Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Budget de l'Etat 2013 - La Chambre des salariés a publié un avis à contre-courant sur le projet de budget 2013
22-11-2012


Chambre des SalariésComme en 2011, l’avis de la Chambre des salariés (CSL) sur le projet de budget publié le 22 novembre 2012 se distingue fortement des autres approches, comme celle de la BCL ou de la Chambre de Commerce.

Quand il s’agit de l’évaluation de la situation économique et de son impact sur les finances publiques, la CSL insiste sur la nécessité de prendre en considération non pas le PIB en volume, mais le PIB en valeur, car les recettes fiscales dépendent de l’évolution du premier.

Ainsi, le PIB en valeur a affiché en 2010 une croissance de 10,8 %, "la deuxième plus forte progression depuis l’an 2000" selon l’avis, et en 2011, cette croissance a été de 6,8 % en 2011, la sixième meilleure performance sur douze années. Pour le PIB en volume, les chiffres ont été de 3 et 1,7 % pour ces mêmes années. Pour 2013, la CSL parle d’une croissance en valeur entre 2,5 % et 3,8% (contre 1 % pour le STATEC en PIB volume), "ce qui ne correspondrait certes pas à l’évolution généralement admise, mais serait sans doute tout de même, selon le résultat final, supérieur à la croissance de 2001, victime de l’éclatement de la bulle technologique".

S’il y a accord entre la CSL et d’autres offices sur l’évolution de l’inflation, la question des salaires mobilise la CSL qui constate une forte diminution des salaires réels.

Évolution des coûts salariaux unitaires

Contrairement aux associations ou chambres patronales et à la BCE, la CSL ne compare pas les coûts salariaux unitaires nominaux (CSUN) ou réels (CSUR) au Luxembourg avec l’évolution des pays voisins et dans l’UE. Mais elle dresse le constat que le CSUN n’a que progressé modérément après une forte hausse de 2008/2009, et que le CSUR est "aujourd’hui, à son niveau de 2005, ce qui signifie donc qu’il stagne depuis presque une décennie". Jaugée par les outils mêmes de la Commission européenne, la profitabilité des entreprises aurait selon la CSL "progressé plus rapidement que les salaires tant décriés". La marge unitaire nominale (ou encore le "coût du capital unitaire nominal", CCU) a selon  la CSL progressé 1,3 fois plus vite que le salaire unitaire entre 1995 et 2011, puisque le CSUN a progressé de 51,7 % contre + 64,7 % pour le CCUN.

Pour la Commission européenne, "une hausse du coût salarial unitaire nominal d’une économie donnée correspond à une hausse des coûts du travail qui excède l’augmentation de la productivité du travail". Selon la Commission, "cela peut potentiellement constituer une menace pour la compétitivité-coût de cette économie, si d’autres coûts (par exemple le coût du capital) ne sont pas ajustés en compensation". L’ajustement compensatoire à la progression trop rapide de la marge unitaire s’opère en réalité par les coûts salariaux, et ici, la CSL constate que le CSU a baissé de 4 %.

Autre argument avancé, contre des arguments avancés par le côté patronal, par la CSL  qui se réfère à des documents de la Commission européenne : "Il n’existe (…) pas de lien entre coûts salariaux et performances à l’exportation." La CSL cite : "L’accent mis sur le CSU est généralement justifié par l’ouverture de nos économies. Cependant les performances à l’exportation (quantifiées par la part du marché mondial) ne semblent pas non plus devoir être affectées par les augmentations des coûts salariaux, même si cela semble théoriquement fondé, au moins dans la zone euro."

La CSL rejette aussi avec des arguments nouveaux les attaques contre l’indexation des salaires. Celle-ci "est souvent remise en cause pour des questions de finances publiques et de compétitivité, et ce tout particulièrement depuis le début de la crise. Pourtant, la crise que connait actuellement le Luxembourg n’est pas une crise liée à une perte intrinsèque de compétitivité, mais bien une crise conjoncturelle européenne dont le Luxembourg, petite économie très ouverte, ne peut que subir les conséquences aux origines extrinsèques. Ainsi, la progression annuelle du niveau de valeur ajoutée brute demeure sur un trend constant de 4 % en moyenne."

Pour la CSL, "la part salariale luxembourgeoise, à savoir le coût du travail par unité produite, est donc une des plus faibles d’Europe. Le pendant de cette situation est donc bien évidemment un taux de marge (EBE rapporté à la valeur ajoutée au coût des facteurs) parmi les plus élevés en Europe."

Par cette approche, la CSL se distingue de la BCL ou de l’UEL, qui pointent tous les deux l’évolution des coûts salariaux unitaires (CSU) nominaux, qui ont augmenté selon l’organisation patronale de 41,9 % au Luxembourg entre 2000 et 2011 alors qu’ils ont connu une hausse de 18,7 % en moyenne dans les trois pays voisins, et 5,7 % seulement en Allemagne. Pour la BCL et l’UEL, la rémunération des travailleurs au Luxembourg a évolué beaucoup plus rapidement que la productivité.

Contre la rigueur d’un budget pro-cyclique en temps de difficultés économiques

Quant au projet de budget lui-même qui s’inscrit dans le cadre du nouveau "semestre européen", une première approche de la CSL consiste à dire qu’il ne contient pas, "contre toute attente", "de dispositions visant à mener une politique budgétaire expansionniste en temps de faible conjoncture". La CSL pense qu’en cas de mauvaise conjoncture, "il conviendrait de planifier de manière concertée des budgets européens de relance comprenant des mesures discrétionnaires favorables au redressement conjoncturel".

Or, le budget 2013 "ajoute même une couche supplémentaire de rigueur, sans avoir attendu le retour de la croissance et, qui plus est, sans focaliser l’effort de consolidation sur les ménages les plus aisés, les entreprises et le capital". Bref, "les mesures de consolidation annoncées au Luxembourg nuisent au pouvoir d’achat - alors que les salaires réels baissent déjà - et réduisent la dépense publique, ce qui affecte la demande intérieure". In fine, "le solde budgétaire (…) devient de facto l’objectif politique ultime de l’action publique".

Des finances publiques saines

Contre ce qui se dit en de nombreuses enceintes, "la CSL juge l’état des finances publiques luxembourgeoises relativement sain compte tenu de la dynamique conjoncturelle européenne et mondiale actuelle" et de citer "plusieurs indices convergents".

Elle constate d’abord que les quatre critères nominaux sont tous largement respectés par le Luxembourg  - déficit inférieur à 3 % du PIB (- 1,5 %), dette publique inférieure à 60 % (26 % en 2013) ou encore norme de croissance des dépenses (3,65 % du PIB, alors que ce sera 2,7 % en 2013).

Les trois autres critères structurels – le solde structurel, l’objectif de moyen terme (OMT), qui vise un surplus de 0,5 % qui n’est pas atteint avec un solde négatif de -0,1 %  tout comme l’évolution annuelle du solde structurel - reposent par contre pour la CSL sur une croissance "potentielle" du PIB dont la mesure fait l’objet de beaucoup d’incertitudes et de controverses entre économistes.

De l’avis de la CSL, "vouloir dès lors orienter une politique budgétaire sur un critère structurel établi aujourd’hui pour 2013 parait par conséquent hautement contestable, voire irresponsable, car cette politique risquerait bien de se baser sur des prémisses totalement irréalistes, faisant reposer la politique budgétaire sur du sable".

Pour la CSL, il n’y pas le feu dans la maison, puisque "le Luxembourg fait partie des pays dont la dette et le déficit publics en % du PIB ont baissé en 2011 !" Par ailleurs la crise actuelle "reste toujours conjoncturelle, puisqu’elle touche l’ensemble de l’Union avec plus ou moins de vigueur, et n’est en rien structurellement propre au Luxembourg, cas de figure où le Luxembourg serait alors isolé avec ses problèmes économiques dont découleraient des déficits publics de nature structurelle". Là aussi, l’analyse de la CSL est opposée à celles de plusieurs autres acteurs socio-économiques qui pointent des problèmes structurels. 

La CSL fait la différence entre les recettes courantes qui elles, couvrent les dépenses courantes, et le déficit effectif des budgets depuis 2009, qui sont imputables à la politique d’investissement dont les générations futures bénéficieront également.

Comme la CSL anticipe également la croissance du PIB en termes de valeur, et que cette croissance sera au maximum de 3,8 %, et pas de 1 % comme celle du PIB volume sur lequel les hypothèses du gouvernement et des autres acteurs se fondent, les dépenses budgétaires croîtront par ailleurs moins vite que le PIB, alors que dans les hypothèses des autres acteurs, c’est exactement le contraire. Et même en termes de PIB volume, la CSL insiste sur le fait que les dépenses budgétaires du Luxembourg sont avec 42 % du PIB moins élevées que la moyenne de l’UE ou encore de la zone euro, qui se situe autour de 49,5 %, et que les voisins et principaux partenaires du Luxembourg, l’Allemagne, la France et la Belgique, ont avec respectivement 45,3 %, 56 % et 53,3 % de dépenses budgétaires en termes de PIB volume nettement supérieures à celles du Luxembourg. "Aux yeux des partisans du ‘moins d’État’, le Luxembourg apparait en fait déjà comme un modèle", lit-on, un rien ironique, dans l’avis.  

Un problème de recettes plus que de dépenses

Pour la  CSL, le problème du budget du Luxembourg se situe du côté des recettes, qui ont, depuis 2000, diminué sur une projection linéaire de 44 à 40 % du PIB, alors que dans cette projection, les dépenses ont baissé de 40 à 39 %. Mais "pour 2013, il semblerait que, en valeur absolue, on connaisse le phénomène inverse pour l’Administration centrale. Si, à son niveau, l’hypothèse des recettes progressant en 2013 plus rapidement que les dépenses, se vérifie, le déficit 2013 pourrait être moins élevé que celui de 2012".

La CSL conteste également l’idée d’inscrire les transferts que l’Administration centrale réalise au profit de la Sécurité sociale comme un coût ou de les considérer "comme le plus important ensemble de dépenses de l’État" : "Ces flux ne constituent aucunement des ' dépenses' subies par les autorités publiques mais bien des ‘transferts’ volontaires à la sécurité sociale dans le respect du contrat social luxembourgeois." Et l’avis ajoute : "La nuance est en réalité de taille." Car pour la CSL, "ces transferts sont bien opérés à partir de recettes qui proviennent en large partie de la contribution fiscale des salariés et pensionnés ainsi que de la consommation finale". Par ailleurs, le montant des transferts vers la Sécurité sociale émanant des autres secteurs publics (3,4 milliards en 2011) est pour la CSL "largement couvert par les recettes générées par l’impôt sur les ménages salariés (4,6 milliards en 2011), soit les impôts sur les traitements et salaires ainsi que sur les dépenses de consommation des salariés/retraités (en incluant seulement la partie de la TVA découlant du commerce électronique qui reviendra au Luxembourg et hors accises) et abstraction faite des cotisations sociales salariales."

Pour la CSL, "l’État ne joue donc en réalité rien de plus que le rôle d’une chambre de compensation ou d’intermédiaire financier entre les contribuables, d’une part, et les citoyens, les assurés sociaux ou les agents économiques en général, de l’autre, mettant ainsi en œuvre les principes politiques de solidarité, y compris sur un plan économique, au cœur de l’État social. Les transferts ainsi réalisés rendent la société efficace parce qu’ils permettent de stabiliser les revenus, de développer les infrastructures, d’assurer le fonctionnement des institutions ou encore de former et de soigner la population."

Finalement, la CSL explique que "la progression prétendument importante de la dette publique en 2013 est liée pour une partie seulement au besoin de financement des investissements des administrations, le reste s’expliquant par une volonté d’alimenter la réserve financière à bas prix, de respecter des engagements financiers institutionnels ou pour refinancer la partie de la dette ayant servi à sauver le secteur bancaire." Vient alors le reproche au gouvernement de ne pas être suffisamment transparent sur ce dernier aspect des choses.

Le CSL conteste l’interprétation par le gouvernement des nouvelles règles budgétaires européennes

Les conclusions de la CSL sont claires : La situation de déficit budgétaire du Luxembourg n’a "rien de dramatique" Avec 18 % du PIB, la dette publique est "la plus faible parmi les pays notés AAA", et s’y ajoute "ne réserve de la Sécurité sociale à plus de 27 % du PIB". Et encore : "Les recettes courantes couvrent les dépenses courantes et le déficit sert uniquement à financer des investissements importants bénéficiant également aux générations futures. Il existe une contrepartie de la dette publique sous forme de participations et d’infrastructures. Il en résulte que les recettes de la propriété dépassent largement le service de la dette."

Mais il y a les nouvelles règles budgétaires européennes qui "donnent néanmoins l’occasion au ministre des Finances d’exiger des réformes incisives pour préserver une situation budgétaire saine en corrigeant tout écart par rapport à l’objectif de moyen terme (OMT) (…) sous peine de sanctions européennes". Ces objectifs structurels sont jugés restrictifs, et leurs fondements tiennent pour la CSL "à la fois du mythe (passif implicite du système de pension par répartition) et d’une méthodologie douteuse (croissance potentielle)".

La CSL pointe la 12e actualisation du Programme de stabilité qui indique que "l’objectif budgétaire à moyen terme de +0.5 % du PIB l’an, permettra, s’il est atteint, de préfinancer partiellement la future augmentation des dépenses publiques liées au vieillissement démographique". Pour la CSL, le Luxembourg a une position structurelle excédentaire, et un cash-flow de 256 millions a dû être dirigé quelque part pour "préfinancer" la dette cachée des pensions. Mais de l’autre côté, la CSL constate "que la position nominale (c'est-à-dire réelle, sonnante et trébuchante) est au même moment déficitaire de 128 millions". Elle ne voit donc pas l’intérêt qu’il y a de façonner des mesures de rigueur dans l’intervalle d’un cycle où il y a des problèmes alors qu’il est censé dégager un excédent structurel non sur une année, mais sur une certaine période, surtout si ces mesures "s’avèrent pro-cycliques et économiquement contreproductives".

La CSL conteste donc les options fiscales et les réductions des dépenses sociales que le budget 2013 veut opérer. Les entreprises porteront 32,9 % des nouvelles charges, et les ménages 50,9 %, ce qui "renforce davantage les déséquilibres entre les charges portées par les entreprises et les ménages, particulièrement en défaveur des classes moyennes". Les salariés et les consommateurs assument une plus grande charge, "alors que les bénéfices des entreprises augmentent plus rapidement que les salaires".

Une réforme fiscale d’envergure

Bref, la CSL plaide pour une "réforme fiscale d’envergure", car "une réduction des dépenses publiques constitue une solution de facilité pour les finances publiques à court terme et ne représente certainement pas la réponse appropriée aux problèmes structurels qui pourraient se poser".

Son objectif : "Cette réforme devrait réparer deux déséquilibres nés au fil des dernières décennies : le premier rééquilibrage devrait se faire au niveau de la contribution des entreprises, qui est en diminution relative constante par rapport à celle des ménages, en augmentation constante. Le deuxième rééquilibrage devrait se faire entre les ménages à revenus faibles et moyens et les ménages à revenus élevés, étant donné que les classes moyennes portent, relativement parlant, une partie de plus en plus grande des charges, ce qui est dû à la structure du barème d’imposition, mais aussi à la faible imposition des revenus des capitaux." Avec l’imposition des entreprises, elle s’oppose à tous les autres acteurs. Avec sa proposition sur l’imposition de la propriété, elle est sur le même terrain que la BCL qui y voit une des rares marges de manœuvres. Pour la CSL, ce qui importe, c’est un budget de l’Etat qui donne à ce dernier les moyens de répondre aux défis structurels, de mener le cas échéant une politique industrielle tout en veillant à l’équité, car selon Jean-Claude Reding, le président de la CSL, l’équité est incontournable pour que les politiques de l’Etat "soient portées par la majorité des citoyens".