Les syndicats français (CGT), belges (FGTB), néerlandais (FNV) et luxembourgeois (OGBL) ont mené le 15 juin 2012 une action commune dans leurs pays respectifs pour sensibiliser les chauffeurs routiers originaires de l’Ouest et de l’Est de l’UE au dumping social que pratiquent nombre d’employeurs qui ont leur siège dans un pays de l’Ouest de l’UE.
Le problème : de nombreux transporteurs de l’Europe de l’Ouest créent des sociétés "boîte aux lettres" dans les pays de l’Europe centrale et orientale où ils embauchent des chauffeurs à des conditions salariales locales. Ensuite, ces chauffeurs sont envoyés en mission et font du cabotage ininterrompu, chargeant et déchargeant leur camion au gré des trajets sur lesquels ils sont envoyés, des missions qui ne touchent que très peu leur pays de résidence.
Dans une vidéo réalisée par l’OGBL et diffusée sur Daily Motion, le secrétaire général de l’OGBL-ACAL, Romain Daubenfeld, dénonce vivement les conditions de vie de ces chauffeurs. Ils vivent pendant plusieurs mois dans leurs camions, se lavent, mangent sur les aires de repos, ne voient pas leurs familles "et pour gagner de l’argent, ils font des kilomètres à gogo", ce qui pose un problème de sécurité sur les routes au-delà des problèmes de santé et de sécurité sociale.
Romain Daubenfeld a expliqué au Quotidien que ce genre de pratiques est interdit par le règlement 1071/2009 qui établit des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route dans l’UE. En effet, le gestionnaire de l’entreprise de transport doit résider là où il travaille effectivement, ce qui devrait implicitement mettre un frein à la pratique des sociétés "boîte aux lettres" qui embauchent massivement sans avoir d’installations, de bureaux ni d’infrastructures d’entretien du matériel.
Un autre problème est pour Romain Daubenfeld la réglementation sur le cabotage, le règlement 1072/2009, qui permet trois chargements et déchargements au maximum lors d’un trajet international. Romain Daubefeld avait fortement dénoncé en mai 2010 cette réglementation parce qu’elle aurait pour conséquence "un important manque à gagner pour les transporteurs qui préfèrent dès lors délocaliser leurs activités directement dans le pays cible, afin de ne pas être soumis à ces restrictions". En juin 2012, il l’invoque parce qu’elle n’est pas respectée par les transporteurs.
Tout cela débouche pour Romain Daubenfeld sur du dumping social et aurait conduit, comme il le déclare au Quotidien, au licenciement, en l’espace de deux ans, de plus d’un millier de chauffeurs au Luxembourg qui ont été remplacés par des chauffeurs d’Europe de l’Est.
Pour Alain Durant, qui est permanent syndical de la FGTB-UBOT/ Liège-Luxembourg, "l'Europe de l'Ouest se sert de l'Europe de l'Est". Sur la vidéo diffusée par l’OGBL, il explique que lui et des compagnons de syndicat ont "fait une expédition à Bratislava pour vérifier si les sociétés qu’ils avaient dans la mire étaient en conformité avec la réglementation européenne". Leur constat : depuis deux ans et plus, ces sociétés n’existent que virtuellement et les chauffeurs reviennent en camionnette dans leur pays après leur mission. Les sociétés qui les ont embauchés en Slovaquie ont par contre bien leur vrai siège au Luxembourg et dans d’autres pays voisins. Ces chauffeurs engagés en Slovaquie ne travaillent pas du tout en Slovaquie, bien qu’engagés selon les conditions locales, y compris l’affiliation sociale, moins onéreuse. Les sociétés de l’Ouest "exploitent les chauffeurs de l’Est qui vivent dans de très mauvaises conditions avec de très mauvais salaires et qui prennent le travail des chauffeurs luxembourgeois, belges, néerlandais et français par exemple."
Pour Alain Durant, cette situation doit cesser, d’où des actions syndicales pour dénoncer la fraude fiscale, mais aussi la fraude sociale qui est organisée selon lui "par de très nombreux transporteurs." Reste que les syndicalistes ont tenu à préciser, comme le relate le Quotidien, que leur cible, ce ne sont « pas les chauffeurs venant de l'Est, mais ceux qui les exploitent » et qu’ils "plaident dans ce contexte pour une harmonisation des conditions de travail des chauffeurs routiers à travers toute l'Europe. Des chauffeurs qui font finalement tous le même travail."