Le 25 septembre 2012, la Commission européenne a mis sur la table une proposition poussant de nouveau à la publication de données sur les bénéficiaires des fonds agricoles européens. Le texte n’était pas passé inaperçu au Luxembourg, comme en témoignait un article paru dans le Lëtzeburger Bauer le 28 septembre 2012 qui exprimait haut et fort les protestations de la Centrale paysanne.
L’information a aussi attiré l’attention des députés Fernand Etgen (CSV) et Jean Colombera (ADR) qui ont adressé au ministre de l’Agriculture deux questions parlementaires l’invitant à se positionner sur ce dossier que le député Fernand Etgen suit de près depuis longtemps.
Dans sa réponse aux deux parlementaires transmise le 24 octobre 2012, le ministre Romain Schneider reprend l’historique du dossier.
En 2007 la Commission Européenne avait présenté une première proposition législative modifiant le règlement financier de la Politique agricole commune (PAC), afin de rendre obligatoire la publication des bénéficiaires des paiements de la PAC.
A l'époque, rappelle Romain Schneider, le Luxembourg n'a pas voté en faveur de cette proposition de règlement, en invoquant le caractère disproportionné de la mesure. Cette même attitude a été prise lors du vote des modalités d'application au Comité des Fonds agricoles.
Suite à une plainte déposée par des producteurs allemands de la Hesse, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a invalidé ces dispositions en novembre 2010, en ce qui concerne les personnes physiques, mais les a confirmées pour les personnes morales. Depuis cette date la publication des données relatives aux personnes physiques est suspendue.
Dans son arrêt la CJUE conclut à l'invalidation des dispositions sur la publication des bénéficiaires personnes physiques, en raison de la violation du principe de proportionnalité. Ce principe exige que "les moyens mis en œuvre par un acte de l'Union soient aptes à réaliser l'objectif visé et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre".
La CJUE a cependant reconnu que la publication des données des bénéficiaires accroît effectivement la transparence, dont le principe est inscrit aux articles 1er TUE et 10 TUE ainsi qu'à l'article 15 TFUE, et qu'ainsi elle poursuit bien un objectif d'intérêt général reconnu par l'Union. Ainsi la publication des données pour les personnes physiques pourrait se justifier malgré le non-respect de l'article de la Charte des droits fondamentaux relatif à la protection des données personnelles.
Néanmoins la CJUE a estimé que le législateur n'avait pas cherché à "effectuer une pondération équilibrée entre l'intérêt de l'Union à garantir la transparence de ses actions ainsi qu'une utilisation optimale des fonds publics, d'une part, et les droits fondamentaux consacrés aux articles 7 et 8 de la charte, d'autre part".
Le législateur aurait donc dû essayer de trouver des dispositions "moins attentatoires au droit de ces bénéficiaires au respect de leur vie privée, en général, et à la protection de leurs données à caractère personnel, en particulier, telles que la limitation de la publication de données nominatives relatives auxdits bénéficiaires en fonction des périodes pendant lesquelles ils ont perçu des aides, de la fréquence ou encore du type et de l'importance de celles-ci".
La CJUE conclut que "eu égard au fait que les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci doivent s'opérer dans les limites du strict nécessaire et que des mesures portant des atteintes moins importantes pour les personnes physiques audit droit fondamental sont concevables tout en contribuant de manière efficace aux objectifs de la réglementation de l'Union en cause, il doit être constaté que le Conseil et la Commission, en imposant la publication des noms de toutes les personnes physiques bénéficiaires d'aides du FEAGA et du Feader ainsi que des montants précis perçus par ceux-ci, ont excédé les limites qu'impose le respect du principe de proportionnalité".
Romain Schneider explique ensuite que la Commission estime avoir tenu compte dans sa nouvelle proposition de l’arrêt de la CJUE, dans le sens, précise le ministre, où elle prévoit maintenant un seuil pour la publication, seuil correspondant à celui fixé pour les "petits agriculteurs" dans le cadre de la proposition sur les paiements directs. La proposition est ainsi censée prendre en compte une partie des critères énumérés par la CJUE pour justifier d'une approche équilibrée, à savoir "l'importance" des paiements reçus par les bénéficiaires. Elle ne prend cependant pas en compte "les périodes, la fréquence ou le type".
Dans ce contexte, Romain Schneider précise que la délégation luxembourgeoise avait déjà demandé en 2007, à titre subsidiaire, l'introduction d'un seuil pour la publication.
Toutefois, il indique aussi que le Ministère de l'Agriculture n'est "pas convaincu que la proposition répond de façon satisfaisante aux faiblesses constatées par l'arrêt précité de la Cour de Justice de l'Union Européenne". Des doutes dont il a, rapporte-t-il, fait état à l’occasion du Conseil Agriculture du 22 octobre dernier. Romain Schneider a ainsi demandé un avis du Service juridique du Conseil sur le sujet. Et il assure qu’il suivra de très près l’évolution du dossier.