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Economie, finances et monnaie
Jean-Claude Juncker suggère qu’un commissaire européen soit chargé de la reconstruction de la Grèce
29-02-2012


Le 27 février 2012, le président de l’Eurogroupe convoquait pour le 1er mars 2012 dans l’après-midi, en amont du Conseil européen, une réunion des ministres des Finances de la zone euro. Il s’agit de faire le point sur l’opération d’échange de titres grecs en cours dans le cadre de la participation du secteur privé à la stabilisation de la Grèce, ainsi que sur la mise en œuvre des actions préalables par les autorités grecques. Un peu plus tard dans la soirée, Jean-Claude Juncker disait "prendre note" de la décision de l’agence de notation Standard & Poors d’abaisser la note de certaines obligations grecques au niveau "défaut de paiement sélectif" (SD), un développement anticipé et pris en compte selon lui dans la planification de l’opération d’échanges d’obligations grecques lancée dans la soirée du 24 février 2012.

Pendant ce temps, la Grèce poursuit ses efforts pour remplir ses obligations afin de pouvoir bénéficier du deuxième programme d’aide financière sur lesquels se sont entendus les ministres des Finances de la zone euro le 20 février dernier. Le Parlement grec a ainsi voté dans la soirée du 28 février une loi prévoyant de nouvelles coupes budgétaires dans le budget 2012 requises par ses partenaires.

Dans ce contexte pour le moins agité, les bourses affichaient pourtant un certain enthousiasme dans la matinée du 29 février 2012, dans l’attente de la deuxième opération de refinancement à trois ans de la Banque centrale européenne, la première du genre ayant eu lieu en décembre 2011

Tel était, esquissé à gros traits, le tableau de fond devant lequel le quotidien allemand Die Welt publiait le 29 février 2012 un entretien que Jean-Claude Juncker a accordé aux journalistes Stefanie Bolzen et Florian Eder. Le même jour, la Libre Belgique rapportait elle aussi les propos échangés par le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe et les journalistes Marc Vandemeier et Oliver Bussy.

Jean-Claude Juncker n’exclut pas un troisième plan d’aide à la Grèce, qui pourrait être de moindre envergure

Première question de la rédaction allemande, "à quand un troisième plan d’aide à la Grèce ?", et ce alors que le Bundestag vient tout juste de voter en faveur du deuxième. "On ne devrait pas défaire de son importance le deuxième plan d’aide en réfléchissant déjà à un troisième", répond Jean-Claude Juncker qui admet qu’il s’agit pourtant de ne "pas exclure un troisième plan, même s’il devait être de moindre envergure". Le président de l’Eurogroupe explique en effet que le FMI, qui accorde une grande attention à la soutenabilité de la dette, ne contribuera au deuxième plan d’aide qu’à condition que "la zone euro se tienne prête à soutenir la Grèce au-delà". Cela ne signifie pas pour autant que la Grèce ne soit pas en mesure d’atteindre un volume de dette qui soit tenable, comme l’entendent les journalistes allemands, mais, que "la zone euro doit honorer les obligations qu’elle s’est elle-même données". "On ne peut pas prévoir de façon précise comment les choses vont évoluer", poursuit Jean-Claude Juncker qui souligne que personne ne sait exactement de quoi aura l’air la courbe de croissance en 2012, et qu’il est donc pour le moins difficile de l’anticiper pour 2020.Une interview de Jean-Claude Juncker publiée le 29 février 2012 par la rédaction du quotidien Die Welt

Comme le rappelle le président de l’Eurogroupe, interrogé sur la capacité de la Grèce à se rétablir, les mesures prioritaires sur lesquelles le gouvernement grec s’est engagé comptent des réformes structurelles importantes, qui peuvent et doivent donner un élan à la croissance, et pas seulement des mesures de consolidation. "Mon impression ferme, et elle était moins solide il y a plusieurs semaines, est que les partis politiques à Athènes ont compris qu’un élan de réforme est requis", affirme Jean-Claude Juncker lorsque Stefanie Bolzen et Florian Eder l’interrogent sur son degré d’optimisme. Il rappelle d’ailleurs les engagements des socialistes et des conservateurs, dont il doit rencontrer le leader, Antonis Samaras, le 1er mars. "J’accorde une grande valeur aux garanties écrites fournies par les deux grands partis", insiste Jean-Claude Juncker qui n’a pas jugé raisonnable d’exiger de telles garanties des partis extrémistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, car cela aurait été "leur donner du pouvoir sur le programme" d'ajustement.

"J’ai eu des doutes", reconnaît Jean-Claude Juncker, "et je me suis efforcé de les écarter"

"L’Europe a tenu sa promesse de solidarité, avez-vous été déçus par les Grecs ?", demandent encore les journalistes du quotidien allemand. "On ne peut pas faire comme si, pendant le premier programme, les Grecs s’étaient prélassés dans leur hamac", souligne le président de l’Eurogroupe qui admet cependant que cela n’a pas été suffisant, certains éléments étant venus trop tard, tant et si bien "que peu à peu j’ai commencé à perdre patience avec nos amis grecs, et je n’ai pas été le seul". "L’Eurogroupe s’est divisé entre les impatients et les plus du tout patients", ce qui a impressionné le gouvernement grec, raconte le président de l’Eurogroupe. "J’ai eu des doutes", reconnaît Jean-Claude Juncker, "et je me suis efforcé de les écarter". Mais à aucun moment il ne s’est occupé de laisser la Grèce sortir de l’euro. "Je me heurte là à la frontière derrière laquelle commence ma peur", explique Jean-Claude Juncker qui se fait une idée assez précise de ce que cela signifierait pour la Grèce, mais ne sait pas quelles conséquences cela aurait pour la zone euro et l’économie mondiale.

Jean-Claude Juncker en première page de La Libre Belgique, dans l'édition du quotidien datée du 29 février 2012"En Grèce, nous serions très rapidement confrontés à une rébellion sociale dans tout le pays, ce qui me semble déjà être, dans cette région tumultueuse de l'Europe, un argument suffisant pour éviter à la Grèce de devoir faire ce funeste choix", précise Jean-Claude Juncker aux journalistes de la Libre Belgique. Comme un écho à la formule d’Angela Merkel, Jean-Claude Juncker lance que "si les Etats membres n'étaient pas prêts à prendre un risque, nous en prendrions un plus grand encore", car à ses yeux, "ceux qui imaginent que la Grèce va un jour quitter la zone euro et se débrouiller avec ses propres démons laissent la porte ouverte à une aventure incontrôlable".

Jean-Claude Juncker a par ailleurs rappelé aux journalistes de La Libre Belgique qu’une "surveillance rapprochée, avec un "reporting" quasi mensuel de la troïka qui dira, le cas échéant, s'il faut corriger le tir" est prévue dans le cadre du deuxième plan d’aide à la Grèce. "Les possibilités de réussite sont dès lors autrement plus grandes" que dans le cas du premier en conclut-il.

"Il faudra que tous les éléments rassemblés pour fertiliser la croissance grecque soient un instrument aux mains d'un seul commissaire délégué pour penser et appliquer une véritable politique de croissance pour la Grèce"

"Nous avons besoin d’une surveillance ou d’un accompagnement pédagogique, sans vouloir offenser le peuple grec", déclare Jean-Claude Juncker aux journalistes allemands, expliquant que "nous devons nous aussi nous garantir les majorités dans nos parlements", ce qui n’est possible que si la Grèce livre des résultats constants.

"La Grèce doit nuancer l'attitude qu'elle avait jusqu'à présent à l'égard de sa propre souveraineté, dans la mesure où elle n'a pas accès aux marchés financiers car des questions restent posées quant à la faisabilité de l'ajustement grec sur le court et moyen terme", précise-t-il aux journalistes belges.

"L’infrastructure économique grecque n’est en rien comparable à la nôtre", constate Jean-Claude Juncker pour qui, lorsqu’on parle de stimuler la croissance, il faut avoir "une approche plus large". "Les pays de la zone euro doivent améliorer les infrastructures de l’économie grecque", s’explique le Premier ministre luxembourgeois qui cite l’exemple d’un meilleur engagement des fonds structurels européens, ou encore de la compétitivité.

"Nous devons donner un coup de main à la Grèce pour mettre en œuvre les réformes", juge Jean-Claude Juncker qui plaide pour qu’un "commissaire européen soit chargé de la reconstruction de la structure économique grecque". Non pas "un commissaire à l’austérité" comme il avait pu en être question, mais "un commissaire à la reconstruction qui réunirait toutes les compétences de la Commission européenne concernant la Grèce". Pour Jean-Claude Juncker, il faut que quelqu’un offre son aide, conçoive et imagine la politique économique grecque, car les réunions mensuelles de l’Eurogroupe n’y suffiront pas. Lorsque les journalistes de la Welt lui demandent s’il verrait Olli Rehn à ce poste, Jean-Claude Juncker précise qu’il imagine plutôt, à ses côtés, quelqu’un qui se consacre à la reconstruction de la Grèce. "C’est une proposition sérieuse, dans le feu de l’inquiétude", indique-t-il.

Et sa proposition apparaît aussi dans les colonnes de La Libre Belgique. "Je n'ai pas à m'ingérer dans les rouages de la Commission, mais je voudrais qu'elle charge spécifiquement un commissaire de la reconstruction de ce pays", est-il cité. "Olli Rehn fait son travail à merveille, mais il faudra que tous les éléments rassemblés pour fertiliser la croissance grecque soient un instrument aux mains d'un seul commissaire délégué pour penser et appliquer une véritable politique de croissance pour la Grèce", poursuit Jean-Claude Juncker qui précise que "la consolidation budgétaire est du ressort national, la politique de croissance à la fois du ressort national et européen".

"Nous devons faire comprendre à Athènes que nous tenons à ce que les riches soient mis à contribution"

S’il admet son inquiétude quant au fait que "beaucoup de gens, surtout les jeunes, ne se retrouvent pas dans la politique qui est faite en Europe" et qu’une crise sociale peut vite évoluer en crise systémique, Jean-Claude Juncker dit cependant "ne pas avoir de réelle réponse à y apporter". Ce qu’il faut faire dans tous les cas, estime le Premier ministre luxembourgeois, c’est expliquer que ce n’est pas l’économie sociale de marché qui a échoué, mais la façon de la pratiquer. L’explication que donne Jean-Claude Juncker , c’est l’illusion de "l’argent facile" qui fait que "notre ordre économique s’est toujours moins orienté vers le bien commun", ce qui est à ses yeux "le germe d’une crise systémique".

 "Les Grecs, mais aussi beaucoup d’Espagnols, ont l’impression que les économies n’ont été faites qu’au détriment des petites gens", constate Jean-Claude Juncker qui avoue ne toujours pas avoir compris pourquoi, dans le cas de la Grèce, il n’a jusqu’ici pas été possible de mettre plus à contribution les riches Grecs, qui pourraient pourtant faire infiniment plus que les personnes qui ont des petits revenus. "Nous devons faire comprendre à Athènes que nous tenons à ce que les riches soient mis à contribution", affirme le Premier ministre luxembourgeois.

Pour ce qui est de renforcer les ressources de l’ESM, "nous en saurons plus autour du 10 mars", une fois que les résultats de l’opération d’échange d’obligations grecques seront connus

Interrogé sur la nécessité d’un plus haut pare-feu pour la zone euro, Jean-Claude Juncker explique qu’il faut attendre de voir quelle aura été la participation des créanciers privés de la Grèce à l’opération d’échange d’obligations. "Nous en saurons plus autour du 10 mars", indique-t-il, annonçant que c’est alors que "nous pourrons nous consacrer à la question d’un renflouement de l’ESM". "Nous devons prendre une décision aussi vite que possible, mais il ne faut pas non plus précipiter les choses", juge-t-il, ajoutant qu’il ne s’agit pas "de nous faire prescrire la hauteur de nos remparts" par d'autres dans le monde. Jean-Claude Juncker précise que, d’ici la fin mars, "nous déciderons de laisser fonctionner en parallèle l’ESM et l’EFSF", ce qui permettrait d’avoir 750 milliards d’euros à disposition. "Et bien avant, nous déciderons que les versements des Etats ne se feront plus en cinq tranches, mais en deux", se félicite encore Jean-Claude Juncker.

Interpellé sur l’opération que la BCE avait prévu de lancer le 29 février, Jean-Claude Juncker s’est vu demander si cette injection de capitaux sur les marchés pourrait faire craindre un risque d’inflation. "Je ne suis pas sûr que les mesures de la BCE aggravent l’inflation", a répondu Jean-Claude Juncker, ajoutant que "la BCE s’y entend très bien pour enlever du circuit par étapes cet argent".