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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
La très contestée Constitution hongroise au menu d’un séminaire de l’Université du Luxembourg
30-05-2012


Le 25 avril 2012, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de deux recours en infraction contre la Hongrie, l'un sur l’indépendance de l’Autorité de protection des données et l'autre sur l’âge de départ à la retraite des juges, procureurs et notaires, et ce au terme d’échanges approfondis avec les autorités hongroises concernant les lois adoptées en vertu de la nouvelle constitution hongroise.

András Jakab, lors de sa conférence sur la Constitution hongroise, le 30 mai 2011 à l'Université du LuxembourgLa Faculté de droit, d'économie et de finance de l'Université de Luxembourg a eu la bonne idée d’organiser le 30 mai 2012 un séminaire de midi au cours duquel András Jakab, qui est Schumpeter Fellow pour le droit public comparé et le droit international au Max Planck Institut de Heidelberg, a présenté la nouvelle constitution hongroise entrée en vigueur en janvier 2012. Sur ce texte qui a soulevé depuis de fortes polémiques, András Jakab a fourni autant d’éléments pour comprendre le fond du litige que soulevé de nouvelles questions.

La genèse de la nouvelle Constitution hongroise

András Jakab a expliqué dans un premier temps la genèse de la nouvelle Constitution hongroise. Elle était censée remplacer le Statut 20, nom prosaïque pour la Constitution hongroise depuis l’époque communiste, en fait depuis 1949. Mais en fait, 99 % de ce statut avaient déjà été modifiés entre 1989, date de la chute du régime communiste, et 1991, et pour le juriste, le texte qui servait de constitution était clairement d’inspiration libérale et démocratique. Il s’agissait donc en premier lieu de régler un problème symbolique en donnant à la Hongrie une nouvelle Constitution qu’elle ne s’était pas donnée de manière formelle après la chute du communisme.

85 % de la nouvelle Constitution sont des éléments de l’ancienne, a expliqué András Jakab. Ce qui est nouveau est selon lui avant tout "rhétorique", mais aussi d’inspiration "conservatrice chrétienne", et cela de manière assez unilatérale. C’est cela et la procédure peu transparente et peu démocratique menée par un parti, le FIDESZ, qui dispose d’une majorité de deux tiers au Parlement et qui n’a pas vraiment impliqué l’opposition, qui a déclenché les nombreuses critiques en Hongrie et à l’étranger. Les partis d’opposition ont définitivement quitté la table des négociations après un conflit entre le gouvernement et la Cour constitutionnelle, au cours duquel le gouvernement a, pour montrer son pouvoir sur une affaire qui avait trait à des rémunérations de membres du gouvernement précédent, restreint les pouvoirs des juges constitutionnels. Parallèlement, le gouvernement a mené une consultation nationale où les électeurs devaient, s’ils le désiraient, répondre à des questions sur leurs désidératas constitutionnels, mais les questions – une douzaine - étaient posées de manière telle que l’on ne pouvait que difficilement répondre par la négative.

Les différentes composantes de la nouvelle Constitution et celles qui posent problème 

Le nouveau texte devait être court et avenant, raconte András Jakab, mais il est devenu plus long. Il est composé de plusieurs parties : une sorte de "credo national", des principes généraux, un chapitre consacré aux droits fondamentaux, revalorisés selon András Jakab, car introduits dans le corpus même de la Constitution, alors que dans le statut ils figuraient comme appendice, une partie dédiée à l’organisation de l’Etat et une autre qui contient des dispositions finales.

S’y ajoutent des dispositions transitoires, qui sont à l’origine des nombreux problèmes que le texte a posés ou continue de poser : l’indépendance de l’autorité nationale de protection des données, dans la mesure où le mandat légal du chef actuel a été interrompu avant terme ; la soudaine diminution de l'âge de la retraite des juges, des procureurs et des notaires, qui est ramené de 70 à 62 ans ; l’indépendance de la justice, dans la mesure où le président de l'Office national de la justice, donc le chef de l’organisation de la justice, a le droit d’attribuer une affaire à un tribunal de son choix et le droit de transférer des juges sans leur accord. Pour ces points, la Commission européenne a déclenché une procédure en infraction contre la Hongrie devant la CJUE.

Le médiateur a attaqué les dispositions transitoires devant la Cour constitutionnelle hongroise, mais sans conséquences jusqu’à ce jour. La Commission de Venise a par ailleurs critiqué le fait que la Hongrie abuse des lois cardinales, ces lois qui doivent être votées avec deux tiers des voix parlementaires, parce que l’on s’en sert trop pour résoudre un problème politique là où elles devraient surtout être utilisées pour régler une question organique de l’Etat.

Les pour et les contre selon András Jakab

Entrant dans le détail d’autres dispositions critiquées, András Jakab a retenu les points suivants :

  • la nature conservatrice-chrétienne d’un préambule trop long est problématique parce qu’elle empêche la partie libérale et orientée à gauche de la population libérale à s’identifier avec la nouvelle Constitution, ce qui n’est jamais bon sur le long terme pour un tel texte ;
  • la défense du mariage inscrite dans le texte ne devrait cependant pas être interprétée comme une discrimination des homosexuels selon le juriste ;
  • la défense de la vie naissante ne devrait pas non plus être interprétée comme une volonté de rendre l’avortement plus difficile en Hongrie, il s’agit plus d’un geste rhétorique alors que la loi libérale sur l’avortement n’a pas été touchée ;
  • le fait que la peine de mort ne soit pas interdite est « lamentable », mais le même texte interdit l’expulsion de personnes vers des pays où ils peuvent encourir la peine de mort ;                         
  • le frein budgétaire et la nécessité qu’un comité composé du chef de la Banque centrale, du chef de la Cour des Comptes et d’un expert nommé par le président de la République doive donner son aval à tout projet de budget sous peine de voir le Parlement dissous s’il se rebiffait ne peuvent pas être la source d’un complot contre le gouvernement élu selon András Jakab, selon qui, vu le niveau de la dette souveraine hongroise, "quelque chose de drastique devait être fait" ;
  • par contre, la propriété est peu garantie par la nouvelle Constitution dans le cadre du frein budgétaire, et c’est d’autant plus problématique que la Cour constitutionnelle n’a pas de compétence en matière de droits fondamentaux, comme le droit à la propriété, ce qui est pour l’expert à maints égards un fait unique en Europe.

Il a par contre jugé positif que la codification soit meilleure que dans le texte du statut 20 et que dans la substance, l’importance accordée aux questions de durabilité est innovante.

Le débat européen jaugé par le juriste hongrois

András Jakab a ensuite abordé le débat sur la Hongrie au niveau européen et au sein de l’UE. Si les critiques de la Commission de Venise ou de son vrai nom Commission européenne pour la démocratie par le droit, qui est un organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles, trouvent "à 80 %" grâce à ses yeux, le débat au Parlement européen a été selon lui "d’un niveau intellectuel misérable". Pour le juriste hongrois, les eurodéputés qui sont intervenus "se fichaient de la Hongrie et des Hongrois" et n’ont voulu rien d’autre que se présenter comme "des défenseurs de la liberté à peu de risques". Les critiques de la Commission sont par contre "à 100 %" justes.

La discussion

Lors du débat, András Jakab a par ailleurs expliqué que la Hongrie était un pays "dualiste" dans le sens juridique du terme, ce qui veut dire dans le cas présent que la nouvelle Constitution prime sur les lois et traités internationaux que le pays a signés et ratifiés. Néanmoins, la Cour constitutionnelle peut invoquer par exemple la Convention européenne des droits de l’homme contre une loi cardinale. Mais il lui sera impossible d’interpréter les professions de foi qui sont le fait de la part "symbolique" de cette Constitution qui n’a pas fini de déplaire et dont certains parmi l’assistance ont mis en doute la durabilité sur le long terme. L’orateur s’est montré par contre convaincu que les Hongrois finiront par céder à l’habitude qu’elle soit ainsi conçue.