Le 5 décembre 2012, le Tageblatt a publié une interview avec le président de l'OGBL et de la Chambre des salariés, Jean-Claude Reding, au sujet de la politique de désendettement et du ralentissement de l'activité économique en Europe.
Interrogé sur les moyens pour l'Europe de sortir de la crise, le syndicaliste plaide d'abord pour que l'Europe opte pour une "autre politique" et abandonne l'actuelle qui "aiguise la crise". Au lieu de généraliser les politiques d'austérité et de rigueur dans toute l'Europe, il s'agirait à rebours "de protéger le pouvoir d'achat et même de le stimuler dans certains pays". "Les activités économiques doivent être soutenues et non être freinées à travers la réduction des investissements publics. Si cela ne se passe pas, nous connaîtrons une grande récession en Europe", prévient Jean-Claude Reding.
Ce dernier poursuit en jugeant que "l'Europe a besoin d'une politique industrielle et économique ayant pour but de stimuler le potentiel d'avenir" que recèlent par exemple les technologies propres et vertes. Ces dernières forment de "grandes chances de développement pour l'industrie et l'artisanat". Cet essor n'irait pas sans, simultanément, développer des programmes de promotion de la recherche et de la formation dans ce domaine.
Par ailleurs, Jean-Claude Reding estime que l'Europe doit veiller "à ne pas trop désavantager ses propres entreprises quand elle ouvre ses marchés". Les hauts standards environnementaux sont "bons et nécessaires" mais "doivent être accompagnés de mesures qui empêchent le dumping écologique". Et le même raisonnement vaut aussi pour la lutte contre le dumping social. "Nous devons arrêter de toujours dénoncer tout comme du protectionnisme. La Chine et les USA protègent aussi leur économie."
Enfin, Jean-Claude Reding est d'avis que les systèmes sociaux doivent être maintenus à leur niveau actuel. "Ils sont décisifs pour la paix sociale dans la société. Et l'être humain a besoin de cette cohésion pour pouvoir vivre décemment. C'est finalement le but de l'économie, qui n'est pas seulement la production de gains". Il faudrait ainsi introduire des standards sociaux minimums à l'échelle de l'UE afin de "garantir la sécurité sociale et œuvrer à une répartition des richesses produites la plus équitable possible". Toutefois, "en ce moment, c'est plutôt une politique contraire qui est poursuivie dans l'UE", dit-il.
Quand on lui demande comment vont se développer l'économie mondiale et le mouvement de globalisation des échanges économiques et financiers, Jean-Claude Réding rétorque : "Je ne suis pas un prophète" et en profite pour relativiser la justesse des prévisions à long terme. "Je m'étonne toujours que des institutions telles que l'OCDE prévoient à quoi ressemblera la situation économique en 2060, alors qu'en 2007 ils n'étaient pas capables de prévoir la crise de 2008", lâche-t-il.
Acceptant toutefois de commenter les "tendances [qui] sont visibles", il fait remarquer que les nouvelles économies comme celles de l'Inde et de la Chine continueront à "se développer énormément". "Il y a en Chine un grand marché intérieur qui n'est pas encore épuisé", poursuit le syndicaliste. "Simultanément, il y a dans ces pays de grandes différences sociales, qu'ils doivent maîtriser s'ils veulent éviter de graves conflits sociaux."
Son discours le ramène à la question de la régulation de la globalisation puisque les zones émergentes "ne sont plus seulement des fournisseurs de matières premières. Ils les transforment en produits qu’ils vendent en Europe."
"Nous vivons au temps de la globalisation et la question est de savoir comment nous y faisons face. Nous ouvrons simplement nos marchés et espérons un équilibre futur, selon le slogan : La main invisible du marché va régler ça. Pourtant, ça n'a encore jamais marché ainsi. Il faut agir par la régulation. Sinon nous nous dirigeons vers de grands conflits sociaux et écologiques. L'Europe doit se réorienter et construire de nouvelles activités. L'aspect régional-local ne doit pas être omis. Chaque produit ne doit pas être trimballé sur la mer d'un bout du monde à l'autre."
L'enjeu serait ainsi de s'assurer que les droits sociaux sont respectés. Jean-Claude Reding propose l'introduction des standards définis par l'Organisation internationale du travail (OIT) dans les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). "De surcroît, il faut mettre de nouveau sous contrôle les nombreux flux financiers et les spéculations", dit-il.
Interrogé dans la deuxième partie de l'interview sur la politique économique du Luxembourg, Jean-Claude Reding déplore qu'au niveau national, "nous copions la politique d'austérité de l'UE". Or, "pour beaucoup, cela commence à faire mal". "L'actuelle politique de rigueur est mauvaise pour le pouvoir d'achat de la plupart des salariés et rentiers. C'est mauvais pour l'activité économique et pour l'emploi", juge-t-il.
Le Luxembourg doit se poser des questions sur son développement futur, notamment en termes de technologies de l'environnement ou encore sur les services aux plus âgés dans une société dont les citoyens vivent plus longtemps.
"Nous ne pouvons plus compter sur une politique de niches, par exemple à travers la fiscalité. Il faut aussi garder l'industrie et l'artisanat en tête et pas seulement la place financière", laquelle dit-il plus loin, devrait à terme perdre l'importance qu'elle a prise en termes d'emplois et d'impôts, étant donné que "les règles deviennent plus sévères", et revenir à "une activité bancaire traditionnelle".
"Si le changement s'accompagne de chômage et d'insécurité sociale, nous faisons fausse route. Nous devons maintenir les gens dans l'emploi. C'est un élément central qui manque actuellement dans la politique économique au Luxembourg", explique encore le président de l'OGBL qui fait remarquer qu'"il serait bon que nous pensions moins mondialement et plus à l'échelle de la Grande Région".
L'Etat disposerait toujours des ressources financières pour lancer des investissements qui faciliteront la nouvelle orientation économique. Jean-Claude Reding relativise en effet la situation d'endettement du Luxembourg. "Il est important de ne pas tomber dans l'hystérie. Nous avons nettement moins de dettes que nos voisins. Le niveau d'endettement est bas. Sa progression est due aussi à nos prises de participation dans les banques. Nous avons obtenu des actifs", explique-t-il avant de poursuivre : "Si nous faisions des dettes pour payer les activités courantes, nous aurions un problème. Mais ce n'est pas le cas. Nous empruntons de l'argent pour faire des investissements. La question est : Ces investissements sont-ils sensés, quels revenus directs et indirects apportent-ils au pays." "Le budget militaire a assez fortement augmenté ces dernières années. Cela a-t-il un sens économique et social?", cite-t-il en exemple.
Investir n'est pas "fondamentalement mauvais", répète le syndicaliste par ailleurs. "Dans le passé, l’on a certes construit trop cher et de manière trop luxueuse, mais l’on a pris aussi des mesures irréfléchies et même mauvaises. Ainsi, le taux marginal d'imposition a été baissé. On a fait des cadeaux fiscaux aux couches supérieures."
L’endettement pourrait se résorber par la croissance future à défaut de pouvoir recourir à des réserves que le pays a manqué de constituer lorsque la croissance était au rendez-vous, enchaîne Jean-Claude Reding. En l'absence d'une prévision de croissance plus positive, il est possible d'agir sur l'impôt, afin de ne plus seulement charger les classes moyennes. "Les contribuables qui gagnent plus de 200 000 euros, paient relativement moins d'impôt que les autres. C'est injuste. De plus, les impôts sur le capital sont moins élevés que l'imposition du travail. C'est malsain", juge Jean-Claude Reding qui ajoute à cette liste la nécessité de boucher les échappatoires fiscaux et de donner à l'administration les moyens de combattre activement la fraude fiscale.
Le président de l'OGBL confie ne pas pouvoir s'exprimer longuement sur les possibilités d'économies dans le budget. Il manque au syndicat et à la Chambre des salariés les moyens pour analyser précisément les différents postes de budget. "Le budget n'est pas assez transparent. Il faudrait savoir ce qui se cache derrière chaque crédit." En tout cas, il estime que l'objectif d'un déficit zéro au bout de deux an, tel que fixé par le gouvernement, est exagéré. "Nous aurions supporté quelques années de déficit."
Dans le cadre d'une question sur l'abolition de l'imposition sur les sociétés, laquelle il rejette, Jean-Claude Reding plaide pour une taxe sur les transactions financières qui serait bonne pour l'alimentation d'un "fonds pour l'industrie européenne". Cette transaction devrait toutefois être introduite à un niveau européen et pas seulement luxembourgeois.