Le 18 décembre 2012, la Commission a publié un rapport très détaillé qui s’inscrit dans le cadre de son analyse des déséquilibres macro-économiques dans la zone euro. Si la Commission a déjà demandé à analyser de façon plus détaillée la situation de quatorze Etats membres dans son rapport de mécanisme d’alerte publié le 28 novembre dernier, ses services se penchent là sur le cas des quelques pays qui affichent un solde des opérations courantes excédentaire.
Le solde des opérations courantes est un des indicateurs sur lesquels la Commission se base, entre autres, pour identifier un éventuel déséquilibre macroéconomique susceptible de déboucher sur une procédure de déficit excessif, telle que le six-pack l’a introduite en vue d’une meilleure coordination des politiques économiques.
Dans l’ensemble, le solde des opérations courantes de la zone euro est équilibré. Mais, tandis qu’il s’est détérioré dans un certain nombre d’Etats membres, dans d’autres, il a augmenté. D’un point de vue macro-économique, les déficits ont donc été financés par les excédents de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Finlande, de l’Autriche et du Luxembourg. En dehors de l’UEM, Danemark et Suède affichent aussi des excédents importants.
La Commission s’est donc penchée sur le cas de ces huit Etats membres, qui affichent de façon constante, et ce depuis une dizaine d’années, un important excédent du solde des opérations courantes, en cherchant à savoir si ces excédents ont été optimaux pour ces Etats membres eux-mêmes d’une part, s’il existe un lien entre excédents et déficits au sein de la zone euro d’autre part et enfin si un rééquilibrage est en cours.
En moyenne l’excédent de ces huit Etats membres était de l’ordre de 5 % du PIB en 2008. Si ces chiffres ont eu tendance à se tasser depuis 2008, les excédents restent relativement élevés, la moyenne étant sur le point d’atteindre 4 % du PIB en 2012.
Il y a toutefois une grande hétérogénéité entre ces huit pays. Ainsi, par exemple, avec la crise, les excédents autrichien, belge et finlandais ont nettement diminué, alors qu’ils sont restés élevés en Allemagne, au Luxembourg et en Suède, et ont même augmenté au Danemark et aux Pays-Bas. D’après les prévisions d’automne de la Commission, c’est aux Pays-Bas qu’il est le plus élevé, puisqu’il atteindrait 9,2 % du PIB en 2012.
Dans le rapport, on observe que le cas du Luxembourg est assez peu évoqué, ce qui se comprend car la spécificité du pays, à savoir l’importance de sa place financière dans l’économie, explique en très large partie pourquoi le Luxembourg affiche un excédent qui dépasse le seuil des 6 % que la Commission utilise comme référence dans son rapport de mécanisme d’alerte.
En revanche, l’accent est principalement mis sur les Pays-Bas et l’Allemagne.
La Commission tente de tirer au clair certaines questions essentielles portant sur ces excédents, lesquelles ne sont pas sans lien avec certains éléments du débat public qui a beaucoup tourné ces derniers mois, de façon plus ou moins implicite et à des degrés différents d’un pays à l’autre, autour des déséquilibres entre des pays du Sud surendettés et peu compétitifs et des pays du Nord, et surtout l’Allemagne, qui a fondé sa compétitivité sur ses exportations dans la zone euro et des conditions salariales très concurrentielles.
Une des questions qui se pose est donc de savoir si ces excédents doivent être considérés comme un problème en termes de déséquilibre macro-économique. Déficits et excédents des balances courantes sont une conséquence naturelle des interactions économiques entre pays, rappelle la Commission, et ils montrent à quel point un pays repose sur des prêts provenant du reste du monde ou au contraire prête ses ressources ailleurs. Les excédents peuvent être tout simplement le fruit d’une répartition de l’épargne qui tient compte des différentes opportunités d’investissement se présentant de par le monde, relève ainsi la Commission qui explique que les différences en termes de perspectives économiques entraînent des différences dans les stratégies d’épargne : ceux qui ont les attentes les plus brillantes ont tendance à réduire l’épargne et par conséquent contribuent à l’accumulation de déficit. Les pays qui ont une population vieillissant vite peuvent pour leur part trouver opportun d’épargner, et donc de générer de l’excédent, de façon à lisser la consommation dans le temps.
Et puis, ajoute la Commission, déficits et excédents de la balance courante font partie du processus d’ajustement au sein d’une union monétaire. Ainsi, les services de la Commission observent que l’augmentation de la dispersion des balances courantes dans les différents pays membres depuis 1999 a été un résultat positif de l’intégration financière.
Mais l’augmentation des déficits et des excédents peut aussi être le témoin de distorsions liées à des prévisions erronées, à une mauvaise évaluation des risques ou des distorsions de marché, ou encore provenir d’interventions politiques mal avisées ou de faiblesses dans la surveillance financière. De telles défaillances du marché impliquent une mauvaise allocation des ressources et sont cause de déséquilibres et de vulnérabilités dans les pays déficitaires comme excédentaires, avec le risque que cela ait pour conséquence, y compris chez ces derniers, des pertes en termes de bien-être. Dans de tels cas, il serait dans l’intérêt des pays excédentaires de remédier à ces défaillances ou de corriger leurs interventions de façon à lever les obstacles qui freinent leur demande intérieure, préconise la Commission.
Une autre question intéressait la Commission, à savoir s’il existe un lien entre les excédents de certains pays et les déficits des autres. Il s’avère que déficits et excédents sont étroitement liés du fait du commerce transfrontalier intense et des liens financiers qui existent dans la zone euro et dans l’UE. Les services de la Commission observent notamment que l’épargne des pays excédentaires qui dépasse leur propre investissement finance les déficits dans d’autres pays de la zone euro.
Pour autant, il n’est pas aisé d’établir un lien de causalité direct entre les déficits et les excédents de deux pays. Il n’y pas de preuve par exemple que la performance à l’export d’un pays excédentaire étouffe les exportations des pays déficitaires.
Une hausse de la demande intérieure dans les économies excédentaires de la zone euro améliorerait la balance commerciale des pays qui affichent un déficit, conclut cependant la Commission. Mais elle prévient qu’il ne faut pas surestimer l’impact d’un rééquilibrage de l’activité économique dans les économies déficitaires, parce que l’augmentation des importations serait dispersée entre un grand nombre de partenaires commerciaux.
Le cas de l’Allemagne tient une place importante dans le rapport à ce titre. La Commission estime en effet qu’une augmentation de la demande intérieure dans un grand pays excédentaire comme l’Allemagne aurait un effet bien plus fort sur les exportations de ses voisins de la zone euro, y compris ceux qui sont déjà excédentaires, que sur les économies périphériques de la zone euro.
La Commission cherche par ailleurs à comprendre quels sont les facteurs expliquant déficits et excédents. Il ressort de l’analyse que la plupart d’entre eux découlent de flux financiers qui ont été stimulés par la convergence des taux d’intérêt consécutive à l’introduction de l’euro et par le développement des marchés financiers européens et mondiaux. En l’absence d’une macro-supervision adéquate des marchés financiers, cela a conduit à des booms portés par le crédit, à une réduction de l’épargne corrélée à un investissement excessif dans les activités non productives en périphérie et, dans les pays du centre, à une concentration excessive des risques dans le système financier.
Par ailleurs, les chocs externes – la Commission pense par exemple à la montée en puissance de la concurrence des pays émergents, à l’élargissement de l’UE, à la hausse des prix des matières premières ou encore à l’évolution du modèle de la demande mondiale - ont été plus importants pour les déséquilibres intra-européens qu’on ne l’imaginait. Et les impacts de ces différents chocs ont différé d’un pays à l’autre. La Commission cite l’exemple de la concurrence venue de Chine et des autres pays émergents, qui a eu des conséquences considérables sur la performance à l’exportation des économies de l’UE. Or, si le phénomène touche en principe toutes les économies de l’UE, il semble que ces changements dans le commerce mondial ont plus affecté les pays déficitaires.
Autre question cruciale soulevée par la Commission, celle de savoir si les pays excédentaires devraient réduire leurs excédents. La Commission constate que dans bien des cas, il n’y a pas de défaillance de marché spécifique ou d’intervention politique à mettre en cause, mais plutôt un ensemble de paramètres structurels qui pourraient avoir conduit à cette accumulation d’excédents. Aussi, des réformes structurelles pourraient-elles aider à renforcer la demande intérieure dans ces pays, et donc contribuer à un rééquilibrage. Les services de la Commission pensent notamment à des mesures visant à améliorer le fonctionnement de certains secteurs spécifiques, comme ceux des services, certains services d’intermédiation, comme les hypothèques, et autres services non exportables pouvant stimuler une croissance basée sur la demande dans les pays excédentaires. Non seulement de telles améliorations structurelles profiteraient aux pays concernés, mais leurs retombées positives sur les autres économies de la zone euro pourraient aussi se faire sentir.
Restait à savoir dans quelle mesure le processus de rééquilibrage est déjà en cours. D’après la Commission, il est en cours. A ce stade, les plus grands ajustements ont été faits dans les pays déficitaires, par un désendettement conduisant à une réduction de la consommation et de l’investissement, mais aussi, dans une certaine mesure, par une amélioration de la compétitivité. Il y aussi eu une réduction des excédents, mais elle restée relativement modeste jusqu’ici, constate la Commission qui note toutefois que l’écart a tendance à se resserrer entre pays de l’UE, alors que les excédents liés aux échanges avec des pays tiers se sont accentués. Ce qui, selon l’interprétation des services de la Commission, peut laisser penser que le rééquilibrage intra-européen ne se fait pas au détriment de la compétitivité des pays excédentaires par rapport au reste du monde.
Pour la Commission, les conditions favorables à une plus forte demande intérieure sont en place dans la plupart des pays excédentaires. Mais du point de vue de la zone euro, la Commission souligne que c’est l’évolution dans deux pays qui sera décisive : la tendance à la hausse des salaires en Allemagne devrait permettre au pays de réduire son excédent, tandis que, dans le cas des Pays-Bas, la demande intérieure modérée et la nécessité de réduire la dette continuent d’accentuer la pression sur l’excédent.
Pour soutenir ce processus de rééquilibrage, la Commission expose plusieurs pistes.
De son point de vue, dans une union monétaire, le mécanisme d’ajustement par les coûts relatifs et les prix devrait être soutenu par un marché des biens et un marché du travail suffisamment flexibles pour permettre une réallocation efficace des ressources.
La plupart des pays excédentaires connaissent actuellement des tensions sur leur marché du travail, ce qui pourrait laisser penser qu’ils connaîtront une hausse des salaires plus rapide. Dans un contexte de rééquilibrage, toute politique impactant les coûts de main-d’œuvre devrait être discutée de façon coordonnée, indique la Commission qui appelle à distinguer les politiques qui visent à remédier aux problèmes de fonctionnement du marché du travail de celles qui ont pour priorité d’améliorer la compétitivité. Toutefois, la Commission précise bien que le rééquilibrage ne peut de toute évidence pas se faire au sein de la zone euro et de l’UE par des politiques qui porteraient préjudice à la compétitivité de l’UE, de la zone euro ou même d’un Etat membre dans l’économie mondiale, ou qui porteraient atteinte à l’objectif de stabilité des prix.
Par ailleurs, dépasser la fragmentation financière et restaurer des flux de capitaux sains allant des pays du centre vers les pays vulnérables de la zone euro sera crucial pour favoriser leur reprise, ce qui est indispensable tant en termes de balance extérieure que de viabilité des finances publiques, souligne la Commission. Elle voit donc comme capitale la restauration de flux de capitaux entrant dans ces pays à des fins productives, par exemple sous la forme d’investissements directs étrangers (IDE). De ce point de vue, la Commission juge capitale une supervision financière adéquate, ainsi que la mise en œuvre du mécanisme de surveillance unique (MSU), dans la mesure où ces instruments permettront de mieux assurer que l’épargne abonde bien la production.