Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, réunis en Conseil européen extraordinaire pour plancher sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, ont mis fin à leurs discussions dans l’après-midi du 23 novembre 2012 en remettant à plus tard l’accord qu’ils s’étaient donné pour objectif de trouver.
Après qu’ils se sont entendus sur la nomination d’Yves Mersch au directoire de la BCE le jeudi 22 novembre, le sommet avait été suspendu pour laisser aux délégations le temps et le soin de se pencher sur une nouvelle base de négociations soumise par Herman Van Rompuy à la suite des nombreuses consultations bilatérales qu’il avait menées dans la journée et des premières discussions.
Ce texte prévoit un budget total à peu près stable par rapport à la première proposition d’Herman Van Rompuy, à savoir 80 milliards d’euros en dessous de la proposition de la Commission. Mais la répartition des dépenses diffère un peu : en matière d’agriculture et de cohésion, si les montants restent en dessous de la proposition de la Commission, Herman Van Rompuy a revu à la hausse ses propositions. Ce qui implique des coupes dans d’autres rubriques.
Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a expliqué à la presse la nécessité de travailler sur un "budget de modération", qui sera soumis à un plus grand contrôle. Mais "tout le monde est d’accord sur un autre point : cela devra être un budget pour la croissance", a-t-il ajouté, précisant que l’accent devrait être mis sur l’emploi, l’innovation et la recherche. Ce qui explique que ses propositions prévoient que les dépenses en faveur de la compétitivité et de l’emploi soient plus de 50 % supérieures à celles de la période 2007-2013. "La croissance dans un pays profite à tous", a insisté Herman Van Rompuy.
"Nous aurons besoin de plus de temps pour finaliser la solution", a admis le président du Conseil européen en soulignant que l’objet des discussions n’est rien de moins que le budget pour le reste de la décennie, sept années qui vont être cruciales pour remettre l’Europe sur la voie de la relance et de la croissance.
Pour autant, "il n’y a pas lieu de dramatiser", a commenté Herman Van Rompuy en rappelant que les négociations sur le cadre financier sont si complexes qu’elles ont souvent besoin de se faire en deux étapes, comme ce fut le cas en 2005, lorsque les négociations entamées sous la présidence du Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker avaient été finalisées sous présidence britannique.
A défaut de conclusions, les chefs d’Etat et de gouvernement invitent donc, dans une brève déclaration, le président du Conseil européen à poursuivre dans les semaines à venir les travaux et les consultations en concertation avec le président de la Commission européenne, dans le but de parvenir à un consensus entre les Vingt-sept sur le cadre financier pluriannuel de l'Union pour la période 2014-2020.
"Les négociations bilatérales et les discussions constructives qui ont été menées au sein du Conseil européen ont fait apparaître un degré suffisant de convergence potentielle pour qu'un accord soit possible au début de l'année prochaine", poursuivent les chefs d’Etat et de gouvernement qui pensent "être en mesure d'aplanir les divergences de vues existantes". Ils ne perdent pas de vue en effet qu’il est "important, pour la cohésion de l'Union et pour l'emploi et la croissance dans tous nos pays, de disposer d'un budget européen".
Si le sommet a été présenté comme un "échec" dans la presse, plusieurs des participants ont préféré, à l’image d’Herman Van Rompuy, mettre en avant l’utilité des discussions. "Ce Conseil a été utile et a correspondu à une étape souhaitable pour chercher un accord sur une perspective budgétaire" pour l'Union européenne, a ainsi déclaré François Hollande à l’issue du sommet. "Si le conseil peut, au début de l'année 2013, se réunir pour conclure, ce serait une bonne perspective", a-t-il ajouté. Le président français a lui aussi souligné que, par le passé, il y a "toujours eu deux Conseils européens, un premier exploratoire pour comprendre les positions des principaux pays et voir ce qui peut éventuellement les rapprocher, et un Conseil conclusif". Angela Merkel s’est quant à elle déclarée "satisfaite des discussions", estimant qu'il était "possible de trouver un accord en début d'année prochaine". L'esprit était "très amical et constructif", a souligné la chancelière allemande qui estime qu’il "n'y a aucune raison de trouver un accord au forceps".
Jean-Claude Juncker a pour sa part eu des mots durs à l’égard de l’attitude de certains Etats-membres : "les chefs d’Etat et de gouvernement viennent à Bruxelles pour défendre des positions nationales", déplore-t-il, dénonçant le fait que "certains, presque tous, ont des chiffres en tête", tandis que "ceux qui ont des convictions au cœur sont devenus rares". Pour Jean-Claude Juncker, il s’agit là d’un "débat entre chiffres et convictions". Or, il a fait état de sa "conviction que les 27 Etats membres de l’UE sont tous des bénéficiaires nets de l’intégration européenne". Le Premier ministre luxembourgeois s’insurge notamment contre la distinction qui est faite entre pays "contributeurs nets" et "bénéficiaires". "Cela me dérange massivement que des pays plus pauvres, qui ont connu des voies de développement historiques très différentes, doivent se mettre à genoux pour recevoir plus d’argent de la part de pays plus riches qui ont pu grandir depuis la fin de la guerre du bon côté du continent", a expliqué Jean-Claude Juncker. "Qui sommes-nous pour ne plus considérer l’histoire, mais faire tout simplement comme si elle n’avait pas eu lieu ?", s’est interrogé le Premier ministre luxembourgeois qui trouve injuste que l’on fasse "comme si les pays recevant des fonds de cohésion n’étaient que les pays bénéficiaires et comme si les pays contributeurs ne profitaient pas massivement des moyens attribués aux pays bénéficiaires". Aussi, lorsqu’il s’est vu demander pourquoi le prochain sommet qui se tiendrait début 2013 devait aboutir à un accord, il a répondu rester "confiant dans l’idée que le bon sens se répartirait de façon plus équilibrée".
Pour autant, à l’issue du Conseil européen, le Premier ministre luxembourgeois a jugé que l’ambiance a été peu hostile, contrairement à ce que laissaient présager les annonces préliminaires au sommet. "Le Conseil européen que nous avons eu hier soir et aujourd'hui fut un Conseil européen intermédiaire, dans la mesure où dès sa convocation, il fut assez évident qu'il ne saurait y avoir d'accord", a-t-il expliqué à la presse à la sortie du sommet.
Jean-Claude Juncker a aussi confié, comme le rapportent Guy Kemp dans le Tageblatt et Tajana Koneczny dans le Luxemburger Wort, que la dernière proposition soumise par Herman Van Rompuy répondait, dans l’ensemble, aux "réflexions nationales et européennes" du Luxembourg. Il admet en effet que dans l’UE, "il faut également faire des économies". Mais il tient à ce qu’elles soient faites "dans des domaines appropriés".
Jean-Claude Juncker a notamment défendu la politique agricole commune, qui conditionne l’autosuffisance alimentaire de l’UE. Etant donné le défi que représentera l’alimentation dans les 20 prochaines années, Jean-Claude Juncker a insisté pour que tout soit fait pour que l’Europe ne dépende pas un jour de la Chine ou d’autre puissances internationales pour se nourrir. Le Premier ministre se réjouit d’avoir été entendu par Herman Van Rompuy pour ce qui est du développement rural : le Luxembourg a obtenu ce qui est nécessaire pour poursuivre cette politique, même s’il a fallu accepter de renoncer sur certains points.
Jean-Claude Juncker a aussi raconté s’être opposé à deux autres coupes, dans des domaines qui se trouvent toutefois en dehors du cadre budgétaire. D’une part, il s’insurge contre les coupes dans le fonds européen d’ajustement à la mondialisation, qui permet par exemple de soutenir les travailleurs qui perdent leur emploi en raison de délocalisations. D’autre part, il s’est opposé à la coupe de 11 milliards envisagée dans le fonds d’aide au développement. "Chaque jour, 25 000 enfants meurent de faim dans le monde et le message de l’Europe, qui veut jouer un rôle dans le monde, serait de faire des coupes dans l’aide au développement ?", s’est insurgé le Premier ministre luxembourgeois.
Jean-Claude Juncker estime qu’un prochain sommet se tiendra au plus tôt en janvier prochain, mais plus vraisemblablement en février.