regrettant qu’il y ait si peu de statistiques sur un secteur aussi important pour le Luxembourg que l’immobilier résidentiel, Yves Mersch a souligné l’intérêt que la BCL portait désormais à ce secteur. Les prix dans ce secteur ont augmenté en moyenne presque deux fois plus que la croissance du PIB et quatre fois plus que l’augmentation de la population. L’offre reste en retrait, même si l’augmentation des prix connaît une limite actuellement. L’immobilier est de plus en plus divisé, vu les ménages qui deviennent plus petits – singles, familles monoparentales. Les Luxembourgeois de souche détiennent ou se soutiennent dans l’acquisition des biens immobiliers de génération en génération, mais les nouveaux arrivants ont des difficultés à entrer sur le marché s’ils n’ont pas un capital de départ et doivent payer le prix fort. Cela finit par poser aussi un problème intergénérationnel.

Les comptes financiers des ménages

La BCL a aussi analysé les avoirs et engagements financiers des ménages résidents. Alors que le patrimoine financier des ménages est passé en termes d’actifs financiers de 38 milliards d’euros en 2006 à 56 milliards en 2010, et en termes de patrimoine financier net de 26 à 35 milliards jusqu’en 2010, la BCL constate qu’au deuxième trimestre de 2011, il y a eu un tassement du patrimoine financier net (avoir moins les engagements) des ménages qui est passé de 35 millions d’euros fin mars à 33 millions d’euros fin juin.

La BCL note dans son bulletin (p. 91) que "les actifs des ménages luxembourgeois sont majoritairement composés de dépôts (48 % du total fin juin 2011), d’actions et autres participations (22 %) et d’obligations (12 %)." Or, au second trimestre 2011, il y a eu des ventes nettes de titres, tant de titres à revenus fixes (- 822 millions d’euros) que de titres à revenus variables (- 99 millions d’euros) et des effets de prix et de taux de change défavorables qui ont conduit à une diminution des avoirs, qui sont passés de 56,5 milliards d’euros en mars à 55 milliards d’euros en juin. Par ailleurs, les passifs des ménages, qui sont exclusivement composés d’emprunts, dont les crédits immobiliers représentent près de 85 %, ont vu ces crédits progresser à un rythme moyen de 2,2 % par trimestre, comme depuis 2006.  Mais en gros, les ménages des résidents du Luxembourg sont plus créditeurs que débiteurs. Recourir à leur encontre à une politique inflationniste serait une grande erreur et essuierait un refus massif, a estimé Yves Mersch

Au gré des questions

BCLRépondant aux questions des journalistes, Yves Mersch a expliqué son rôle dans le cadre de la crise. La BCL analyse les grands déséquilibres macroéconomiques, y compris ceux de la sécurité sociale. Elle peut montrer des mesures, mais à titre explicatif. Il ne lui appartient pas de faire des recommandations. Il appartient aux politiques de faire ces choix "pour mener le pays à bon port". Ceci dit, Yves Mersch a constaté que malgré les promesses d’équilibre budgétaire, « nous ne sommes pas sur le chemin du cap indiqué ». Bref, il doit montrer "tous les éléments par lesquels le Luxembourg se distingue", où les efforts sont inférieurs aux engagements, où des dépenses sont importantes, mais ce n’est pas nécessairement ces dépenses-là qu’il faut couper, si elles sont justifiées. "C’est ici tout l’art de la politique de présenter des choix aux électeurs", a-t-il observé.

Quant aux risques que le Luxembourg court dans la zone euro, Yves Mersch a rappelé les engagements pris par le pays : "Ce qui a été décidé doit être appliqué au Luxembourg. Le Luxembourg n’influence certes pas par sa taille ses grands voisins, mais il n’y a pas d’exceptions. Les petits pays et les grands pays doivent appliquer les mêmes règles."

Yves Mersch a aussi estimé que le Luxembourg n’est ni en conformité avec les critères de Maastricht ni avec d’autres engagements. Son inflation n’est pas en accord avec Maastricht, son déficit budgétaire n’est pas en accord avec les objectifs à moyen terme (OMT) auxquels il s’est engagé – entre 0,75 % et 1,5 % - et la rapidité de la dégradation de ses finances publiques est en train de s’accélérer, de sorte que "chaque trimestre de retard rend les choses plus difficiles pour rattraper le train européen". S’il n’y a pas de réformes structurelles, Yves Mersch estime que le Luxembourg risque d’être "mis en tutelle par l’étranger", car seule sa santé macroéconomique lui assurera son indépendance. 

Le président de la BCL n’a pas voulu se prononcer sur le nouvel accord intergouvernemental avant de l’avoir lu. Mais les propositions mises sur la table ressemblent selon lui à celles présentées aux négociations du traité de Maastricht en 1990 et du pacte de stabilité en 1996. "Rien de nouveau" donc, sinon plus de pouvoirs pour la Commission et moins de pouvoirs discrétionnaires pour les Etats membres pour renforcer le respect des règles.

Il n’a pas non plus été en mesure d’expliquer les effets sur le Luxembourg de l’avancement de la création du Mécanisme de stabilité européen (ESM) vers 2012. Le versement des garanties vers le FMI sont elles censées passer par la BCL, mais ne doivent pas être tirées sur le capital de celle-ci, pense son chef. La BCL a déjà essuyé assez de pertes en étant obligée de racheter des obligations des pays du Sud de l’UE. Et pour répondre à une question sur l’impact des décisions du Conseil européen sur le budget du Luxembourg, Yves Mersch a dit sèchement que "je n’imprimerai pas de l’argent pour honorer des engagements pris à Bruxelles". Il préférerait par contre que le capital de la BCL soit augmenté et que l’on sache qui, au Luxembourg est responsable de la surveillance macro-prudentielle. "Il n’y a sur toutes ces choses pas de discussion fondamentale, et rien n’est mis en œuvre", regrette-t-il.

La tâche de la BCL est d’assurer la stabilité économique en toute indépendance, a expliqué finalement Yves Mersch, interpellé sur la valeur de la lutte contre l’inflation. L’inflation, a-t-il expliqué, est socialement des plus injustes. Il faut veiller à garder les sociétés européennes basées sur les classes moyennes dans le giron de la démocratie, et cela passe aussi par la lutte contre l’inflation. Les taux d’intérêts de facto négatifs ont déjà largement entamé les avoirs des citoyens. Cela ne saurait durer encore longtemps. D’autre part, l’initiative de la BCE du 8 décembre 2011 pour améliorer l’accès des banques européennes aux liquidités a elle aussi contribué à la stabilité dans l’UE. La baisse des taux qui est liée n’a d’ailleurs pas encore été répercutée sur les clients des banques au Luxembourg, a-t-il remarqué.