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Parlement européen - Traités et Affaires institutionnelles
Blocage de l’audition d’Yves Mersch : colère des eurodéputés luxembourgeois de tous les bords politiques, à l’exception du Vert Claude Turmes
10-09-2012 / 11-09-2012


Le 6 septembre 2012, les coordinateurs de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen avaient décidé de reporter l’audition d’Yves Mersch, président de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), prévue le 10 septembre 2012 dans le cadre de sa procédure de nomination au directoire de la Banque centrale européenne (BCE). Le report de cette audition avait aussi impliqué celui du vote qui devait avoir lieu en plénière le 13 septembre 2012 pour valider la nomination d’Yves Mersch.

Le blocage de cette procédure n’est en rien lié à la personne ou aux compétences du président de la BCL, mais il est un signe de protestation des coordinateurs de la commission des Affaires économiques du fait qu’aucune femme ne siège au directoire de la BCE depuis le départ, début 2012.

Il n’empêche que ce blocage a suscité de fortes réactions chez les eurodéputés luxembourgeois.

Charles Goerens ne veut pas que l’on statue un exemple aux frais d’Yves Mersch

La première réaction à être rapportée par la presse a été celle de Charles Goerens, rapportée par le Tageblatt dans son édition du 8 septembre. L’eurodéputé libéral s’est dit indigné que l’on veuille statuer un exemple aux frais d’Yves Mersch. Ses arguments : au directoire de la BCE siégeait d’ores et déjà surtout des hommes. Une décision sur un candidat à ce directoire doit avant tout être basée sur la compétence de celui-ci. Et celle-ci ne peut être sujette de caution dans le cas d’Yves Mersch, pense le député libéral, qui a demandé à ce que l’on n’interprète pas les textes de façon trop stricte. Un appel qui s’adresse d’abord à des eurodéputées de son groupe politique libéral, l’ADLE.

Reste que Charles Goerens, cité le 8 septembre par la journaliste du Quotidien, Christiane Kleer, est "évidemment pour la parité", et il "regrette que Madame Goulard (une des députées libérales à l’origine de l’action de blocage, n.d.l.r.) relance le débat sur le dos d'Yves Mersch". On apprend également qu’ "au mois de mai déjà, la présidente de la commission des Affaires économiques avait envoyé une lettre officielle au chef de l'Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, pour le sensibiliser au problème de la parité au sein du directoire de la BCE. Une initiative qui n'a pas eu de suite." L’eurodéputé plaide pour un compromis au Conseil européen "en nommant par exemple une femme au directoire d'une autre institution".

La colère d’Astrid Lulling

C’est ensuite Astrid Lulling (PPE), qui est intervenue le 10 septembre 2012 en commission ECON suite au report de l'audition d’Yves Mersch. La doyenne des eurodéputés était très en colère. Nous reproduisons ici intégralement ses propos qui n’éludent aucun aspect de la question.

"Je voudrais vous dire que j'ai cru à une très mauvaise blague lorsque j'ai appris l'annulation de l'audition de M. Yves Mersch qui était prévue aujourd'hui. Cette décision est en effet à la fois inepte et inique. Sous couvert de promouvoir de grands principes, elle ne fait que fouler au pied des règles élémentaires. Je le condamne de la façon la plus ferme.

Cette décision est d'abord inepte. Quel est le rôle du Parlement européen dans ce genre de nominations? C'est de donner un avis consultatif à la suite d'une proposition du Conseil. Nous sommes parfaitement en droit de juger négativement une proposition de nomination, mais refuser d'auditionner quelqu'un sous prétexte que cette personne n'a pas le sexe adéquat, cela ne tient tout simplement pas la route. Aucun texte ne peut justifier cette démarche. La Commission des affaires économiques et monétaires se met complètement dans son tort, en agissant de la sorte.

Le contexte de crise financière, voire de crise existentielle que traverse l'euro, rend cette décision encore plus insupportable: pendant que l'euro joue sa survie et alors que la Banque centrale européenne exerce un rôle des plus décisifs en étant à la manœuvre, le Parlement européen ne trouve rien de mieux que de retarder encore les choses. Le Conseil a trainé et le Parlement européen qui ne cesse de donner la leçon au monde entier choisirait la politique du pire. C'est édifiant!

Venons-en au fond, la question de la représentation des personnes féminines au sein des instances dirigeantes des institutions européennes: Au premier abord, le problème est réel, mais en réalité, il est posé de façon biaisée. La décision du report est bel et bien inique, parce que le Parlement se réveille alors que le comité de direction de la BCE est privé de femmes depuis un an et demi, précisément depuis que Mme Gertrude Tumpel Gugerell a quitté le "board". Or depuis cette date, le directoire a connu trois nominations. La première fois, la candidate féminine a montré d'importantes lacunes: La deuxième fois, le candidat fut masculin et allemand. Aucune protestation. La troisième fois, le candidat fut masculin et français. Aucune protestation. La quatrième fois, le candidat est masculin et luxembourgeois, problème insurmontable.

Madame Goulard, Monsieur Giegold et autres, pour que votre initiative fût pleinement convaincante, je crois qu'il aurait été judicieux de protester, lorsque le candidat était porteur de votre nationalité. Que je sache, l'Allemagne et la France ont un réservoir démographique autrement plus important. Bien entendu, vous ne l''avez pas fait. Mais face à un candidat luxembourgeois, l'on est bien entendu beaucoup plus courageux!

C'est ce qui s'appelle je crois, être fort avec les réputés faibles, et faibles avec les réputés forts. Rien que cela suffit à décrédibiliser votre action:

Que faire maintenant? Car il s'agit de faire cesser ce cinéma au plus vite et de revenir dans le droit chemin. Il faut que l'audition de M. Mersch ait lieu le plus vite possible, selon l'esprit des traités et les règles en pratique. Je veux faire cette proposition aux membres de la commission dès ce soir. C'est à une majorité de décider. Je pense qu'elle ne voudra pas se couvrir de ridicule et qu'elle permettra au moins à l'impétrant de s'exprimer. Mais c'est vrai, cette maison nous réserve de mauvaises surprises."

Robert Goebbels soupçonne ses pairs de n’avoir élevé la voix que parce qu’Yves Mersch est ressortissant d’un petit Etat membre

Le Luxemburger Wort du 11 septembre 2012 relate sous la plume de Nadia Di Pillo les propos de l’eurodéputé socialiste Robert Goebbels, lui aussi membre de la commission ECON, qui espère que l’audition d’Yves Mersch aura lieu le 12 septembre. Il n’est pas tendre non plus avec ses collègues à l’origine de la fronde contre Yves Mersch. "Ces derniers mois, nous avons eu à nous prononcer sur le président de la BCE Mario Draghi, sur un vice-président français, un vice-président allemand ainsi qu'un vice-président portugais et personne n'est monté au créneau pour réclamer l'égalité entre hommes et femmes", est-il cité. Et il ajoute : "Ce n'est que lorsqu'un représentant d'un petit Etat comme le Luxembourg se présente pour un poste que quelques eurodéputés s'activent pour protester contre l'absence de femmes. C’est inacceptable."

Il précise que «lorsqu'Yves Mersch était candidat à la vice-présidence de la BCE, il a été entendu par le Parlement au même titre que les candidats belge et portugais. Et à l'époque la Commission des affaires économiques et monétaires avait qualifié Yves Mersch de très compétent». Néanmoins, le Conseil ECOFIN a avait finalement, en février 2010, porté son choix sur le candidat portugais, "sans que personne ne s'en plaigne", souligne Robert Goebbels qui a promis que lui non plus n’allait pas mâcher ses mots à la réunion de la commission ECON. Il y est allé, partant "du principe que ce soir ou dans les prochains jours nous arriverons à organiser l'audition de M. Mersch", est-il cité par le Luxemburger Wort.

Claude Turmes sort du rang

La position de l’eurodéputé vert Claude Turmes est plus complexe. Il souligne d’abord  que ce n’est pas à lui de décider. Il explique ensuite qu’il ne partage pas les opinions d’Yves Mersch sur des questions de politique économique et financière comme la flexibilisation du marché du travail, la rigueur budgétaire et l’abolition de l’indexation automatique des salaires. Il est donc pour lui important que les questions qui lui seront posées lors de l’audition permettent de savoir "comment Yves Mersch se positionne vraiment". 

D’autre part, Claude Turmes se départit de ses autres collègues et critiques "les réflexes nationaux" dans le débat autour du blocage de la nomination d’Yves Mersch, même si la nomination de ce dernier "honore notre pays". Mais "ce qui importe pour la solution à la crise, c’est que nous envoyions à Francfort la personne qui a les convictions en matière de politique économique et financière qui conviennent."

Claude Turmes est également d’avis qu’il faut plus de femmes à des postes de direction, et pour des quotas, comme l’exige Viviane Reding pour l’UE en général. Or, quand la question concrète se pose, comme pour le directoire de la BCE, "elle vient toujours au mauvais moment pour les adversaires de la participation des femmes". Il pense que l’on ne peut donc pas reprocher au Parlement européen de prendre au sérieux les critères d’égalité de traitement dans le droit de l’UE, une cause à laquelle les dirigeants de la BCE et de l’Eurogroupe par contre restent sourds. Bref, ce serait pour lui au tour du président de la BCE, Mario Draghi, et à Jean-Claude Juncker, "d’envoyer un signal et de s’engager pour l’égalité des hommes et des femmes à la BCE."