A la veille d’une réunion de l’Eurogroupe et d’un Conseil européen qui va se tenir dans la foulée, Jean-Claude Juncker a dialogué, en sa qualité de président de l’Eurogroupe, avec la commission ECON du Parlement européen qui siégeait à Bruxelles le 29 février 2012. Les grands sujets qu’il a abordés étaient la Grèce, le mécanisme européen de stabilité (EMS) et la décision prise par le gouvernement irlandais de soumettre le nouveau Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, plus connu sous le nom de "pacte budgétaire", et qui sera signé le 2 mars 2012 à Bruxelles, à un référendum de ratification.
C’est dans "un style télégraphique" que Jean-Claude Juncker a fait le point sur la Grèce. Le 21 février 2012, l’Eurogroupe a eu un accord de principe sur le 2e programme d’aide à la Grèce sur un volume total de 130 milliards d’euros avec le double but d’assurer la soutenabilité de la dette grecque et de relancer l’économie et la compétitivité du pays. Il a aussi eu un accord sur contribution du secteur privé – "du jamais vu et du jamais répétable dans l’Union", a insisté Jean-Claude Juncker - et cette contribution, décidée au Conseil européen d’octobre 2011, a été augmentée de près de 76 %. Le but de l’opération : ramener la dette publique grecque en 2020 de 189 % à 120,5 % du PIB par un exercice de correction qui conduira à une réduction progressive de cette dette.
L’implication du secteur privé, le PSI, a été lancée le 24 février 2012 et ses résultats seront connus autour du 9 mars prochain. Le taux de participation du secteur privé devra atteindre 66 % pour que le 2e programme d’aide puisse être déclenché. Une fois le résultat de l’appel à participer au PSI connu, une décision sur le PSI « en bonne et due forme » devra être prise qui sera alors transformée en décision sur le 2e programme pour la Grèce, cela autour du 12 ou 13 mars 2012.
Le gouvernement grec informera l’Eurogroupe et le Conseil européen le 1er mars sur l’évolution en Grèce, en particulier sur les nouvelles décisions législatives et les actions prioritaires qui ont été des conditions pour que le 2e programme puisse être lancé. Même si les Grecs n’avaient "toujours pas répondu positivement" le soir du 29 février 2012, Jean-Claude Juncker s’est dit "confiant". Et il a continué : "Tout cela devra être finalisé vers la mi-mars car le premier versement dans le cadre du 2e programme doit se faire au plus tard le 20 mars." Se refusant à parler d’un 3e programme d’aide à la Grèce, il a expliqué que le 2e programme avait été renforcé dans l’intention d’assister et non d’humilier la Grèce, et c’est pourquoi la proposition a été faite de renforcer aussi en ressources humaines la task force, notamment dans le domaine du recouvrement des impôts.
Un compte spécial pour le service prioritaire de la dette grecque sera mis en place, et ce compte devra entrer dans législation grecque, a ajouté Jean-Claude Juncker.
Il a conclu en disant qu’il "faut consolider les finances publiques grecques, cela est évident, mais la réponse à fournir n’est pas seulement de faire des coupes budgétaires, il faut aussi une véritable stratégie européenne de croissance pour la Grèce pour laquelle il faut mobiliser le plus de moyens techniques et financiers possibles." Et il a ajouté plus tard : "Arrêtons d’humilier le peuple grec et concentrons-nous sur les politiques de croissance dont la Grèce a besoin."
Lors de la discussion, Jean-Claude Juncker a été interpellé par un eurodéputé grec, qui lui reprochait de mette en garde contre le fait que les extrémistes puissent avoir la majorité en Grèce après les élections d’avril 2012. Car cela voudrait dire que les électeurs grecs ne pourraient voter "que pour ceux qui prônent l’austérité ou ceux qui ont sauvé les banques". Pour l’eurodéputé, il s’agit là d’une "proposition de démocratie sélective". Or, pour l’eurodéputé, les petits partis grecs ne sont pas forcément des partis extrémistes. Jean-Claude Juncker a réagi vivement, disant que "si cela vous arrange de présenter mes propos ainsi, je n’ai aucune chance. Je ne fais pas campagne pour les deux grands partis grecs. Ces deux partis forment la coalition actuelle. Je leur ai demandé la signature de leurs leaders, mais je n’ai pas pu courir derrière toutes les sensibilités politiques grecques. Si les autres ont la majorité et n’acceptent pas le programme après les élections, le programme est terminé. Il y a une règle, celle de la continuité du service public. C’est un principe."
Reprenant devant les eurodéputés ses déclarations aux quotidiens "Die Welt" et "La Libre Belgique", Jean-Claude Juncker s’est de nouveau prononcé "contre l’envoi d’un commissaire à la rigueur", mais "pour l’envoi d’un commissaire chargé de la relance et de la croissance en Grèce", car pour lui, "le désespoir du peuple grec est si grand qu’il faut lui prouver qu’il y a un commissaire qui s’occupe uniquement de la mise en place d’une stratégie de croissance en Grèce". Sa proposition a été rejetée le même jour par le Premier ministre grec, Lucas Papademos, qui se trouvait lui aussi à Bruxelles pour une réunion avec le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. "Le nouveau programme économique de la Grèce sera mis en œuvre par le gouvernement grec et les autorités grecques", a déclaré ce dernier devant la presse. "Ce faisant, nous saluons le soutien de la Commission européenne, des commissaires eux-mêmes et des services de la Commission et je pense que cela suffit comme ça", a ajouté Lucas Papademos en réponse à une question sur la proposition de Jean-Claude Juncker.
L’EMS a été mis en place par le traité du 2 février 2012 qui prend en compte certains changements depuis sa première mouture, comme la compatibilité avec les autres traités européens, les nouveaux instruments de l’EFSF, la participation exceptionnelle du secteur privé et le passage du vote à la majorité qualifiée de 85 % selon les situations. Il est censé entrer en vigueur en juillet 2012.
Jean-Claude Juncker a précisé que l’EFSF continuera à financer les projets existants, mais qu’il ne pourra plus intervenir après la mise en place de l’EMS. Le Parlement européen, a-t-il assuré les eurodéputés, sera informé sur la mise en place de l’EMS et sur ses actions. "Le traité ne le prévoit pas, mais il me semble évident qu’il faudra vous faire part des réflexions liées à la mise en place et à l’action de l’EMS", a-t-il précisé.
Il faudra selon lui "distinguer les étapes et les enjeux". La mise en place de l’EMS s’effectuera entre juillet 2012 et 2013. Sa capacité financière s’élèvera alors à 500 milliards d’euros. Au cours du mois de mars 2012, le montant de ses capacités sera néanmoins revu. Ce n’est donc pas au Conseil européen des 1er et 2 mars 2012 qu’il y aura une décision à ce sujet, mais au cours du mois de mars.
La capacité de l’EMS dépendra du rythme de paiement du capital libéré, a précisé Jean-Claude Juncker. "D’abord cela devait être une seule tranche intégrale. Puis on a décidé que ce serait sur cinq tranches. Il s’est avéré que cette approche était trop timide et trop modeste. Nous nous apprêtons à décider d’accélérer le rythme de paiement, et j’ai bon espoir de penser que le capital libéré sera payé en deux tranches", a-t-il narré. Sa position et ses espoirs: "Si on veut donner du tonus et une capacité de réactivité à l’EMS, il faudra accélérer le paiement du capital libéré. Tous les Etats membres ne sont pas d’accord pour le faire, mais on arrivera à une décision qui nous permettra d’avancer." Et encore : "Je plaide pour le transfert des fonds non utilisés de l’EFSF vers l’EMS et nous devrions prendre de notre côté toutes les mesures qui renforceront l’EMS."
Jean-Claude Juncker n’a pas voulu faire de remarque au sujet de la décision de l’Irlande de procéder à un référendum pour faire ratifier le pacte budgétaire, même si cette annonce n'est "pas de nature à stabiliser dans son ensemble la zone euro". Il a appelé à respecter la démocratie de l’Irlande, soulignant que vraisemblablement, ce référendum n’aurait "pas lieu sous peu". Il a aussi rappelé qu’il y a un pont entre l’EMS et le pacte budgétaire, et que seuls les Etats membres qui auront ratifié le pacte budgétaire pourront bénéficier de l’EMS. Mais pour Jean-Claude Juncker, il n’y a pas ici de problème en vue, car il n'y a "pas de raison de croire que l'Irlande aura besoin de l’EMS".
Aux craintes de l’eurodéputée libérale Sylvie Goulard que "l’exercice cloisonné de la démocratie en Europe" risque de "démolir l’Europe" et "décrédibilise l’Union auprès des marchés", Jean-Claude Juncker a répondu "que les marchés financiers doivent respecter la démocratie". Et de renchérir : "J’en ai marre que nous devons nous interroger à cause des réactions des marchés financiers, alors qu’eux nous dérangent au quotidien. Certes, le recours à un référendum n’est pas de nature à stabiliser la situation politique de l’Union, mais cette fois-ci, il ne faut pas se faire trop de soucis."
Interrogé par l’eurodéputée et ancienne commissaire européenne Danuta Hübner qui voulait savoir si un référendum négatif en Irlande n’aurait pas pour conséquence que le pacte budgétaire ne puisse être incorporé au traités européens de base, Jean-Claude Juncker a répondu que "même si l’Irlande dit non, la question sera reposée au souverain populaire si nous voulons introduire par la suite ces dispositions dans les traités. Le peuple irlandais devrait s’exprimer une deuxième fois, comme il en a l’habitude."