Le conseil des gouverneurs de la BCE a tenu le 6 septembre 2012 une réunion attendue à laquelle a assisté Jean-Claude Juncker qui est venu présenter l’analyse que l’Eurogroupe fait de la situation économique et financière de la zone euro.
Le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé à l’issue de cette réunion de nouvelles mesures, et notamment un nouveau programme de rachats d’obligations publiques à volume illimité. Un programme qui se justifie par "les perturbations graves observées sur le marché des obligations publiques qui proviennent de craintes infondées de la part des investisseurs sur la réversibilité de l'euro", comme l’a déclaré Mario Draghi.
Ce programme d'opérations fermes ("Outright monetary transactions", OMT), va supplanter le précédent programme appelé "Securities markets programme" (SMP) qui existait depuis mai 2010 et qui a totalisé des rachats de titres de plus de 200 milliards d'euros, qui seront gardés jusqu'à leur maturité.
A la différence du SMP, dont la BCE rappelait sans cesse qu'il était "limité dans le temps" et aussi en volume, l'OMT pourra faire des rachats d'obligations sur le marché secondaire de la dette à volume illimité et jusqu'à ce que la BCE estime que ce n'est plus nécessaire.
Ce programme visera des rachats d'obligations d'Etats de la zone euro de maturité de court et moyen termes, notamment de 1 à 3 ans.
La BCE pose toutefois une condition de taille à ses rachats : les Etats demandant son intervention devront d'abord solliciter l'aide des fonds européens, l’EFSF et l’EMS, qui va lui succéder, et se conformer strictement à leurs exigences en matière d'assainissement de leurs finances publiques.
La BCE va demander au Fonds monétaire international (FMI) de contribuer à l'élaboration des programmes d'ajustement requis pour les pays sollicitant de l'aide.
La BCE ne va pas demander à être remboursée en priorité (principe de "séniorité") par rapport aux créanciers privés pour ses rachats d'obligations en cas d'insolvabilité d'un pays dans le cadre du nouveau programme OMT, contrairement à ce qu'elle avait fait lors de l'effacement de dette partiel de la Grèce en début d'année.
La BCE a aussi annoncé un nouvel allègement de ses exigences pour les prêts qu'elle accorde aux banques. Ainsi, la BCE a décidé de "suspendre l'application d'un seuil de notation financière minimum" pour les garanties exigées ("collatéraux") dans le cas de titres de dette publique de la zone euro, que les banques de la zone euro lui présentent pour bénéficier de ses opérations de refinancement. Ce qui signifie qu’elle va accepter de prendre en garantie de la dette d'Etats de la zone euro même très mal notés par les agences de notation financière.
La BCE va toutefois faire une exception pour la dette grecque : elle va continuer à ne pas accepter comme garanties des obligations publiques grecques pour le moment, conformément à une décision prise en juillet. Les banques grecques, principales détentrices de la dette d'Athènes, devront donc continuer de s'approvisionner en liquidités auprès de leur banque centrale nationale, la Banque de Grèce, via un programme de mise à disposition de liquidités d'urgence (programme ELA), décidé au cas par cas.
La BCE a également décidé que d'autres titres de dette dans certaines devises (dollar, livre sterling et yen) seront désormais "éligibles" comme garanties présentées par les banques pour participer à ses opérations de refinancement. Une mesure similaire avait déjà été mise en vigueur entre octobre 2008 et décembre 2010.
Ces mesures étaient attendues depuis que Mario Draghi avait annoncé, le 26 juillet 2012, que tout serait fait pour sauver l’euro. L’échéance du 6 septembre est donc apparue pendant une bonne partie de l’été comme le premier rendez-vous important de la rentrée dans le contexte des pressions qui pèsent sur la dette publique de pays de la zone euro. Et l’action d’envergure a aussitôt été accueillie avec satisfaction par les places boursières.
Le choix de cette intervention de taille n’a pourtant pas fait l’unanimité au sein du conseil des gouverneurs, comme l’a admis Mario Draghi qui, sans citer de nom, a précisé qu’un gouverneur n’avait pas donné sa voix.
Jens Weidmann, président de la Bundesbank, ne cache pourtant pas sa position et l’institution qu’il préside a d’ailleurs réitéré ses critiques dans un communiqué diffusé à l’issue de la réunion : "si ce programme conduit les Etats à repousser les réformes nécessaires, cela va de nouveau saper la confiance dans la capacité des responsables politiques à résoudre la crise", y est-il indiqué. Angela Merkel reconnaît que la BCE a agi "dans le cadre de son indépendance et de son statut" avant de confirmer son opposition au rachat de dette publique.
Quant au ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, il a souligné le lendemain, en réactions aux commentaires des médias allemands, que la "ce n'est pas le début d'un financement monétaire de la dette publique". "Nous avons une Banque centrale européenne indépendante et nous faisons confiance à cette banque centrale", a-t-il souligné. "Le mandat de la BCE est clairement limité à la politique monétaire. Et la décision que la BCE prend rentre dans le cadre de la politique monétaire, rien d'autre. C'est bien ainsi. Ils savent très bien ce qu'ils ont à faire", a-t-il insisté.
Du côté des dirigeants européens, l’accueil a pourtant été globalement plus chaleureux.
Le président du Conseil italien Mario Monti a ainsi qualifié de "pas en avant important" les décisions de la BCE, estimant qu'elles constituent "un pas en avant important", "qui va vers une gouvernance plus satisfaisante de la zone euro". Le président français François Hollande et le Premier ministre britannique David Cameron ont eux aussi salué depuis Londres le programme annoncé par la BCE.
Pour le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, la BCE a agi "totalement dans son mandat" et en "pleine indépendance". Quant au commissaire en charge des Affaires monétaires, Olli Rehn, il s’est dit convaincu que cette annonce "devrait aider à rétablir la confiance".
Le FMI s'est dit "prêt à coopérer" avec la BCE sur ce nouveau programme, comme l’a annoncé sa directrice générale Christine Lagarde dans un communiqué dans lequel elle salue "vivement le nouveau schéma d'intervention de la BCE sur le marché de la dette des Etats".
Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, a été invité à réagir à cette décision à l’occasion d’un entretien qu’il a accordé à la Deutschlandradio Kultur au matin du 7 septembre 2012. Sans vouloir trop commenter une décision qui est le fait d’une institution dont il souligne l’indépendance, le ministre luxembourgeois y salue la décision de la BCE comme "une bonne avancée". Et quand la journaliste Ute Welty lui fait remarquer qu’en achetant des obligations, la BCE achète du temps, Jean Asselborn se dit convaincu que le temps gagné suffira pour "sauver l’idée européenne", comme le formule la journaliste. Cette décision donne aux gouvernements le temps de faire ce qu’ils ont à faire, juge en effet le ministre qui espère une ratification prochaine de l’ESM, en Allemagne comme en France, afin qu’il puisse être opérationnel. Il compte aussi sur les efforts de tout un chacun pour mettre en œuvre les décisions du Conseil européen de juin sur l’union bancaire. Sans perdre de vue la nécessité de soutenir la croissance en Europe.
RTL Radio Lëtzebuerg s’est enquis des réactions des eurodéputés Charles Goerens (ALDE) et Frank Engel (PPE), ainsi que du député nommé rapporteur pour le projet de budget 201, Lucien Lux (LSAP). Tous trois voient ces décisions d’un bon œil.
Charles Goerens s’est dit convaincu que la BCE a pris une bonne décision, jugeant que l’action de Mario Draghi est tout à fait compatible avec le mandat de la BCE. Il juge de ce fait exagérée la volonté de nombre de politiques de la coalition allemande d’introduire une plainte contre la BCE. Il voit au contraire dans la décision du président de la BCE "un signal positif et fort en direction des marchés".
Frank Engel est d’avis que la BCE sait très bien ce qu’elle fait, et il n’est lui non plus d’avis qu’elle ait outrepassé son mandat. La BCE est la seule institution encore capable d’agir, et il est heureux qu’elle le fasse, estime l’eurodéputé.
Pour Lucien Lux, la décision de la BCE fait sens : il s’agit selon lui de la bonne mesure pour aider les pays qui en ont besoin. Il se félicite du fait que la BCE soit une institution capable d’agir rapidement dans une crise où les marchés font preuve d’une bien plus grande vélocité que les décisions politiques. Dans une crise aussi exceptionnelle, la BCE ne doit pas se contenter de veiller à la stabilité des prix, juge-t-il, mais elle doit aussi aider les Etats concrètement.
Quant aux représentants de l’ADR, qui ont réagi par voie de communiqué dans l’après-midi du 7 septembre 2012, ils s’inquiètent de voir menacée l’indépendance de la BCE. La présence de Jean-Claude Juncker au Conseil des gouverneurs témoigne selon eux d’une "instrumentalisation politique de la BCE". Si, dans les faits, le président de l’Eurogroupe n’assiste que rarement à ces conseils, la possibilité qu'il y soit présent est pourtant bien inscrite dans les modalités d’organisation du conseil des gouverneurs. Mais l’inquiétude de voir la zone euro devenir une "union de dettes et de transferts" pousse l’ADR à voir dans cette présence une remise en question de l’indépendance de la BCE dont la mission est, rappelle le communiqué, de garantir la stabilité monétaire. L’ADR s’inquiète du risque d’inflation qu’engendre selon eux l’augmentation de la masse monétaire qui pourrait résulter de la décision de la BCE. Résultat, les mesures annoncées par Mario Draghi ne semblent pas crédibles aux yeux de l’ADR.