A l’issue de plus de treize heures de discussions, le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a pu annoncer au petit matin du 21 février 2012 qu’un accord de grande ampleur avait pu être trouvé pour réduire la dette publique grecque dans l’objectif de garantir le maintien de la Grèce dans la zone euro. "Cela donnera à la Grèce le temps nécessaire pour mener à bien consolidation budgétaire et réformes structurelles et lui permettre un retour à une croissance durable et à l’emploi, tout en préservant la stabilité financière de la Grèce et de la zone euro dans son ensemble", a résumé Jean-Claude Juncker.
L’accord trouvé par les ministres des Finances de la zone euro, parmi lesquels comptait Luc Frieden, qui représentait le Luxembourg, est le fruit d’importants efforts, tant de la part des créanciers publics que privés. Les Etats de la zone euro sont ainsi prêts à apporter, par l’intermédiaire de l’EFSF et en comptant sur une contribution importante du FMI, un plan d’aide de 130 milliards d’euros d’ici 2014, tandis que les créanciers privés effaceraient 107 milliards de dette. Résultat, la dette publique grecque devrait atteindre 120.5 % du PIB d’ici 2020.
Dans la déclaration de l’Eurogroupe diffusée à l’issue de cette réunion marathonienne, les ministres des Finances saluent l’accord trouvé par le gouvernement grec sur le paquet de mesures qui va constituer le prochain programme d’ajustement, ainsi que son approbation par le Parlement grec, mais aussi l’identification des réductions de dépenses supplémentaires dans le budget 2012 à hauteur de 325 millions d’euros ou encore les assurances fournies par les chefs des deux partis de coalition quant à la mise en œuvre du programme après les élections à venir. Autant de conditions que l’Eurogroupe avait fixées le 9 février 2012, dont ils avaient discuté par téléphone le 15 février 2012, et qui, étant désormais remplies, n’entravaient plus le feu vert au nouveau plan d’aide à la Grèce sur le principe duquel les chefs d'Etat et de gouvernement s'étaient entendus dès la fin du mois d'octobre 2011.
"L’Eurogroupe est pleinement conscient des efforts considérables qu’ont déjà faits les citoyens grecs", a souligné Jean-Claude Juncker devant la presse, mais il a aussi rappelé, au nom des ministres des Finances de la zone euro, que d’importants efforts seraient encore demandés à la société grecque afin que l’économie grecque puisse retrouver le chemin d’une croissance durable.
Le programme est ainsi assorti de conditions strictes. "Assurer la soutenabilité de la dette et restaurer la compétitivité sont les principaux objectifs du nouveau programme", rappellent ainsi les ministres des Finances dans leur communiqué en insistant sur le fait que son succès dépend "de façon critique" de sa mise en œuvre par la Grèce. La Grèce doit atteindre ses objectifs "ambitieux mais réalistes" de consolidation financière, consistant à revenir à un excédent primaire à partir de 2013, mais aussi mettre pleinement en œuvre ses plans de privatisation ainsi que son agenda de réformes structurelles tant dans du marché du travail que des marchés des produits et des services. A cette fin, l’Eurogroupe appelle à "renforcer la capacité institutionnelle de la Grèce".
La Commission européenne est ainsi invitée à "renforcer significativement son groupe de travail sur la Grèce" et disposer d'une "présence permanente sur le terrain" pour mieux coordonner son assistance technique. Les Etats membres sont prêts à fournir des experts qui seront intégrés dans la task force.
La Commission va aussi renforcer ses capacités sur place afin de travailler en étroite coopération avec le gouvernement grec de façon à aider la troïka à évaluer la conformité des mesures qui seront prises par le gouvernement grec, en veillant ainsi à ce que le programme soit mis en œuvre pleinement et dans les temps.
Dans son communiqué, l’Eurogroupe salue "l’intention de la Grèce de mettre en place un mécanisme permettant un meilleur suivi et une meilleure surveillance des emprunts publics et des fonds générés en interne qui sont destinés au service de la dette" en versant, sous la surveillance de la troïka, un montant correspondant au trimestre à venir de service de la dette directement sur un compte séparé de l’agent payeur de la Grèce.
Enfin, l’Eurogroupe salue l’intention des autorités grecques d’introduire dans les deux mois à venir dans leur législation une disposition assurant que priorité est donnée au service de la dette, une disposition qui sera introduite dans la Constitution grecque aussi vite que possible, ainsi que le précise le communiqué de l’Eurogroupe.
L’accord trouvé par la Grèce avec ses créanciers privés, - le fameux accord "PSI", pour "participation du secteur privé", - lors de négociations qui se sont poursuivies elles aussi pendant la nuit du 20 au 21 février 2012, prévoit finalement une décote de 53,5 % de la valeur initiale des obligations qu'elles détenaient, ce qui correspond à l'effacement de 107 milliards de dette. Les créanciers privés ont donc consenti à augmenter leur participation, la décote prévue étant jusqu'alors fixée à 50 %. Les pertes réelles dans les comptes des créanciers privés seront supérieures à 70 %.
Dans le détail, pour chaque obligation, les créanciers recevront des nouveaux titres grecs pour 31,5 % de la valeur initiale, des titres à court terme émis par l'EFSF pour 15 % et le solde, soit 53,5 % du prix de départ, sera perdu. Les nouveaux titres grecs seront de plusieurs maturités, de 11 à 30 ans, et avec des taux d'intérêt évolutifs avec le temps. Les trois premières années, la rémunération annuelle sera de 2 %, puis de 3 % sur les 5 années suivantes et de 4,3 % ensuite, jusqu'à 30 ans. En moyenne, le taux proposé sera de 3,65 %. Il est inférieur à la rémunération qui était octroyée jusqu'ici.
Les créanciers privés se verront également proposer des titres supplémentaires dont le rendement sera indexé sur la croissance de la Grèce, ce qui leur offrira un surcroît de revenus si l'économie grecque se redresse plus rapidement que prévu.
Le comité des créanciers, représentés lors des négociations par le président de l'Institut de la finance internationale (IIF), Charles Dallara, et le banquier Jean Lemierre, de BNP Paribas, a prévenu que le document finalisé devait encore être soumis à l'ensemble de ses membres.
Pour l’Eurogroupe, cet accord constitue "une base appropriée" pour inviter les détenteurs d’obligations grecques à échanger leurs titres. Les ministres des Finances soulignent aussi que le succès de l’opération est une condition nécessaire au déblocage du plan d’aide à la Grèce. L’Eurogroupe espère donc "une forte participation des créanciers privés" à l’opération d’échange d’obligations prévue dans les prochains jours.
Du côté des efforts publics, les ministres des Finances se sont entendus pour réduire encore les taux d’intérêts, et ce de façon rétroactive, des prêts accordés à la Grèce, abaissant la marge à 150 points de base, et ce quelle que soit la durée du prêt. De plus, il n’y aura pas de compensation supplémentaire pour des coûts de financement plus élevés. Résultat, ce geste devrait réduire le ratio de la dette publique grecque par rapport à son PIB de 2,8 % en 2020 et abaisser de près de 1,4 milliards d’euros les coûts de financement sur l’ensemble de la période du programme. Les procédures nationales de ratification de cet amendement à la Convention de prêt à la Grèce doivent être lancées au plus vite afin que ces nouvelles modalités puissent entrer en vigueur dans les meilleurs délais.
Par ailleurs, les gouvernements des Etats membres dont les banques centrales respectives sont détentrices d’obligations grecques dans leurs portefeuilles d’investissement s’engagent à transmettre à la Grèce une somme égale à tout revenu qui serait dégagé à l’avenir par les banques centrales de ces portefeuilles, et ce jusqu’en 2020. Ces mouvements de revenus pourraient aider à réduire la dette publique grecque de 1,8 % par rapport à son PIB d’ici 2020, et on estime qu’ils réduiraient les besoins de financement d’environ 1,8 milliards d’euros sur la période du programme.
L’Eurogroupe considère donc que tous les éléments sont en place pour que les Etats membres lancent les procédures nationales nécessaires pour autoriser que l’EFSF fournisse :
Dans son communiqué, les ministres des Finances notent par ailleurs que les obligations grecques détenues par la BCE et les banques centrales nationales le sont à des fins de politiques publiques : les revenus générés reviendront à la BCE et aux banques centrales, mais le profit qu’en tirera la BCE sera redistribué aux banques nationales, tandis que les profits des banques nationales seront versés aux Etats membres.
"Il est entendu que les versements de l’opération PSI et la décision finale approuvant les garanties pour le second programme dépendent d’une opération réussie d’échange de dette, ainsi que de la confirmation par l’Eurogroupe, sur la base d’une évaluation de la troïka, de la mise en œuvre par la Grèce des actions prioritaires négociées", stipulent les ministres des Finances dans leur déclaration. Le montant précis de l’aide publique sera déterminé début mars, une fois que les résultats du PSI seront connus et que ces actions prioritaires auront été mises en œuvre.
En ce qui concerne la participation du FMI, elle sera à l’ordre du jour d’un conseil d’administration du FMI au cours de la deuxième semaine de mars, ainsi que l’a indiqué à la presse la directrice générale de cette institution, Christine Lagarde, qui a précisé que l’aide du FMI serait "conditionnée aux actions préalables que la Grèce s'est engagée à entreprendre d'ici fin février" en matière de coupes budgétaires. "C'est le conseil d'administration qui déterminera exactement le montant de la contribution du FMI au programme", a-t-elle ajouté, sans avancer de montant.
A l’issue de cette nuit de discussions, le Premier ministre grec Lucas Papademos s'est dit "très satisfait" de l’accord obtenu. "Nous devons mettre en œuvre le programme dans les temps et de manière efficace", a-t-il indiqué, assurant que le gouvernement actuel "est déterminé à le faire » et se disant « convaincu qu'après les élections le gouvernement sera aussi déterminé à mettre en œuvre le programme car c'est dans l'intérêt du peuple grec".
Au cours de cette réunion de l’Eurogroupe, il a aussi été question de renforcer les capacités de l’EFSF et du futur ESM. "Je nourris l’espoir que les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro seront en mesure de confirmer une augmentation de la capacité de prêt combinée" de ces deux fonds lors du Conseil européen de début mars, a confié Jean-Claude Juncker à la presse à l’issue de la réunion. "A notre avis, une combinaison de la puissance de feu de l'ESM avec ce qui reste de l’EFSF" est souhaitable "afin de doter la zone euro d'une pare-feu nettement plus solide", a indiqué le commissaire européen Olli Rehn, en mentionnant le chiffre de 750 milliards d'euros. Jean-Claude Juncker a indiqué en outre s'attendre à ce que les dirigeants européens décident par la même occasion d'accélérer les versements en capital à l’ESM."Ce pare-feu nettement renforcé devrait montrer à nos partenaires internationaux notre détermination à garantir la stabilité financière de la zone euro dans son entier", a déclaré le président de l’Eurogroupe.