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Economie, finances et monnaie
"Il faut réfléchir à une vraie procédure de légitimation du chef de l'Eurogroupe", estime Jean-Claude Juncker
30-07-2012


Le Figaro et la Süddeutsche Zeitung publient dans leur édition du 30 juillet 2012 les fruits d’entretiens accordés par Jean-Claude Juncker à leurs rédactions durant le dernier week-end de juillet. Le président de l’Eurogroupe etLes logos du Figaro et de la Süddeutsche Zeitung Premier ministre luxembourgeois y fait le point sur la situation dans la zone euro et sur les mois à venir. "La crise donnera raison à ceux qui ont réagi dans le calme et la sérénité, pas à ceux qui ont suivi les hérésies et les bêtises du moment", augure-t-il, critiquant les marchés pour la dictature de la courte vue qu’ils imposent, mais aussi les responsables politiques nationaux, auxquels il reproche de se laisser aller parfois, pour des raisons de politique intérieure, à trahir l’esprit européen.

Jean-Claude Juncker dénonce "la dictature de la courte vue"

Ainsi lorsque Jean-Jacques Mével, du Figaro, l’interroge sur les prochains mois à venir, Jean-Claude Juncker prévient qu’ils seront "tendus". Pour cause, "la dictature de la courte vue" qui pousse les dirigeants "à réagir à tout, tout le temps, dans un feu d'artifice qui n'a rien à voir avec l'épaisseur des vraies questions". "On ne se donne plus le temps de réfléchir", déplore le président de l’Eurogroupe qui évoque dans son entretien avec les journalistes du quotidien allemand, Cerstin Gammelin et Stefan Kornelius, un "sofortigen Sofortismus" ("immédiatisme immédiat").

Dans les deux quotidiens, la charge du président de l’Eurogroupe contre les marchés financiers est lourde. "Je prétends que les marchés se trompent aujourd'hui, comme ils se sont toujours trompés : lourdement", affirme-t-il au journaliste du Figaro, rappelant que "pendant dix ans, ils ont fait croire que la Grèce se portait financièrement aussi bien que l'Allemagne". Aux journalistes allemands, il explique qu’il tient la réaction des marchés pour "absolument inappropriée", ce qui vaut aussi pour l’Italie, glisse-t-il. "On ne peut pas exiger pendant des années que les pays mettent en ordre leurs budgets pour ensuite faire comme si de rien n’était", leur explique-t-il. Et il enfonce encore le clou en jugeant que les marchés ne réagissent pas de façon cohérente aux résultats que livre la politique. "La crise donnera raison à ceux qui ont réagi dans le calme et la sérénité, pas à ceux qui ont suivi les hérésies et les bêtises du moment", augure en fin de compte le président de l’Eurogroupe.

"Quelles sont les décisions à prendre ?", demande Jean-Jacques Mével. "La zone euro en est à ce point où elle doit prouver par tous les moyens sa détermination à garantir la stabilité", affirme le président de l’Eurogroupe. Selon lui en effet, "personne ne doit douter de la volonté collective des dix-sept pays, personne ne doit penser que la politique est un mot creux". "Le monde parle de la monnaie commune comme si elle n'en avait plus que pour quelques mois", déplore Jean-Claude Juncker qui explique aux journalistes de la Süddeutsche Zeitung que le monde parle en fait non des problèmes qui existent, mais qu’il pourrait y avoir. Et face à cela, les pays et les institutions de la zone euro affirment clairement leur détermination à garantir la stabilité de l’euro.

"Ceux qui croient qu'une sortie de la Grèce réglerait le problème se trompent, ils ne comprennent rien aux causes profondes de la crise"

"Ceux qui croient qu'une sortie de la Grèce réglerait le problème se trompent, ils ne comprennent rien aux causes profondes de la crise", précise-t-il au Figaro. S’il convient que "la Grèce doit sûrement améliorer son bulletin de notes", Jean-Claude Juncker souligne que "personne ne peut ignorer l'énormité du coût d'une exclusion pour le reste de la classe, qu'il s'agisse de l'onde de choc ou du discrédit qui suivra". D’ailleurs, indique-t-il à la rédaction de la Süddeutsche Zeitung, une sortie de la Grèce ne compte pas parmi ses hypothèses de travail. Et les journalistes allemands se font l’écho de ses vives critiques à l’égard de ceux qui, dans l’espace germanophone, avancent ce genre de solutions simples parce qu’elles rencontrent une certaine bienveillance dans la sensibilité intérieure de la république. Ce que Jean-Jacques Mével rapporte, en bref, comme "de la basse politique".

Pour ce qui est de l’Espagne, Jean-Claude Juncker affirme que le problème est "déjà traité", "vite et bien". "L'Espagne consolide ses finances publiques et se réforme, tous les dirigeants européens vous le diront", explique-t-il. "Notre volonté est maintenant de séparer risque d'État et risque bancaire", rappelle par ailleurs le président de l’Eurogroupe qui souligne que "jusqu'à 100 milliards d'euros sont mis de côté pour ramener les banques espagnoles dans des eaux plus tranquilles". En bref, annonce-t-il, "la question sera réglée". "Nous n'allons pas nous agenouiller devant les faux médecins des marchés", prévient encore le Premier ministre luxembourgeois.

Interrogé sur les taux de 7 % que doit payer l’Etat espagnol pour se financer, Jean-Claude Juncker souligne que "les taux se calment depuis que le président de la BCE, Mario Draghi, a dit, sagement, que tout sera fait pour préserver l'euro". "Pour ce qui est d'agir, nous déciderons à l'examen des marchés d'ici à quelques jours", annonce le président de l’Eurogroupe aux journalistes des deux quotidiens. "Il n'y a plus de temps à perdre", glisse-t-il.

Lorsque les journalistes reviennent au sommet du 29 juin dernier, c’est pour pointer les achats d’obligations d’Etat par l’EFSF sur le marché secondaire en lien avec la BCE, et une éventuelle résistance de l’Allemagne face à une impatience de la France. "Je n'ai aucun doute que les décisions prises au sommet seront appliquées", leur répond Jean-Claude Juncker. "Nous sommes arrivés à un point crucial. Mais il reste à préciser le rythme et la mesure", explique-t-il. Le président de l’Eurogroupe précise : "Nous agirons ensemble avec la BCE, sans toucher à son indépendance. Quand je dis 'nous', il s'agit du fonds de sauvetage EFSF, c'est-à-dire des dix-sept gouvernements. Je ne veux pas aiguiser l'appétit des marchés, mais comme l'a dit Mario Draghi, cela se traduira par des résultats".

Jean-Claude Juncker appelle de ses vœux plus de sérieux dans les déclarations des dirigeants nationaux

Les journalistes des deux rédactions relèvent que les marchés semblent davantage faire confiance à la BCE qu'aux dix-sept gouvernements de l'euro. "La crédibilité de la BCE est sûrement plus élevée que celle de la classe politique européenne", reconnaît Jean-Claude Juncker qui souligne que la BCE est indépendante, qu’elle ne prend pas ses instructions des gouvernements et qu’elle n'a pas à réconcilier leurs points de vue. Et il se réjouit de la confiance que lui accordent les marchés, et ce d’autant plus que, rapporte le Figaro, "le président Draghi dit tout haut ce que les chefs de gouvernement pensent tout bas".

Jean-Claude Juncker raconte qu’après chaque sommet, "les présidents, les ministres et les autres adorent fournir des explications de politique intérieure à des décisions qui transcendent les frontières". "Du coup, ils finissent par trahir l'esprit européen", déplore-t-il, jugeant cela "souvent stupide et parfois franchement nuisible", comme le rapporte le Figaro.

Cerstin Gammelin et Stefan Kornelius reviennent à la question des urgences des prochaines semaines. Jean-Claude Juncker explique qu’il va être avant tout question de la Grèce et de Chypre en septembre, lorsque la troïka aura livré son rapport d’évaluation. Et quand les deux journalistes lui demandent si la Grèce a le temps jusqu’en septembre, on devine une pointe d’agacement dans sa réponse. Il s’étonne en effet de ce qu’on appelle toujours à attendre le rapport de la troïka, surtout en Allemagne, et que pourtant, bien avant qu’il soit là, on explique ce qu’il y a dedans. "C’est de la politique intérieure", estime Jean-Claude Juncker. Et il énumère nombre de questions que reprend aussi le Figaro : "comment l'Allemagne peut-elle se payer le luxe de faire de la politique intérieure sur le dos de l'euro? Si les seize autres pays en faisaient autant, que resterait-il du projet commun? La zone euro n'est-elle plus qu'une succursale de la République fédérale?" La Süddeutsche Zeitung précise le propos du président de l’Eurogroupe, qui ne vise ni la chancelière, ni même l’ensemble du gouvernement allemand, mais certains membres de ce dernier. "Nous devrions tous veiller plus fortement à nos propos", met en garde le Premier ministre luxembourgeois.

Et il cite un exemple, repris par les deux journaux. A savoir que "l'opinion s'est répandue en Allemagne que François Hollande serait un président velléitaire et dépensier, un négationniste du redressement en quelque sorte". Ce qui, précise-t-il, n’est pas vrai. De même, en France, raconte-t-il, c'est Angela Merkel qui passe pour une "euro-individualiste". "Ces idées simples peuvent frapper en politique intérieure, mais elles sont fausses", conclut-il en appelant de ses vœux plus de sérieux.

Les journalistes de la Süddeutsche Zeitung évoquent un retour de vieux ressentiments en Europe et ils demandent au président de l’Eurogroupe combien la zone euro va encore résister à ces tensions nationales. Jean-Claude Juncker avoue y voir une "question existentielle", dans la mesure où, explique-t-il, une monnaie commune ne supporte pas de réflexes nationaux excessifs. "La crise de la dette montre que l’intégration européenne est une chose très fragile", a-t-il confié aux journalistes allemands. Il constate ainsi que des ressentiments nationaux que l’on croyait oubliés continuent de nager à la surface, ou en tous cas bien moins loin que l’on ne croirait. Ce qui ne manque pas de le préoccuper.

Un ministre européen des Finances est nécessaire et il devra être doté d’un pouvoir de veto sur les budgets nationaux

Pour ce qui est de la personne qui lui succèdera à la présidence de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker rappelle son vœu qu’il soit à cette fonction à plein temps, même si certains ministres des Finances exigent qu’il vienne de la politique nationale, tandis que certains messieurs à Bruxelles ne peuvent se réjouir à l’idée qu’il y ait à leurs côtés de nouveaux présidents. Mais l’expérience montre, a-t-il expliqué aux journalistes des deux quotidiens, qu’un ministre européen des Finances est nécessaire, qu’il doit s’agir d’une personnalité éminente, et qu’il devra être doté d’un pouvoir de veto sur les budgets nationaux.

A la question de savoir qui contrôlerait ce contrôleur, les deux quotidiens rapportent que le président de l’Eurogroupe est bien conscient que cela pose un sérieux problème de démocratie, en termes de souveraineté nationale et de responsabilité démocratique. "J'ai du mal à m'imaginer l'Assemblée nationale française acceptant sans broncher les oukases d'une officine à Bruxelles", rapporte le Figaro, quand la Süddeutsche Zeitung complète le tableau en ajoutant le Bundestag allemand dans cette interrogation. "Il faut réfléchir à une vraie procédure de légitimation du chef de l'Eurogroupe", juge Jean-Claude Juncker, ce qui mérite une longue réflexion car il en va de la souveraineté des parlements nationaux. Mais, déplore le Premier ministre luxembourgeois, le thème est dans l’ombre car personne n’a de réponse à la question.

Son successeur sera-t-il Wolfgang Schäuble ? Jean-Claude Juncker redit que le ministre des Finances allemand lui semble avoir toutes les qualités requises pour exercer les fonctions de président de l’Eurogroupe. Mais il souligne aussi qu’il n’est pas le seul dans ce cas. S’il peut par ailleurs imaginer des critères de rotation pour ce poste, Jean-Claude Juncker indique cependant aux journalistes allemands que l’Allemagne, la France et le Luxembourg ne suffisent pas pour décider. Le président de l’Eurogroupe ne perd pas de vue qu’il y a dix-sept ministres des Finances et qu’ils doivent tous écouter le chef. Chacun d’entre eux a à l’égard de l’euro la relation qu’il nourrissait envers sa monnaie nationale, souligne en effet Jean-Claude Juncker, concluant que l’euro est la monnaie nationale de chacun.