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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
"Quel droit de vote pour les étrangers ?" - Un débat est lancé sur une question qui pourrait, selon Pierre Gramegna de la Chambre de Commerce, faire du Luxembourg un "laboratoire de l’Europe"
29-01-2013


Quel droit de vote pour les étrangers au Luxembourg, conférence du 29 janvier 2013Quel droit de vote pour les étrangers ? Le débat est lancé au Luxembourg par l’ASTI et son nouveau partenaire, la Chambre de commerce, dans le cadre de 2013, Année européenne des citoyens. Après des déclarations de ministres, une table-ronde à la télévision et un battage médiatique assez conséquent, une grande réunion publique a eu lieu le 29 janvier 2013 à la Chambre du Commerce. Y ont pris la parole devant une salle comble le président de la Chambre des députés, Laurent Mosar, le directeur de la Chambre de commerce, Pierre Gramegna, le directeur des études de le TNS-ILRES, Charles Margue, qui a exposé les résultats d’un sondage sur le sujet, la cheffe d’entreprise Michèle Detaille, qui a évoqué la diversité dans son entreprise, le président de la Chambre des salariés Jean-Claude Reding, le président de la CGFP et de la Chambre de la fonction publique, Emile Haag et la présidente de l’ASTI, Laura Zuccoli.

Pierre Gramegna pour une approche progressive qui vise prioritairement les ressortissants résidents de l’UE

Pierre Gramegna a ouvert le débat comme maître des lieux. Pour lui, la question du droit de vote aux étrangers est liée à celle de leur intégration dans l’économie et dans les institutions politiques. Il a brièvement cité les chiffres qui caractérisent la situation démographique du pays et son marché du travail, plus de 43 % de non-Luxembourgeois parmi la population résidente, une part de plus de 36 % de frontaliers sur le marché du travail, des secteurs comme l’Horeca, les banques, le commerce et l’industrie, où les étrangers représentent 80 % et plus de l’emploi. La balance des paiements courants et les investissements étrangers sont les moteurs de l’économie luxembourgeoise, et les frontaliers représentent un tiers de la consommation totale du pays. Bref, "le Luxembourg est totalement tourné vers l’extérieur".

Pierre Gramegna, directeur de la Chambre de commerce, lors du débat "Quel droit de vote aux étrangers?", le 29 janvuier 213 à LuxembourgPierre Gramegna a aussi abordé la question des langues parlées dans les entreprises. Les deux langues les plus parlées dans les entreprises sont le français avec 99 % et l’anglais avec 87 %, suivis de l’allemand (82 %). Le luxembourgeois vient seulement en 4e position. "Le luxembourgeois joue un rôle important mais pas crucial", doit conclure Pierre Gramegna, qui est d’avis que la langue nationale doit "servir de pont, mais pas constituer une barrière". Une façon polie de questionner les critères linguistiques de la loi sur la nationalité.        

Pour le président de la Chambre de Commerce, la nouvelle loi sur la nationalité de 2008 et sa clause qui permet la double nationalité est un succès, puisque 16 000 naturalisations ont été enregistrées sous son régime, dix fois plus que sous l’ancien régime. Pierre Gramegna pense néanmoins que le régime actuel devrait être assoupli, y compris sur le temps de résidence, passé de 5 à 7 ans.

La Chambre de Commerce envisage, avant l’introduction d’un droit de vote pour les étrangers "une période d’observation de 5 à 6 ans pour voir comment les étrangers participent à la discussion sur les projets de loi traités à la Chambre des députés dans le cadre de fora sur Internet". Elle voudrait que cet essai participatif soit placé sous le signe de "Luxembourg laboratoire de l’Europe", dans la mesure où 87 % des étrangers vivant au Luxembourg sont des ressortissants de l’UE. Finalement, Pierre Gramegna a déclaré que le droit de vote devait être prioritairement envisagé pour les citoyens de l’UE et qu’il faudrait aussi réfléchir à la manière de permettre aux frontaliers venant travailler au Luxembourg, qui représentent un quart des 600 000  frontaliers de l’UE, de participer à des processus de décision.

Le sondage de TNS-ILRES : un « oui, mais » des Luxembourgeois au droit de vote des étrangers 

Charles Margue présenta ensuite un sondage de son institut, TNS-ILRES, qui avait été mené à froid en juillet 2012 sur la question du droit de vote auprès de 1086 résidents du Luxembourg, âgés de plus de 18 ans.

Composition de la population du pays

Interrogés sur les raisons de vivre, habiter ou travailler au Luxembourg, 38 % des sondés ont placé au premier des trois rangs proposés la qualité de vie, 20 % ont cité l'attachement au pays, 13 % le niveau salarial. Suivaient ensuite l'environnement et la sécurité physique.

Charles Margue de TNS-ILRES, lors du débat "Quel droit de vote pour les étrangers au Luxembourg?", le 29 janvier 2013 à LuxembourgLes trois quarts de la population résidente considèrent "inacceptable" de dépasser à l'avenir le seuil des 700 000 habitants. 49 % des résidents de nationalité luxembourgeoise se contenteraient de 600 000 habitants, tandis que les résidents étrangers se montrent dans la moyenne un peu plus ouverts à une croissance plus importante de la population. Ces derniers sont en effet 17 % à accepter un nombre de 800 000 habitants contre 13 % des résidents luxembourgeois. 

Charles Margue a rappelé qu’il y a moins de vingt ans, le Luxembourg ne comptait que 400 000 habitants, et qu’il a entretemps largement dépassé les 520 000. Pourtant, la très grande majorité de tous les résidents interrogés voient dans les 700 000 habitants une limite démographique à ne pas dépasser. 

Trois quarts de la population résidente considèrent là aussi comme "inacceptable" de dépasser le "seuil fatidique" d'un taux de 50 % de résidents étrangers. 60 % des résidents luxembourgeois aimeraient que ce taux soit inférieur à 50 %, 37 % des résidents étrangers sont du même avis. 19 % des Luxembourgeois sont prêts à la parité 50/50, qui remporte les suffrages de 33 % des résidents étrangers. La remarque de Charles Margue : "peu importe ce que les résidents peuvent souhaiter, le dépassement des 50 % de résidents étrangers sur le territoire luxembourgeois, ça va arriver."

Participation politique

Deux tiers des résidents sont favorables à l'octroi du droit de vote aux étrangers. "Les Luxembourgeois font de la résistance", commente néanmoins TNS-ILRES. Pour cause, si 85 % des résidents étrangers sont d'accord pour affirmer que "le corps électoral pour les élections législatives n’est pas représentatif de la population du Luxembourg, les étrangers doivent avoir le droit de vote aux élections législatives (pour la Chambre des députés) au bout d’une certaine durée de résidence", cette proposition est du goût de 59 % des résidents de nationalité luxembourgeoise. En 2005, l'institut TNS-ILRES avait déjà posé une question similaire. Il ressortait des réponses que 57 % des Luxembourgeois étaient en faveur du droit de vote des étrangers aux législatives, sous conditions de durée résidence.

Les résidents luxembourgeois sont aussi plus sceptiques que les étrangers sur les vertus de cet élargissement de la participation politique. 54 % d'entre eux approuvent la suggestion de l'institut qu'une telle ouverture "permet de mieux relever les défis futurs du pays" et 50 % pensent que cela "permet de renforcer la cohésion de la société luxembourgeoise". De leur côté, 84 % des étrangers marquent leur accord avec ces deux propositions, donc nettement plus.

Interrogés sur la pertinence de permettre aux frontaliers de participer au débat politique, via une instance spécifique, 84 % des frontaliers sont d'accord. Les résidents sont bien plus sceptiques, qu'importe qu'ils soient de nationalité étrangère (49 %) ou luxembourgeois (48 %).

Nationalité

TNS-ILRES a également interrogé les sondés sur l'accès à la nationalité luxembourgeoise. La maîtrise de la langue luxembourgeoise est une "condition indispensable", selon les termes de l'institut, pour 75 % des sondés. 64 % adhèrent à la proposition qu'il faut suivre des cours d’instruction civique. 48 % acceptent qu'il faille faciliter l’accès à la nationalité luxembourgeoise pour les personnes étrangères ayant un conjoint luxembourgeois. 41 % pensent qu'il faut maîtriser une (seule) des trois langues du pays, le luxembourgeois, l’allemand ou le français pour obtenir la nationalité. 35 % approuvent qu'il faille faciliter l’accès à la nationalité luxembourgeoise pour les personnes étrangères travaillant auprès de l’Etat luxembourgeois et des communes.

Pour ce qui est de la durée de résidence appropriée avant de demander la nationalité luxembourgeoise, 48 % des résidents optent pour sept années comme dans la situation actuelle, et 43 % pour cinq années. Les durées inférieures ne recueillent pour leur part que peu de suffrages.

Le président de la Chambre des députés Laurent Mosar personnellement en faveur d’une "ouverture limitée du droit de vote" qui ne serait qu’actif, une ouverture sanctionnée par un référendum

Prenant la parole après l’exposé des résultats du sondage, le président de la Chambre des députés, Laurent Mosar a  placé la question du droit de vote dans le contexte de l’intégration et de la cohésion sociale du Luxembourg, qui sont pour lui les grands défis de l’avenir auxquels citoyens et décideurs devraient accorder une priorité. Les résultats du sondage l’ont "apaisé", a-t-il expliqué, car ils sont différents de celui effectué par IPSOS dans la France de 2013, "une étude qui révèle des signes alarmants". Mais le premier citoyen du pays s’est aussi dit "sans illusions" sur les réponses qui auraient été données aux mêmes questions au Luxembourg, à en juger des remarques racistes, xénophobes et homophobes qu’il lit tous les jours sur les sites Internet luxembourgeois.

Laurent Mosar, président de la Chambre des députés, lors du débat "Quel droit de vote pour les étrangers au Luxembourg?", le 29 janvier 2013 à LuxembourgLe président de la Chambre a ensuite souligné que dans aucun Etat, le droit de vote législatif - il l’a précisé, puisque le droit de vote communal est ouvert à tous les étrangers, UE ou pays tiers, et que le droit de vote aux élections européennes est ouvert aux ressortissants de l’UE – n’est ouvert aux non-ressortissants. Mais en deuxième lieu, il a admis que le Luxembourg se trouve dans une "situation vraiment exceptionnelle". Finalement, il s’est prononcé pour une intégration par la participation, qui ne se limiterait pas aux élections communales et européennes, mais qui pourrait s’étendre aux élections législatives. Comment y arriver ? Le débat est lié à celui lancé par le ministre de la Justice, François Biltgen, sur la loi sur la nationalité. Dans ce débat, lui-même tend vers une clause de résidence réduite de 7 à 5 ans. D’autre part, Laurent Mosar pense que les partis politiques ont leur rôle à jouer pour susciter l’intérêt des résidents étrangers à la chose publique luxembourgeoise. Les élections de 2014 devraient être l’occasion pour les partis en lice de thématiser la question et de se positionner. Lui-même est personnellement en faveur d’une "ouverture limitée du droit de vote" liée à une durée de résidence encore à déterminer, et ce droit de vote ne serait qu’actif. Pour que ce droit de vote soit possible, il faudra changer la Constitution, et un référendum devrait décider de l’issue d’un "sujet particulièrement sensible" qui suppose au préalable un grand débat de société.

Néanmoins ni un référendum ni le droit de vote ne sont la panacée pour résoudre les problèmes du pays, pense Laurent Mosar, et "l’expérience des élections communales a d’ores et déjà montré toutes les difficultés qui existent pour motiver la population étrangère à participer". Le droit de vote n’assure pas par lui-même la participation, souligne-t-il, et "les étrangers doivent eux aussi changer leur manière de penser".

Le droit de vote doit également être envisagé comme un élément de la citoyenneté européenne. Laurent Mosar verrait bien qu’au niveau de l’UE, l’on arrive à s’entendre sur l’idée que tout citoyen de l’UE pourrait participer aux élections législatives de l’Etat membre de l’UE dans lequel il réside, et seulement à ces élections dans ce cas.

Reprenant l’évidence exprimée par Charles Margue, le président de la Chambre s’est dit convaincu que d’ici 2020-2050, le Luxembourg comptera autant de résidents luxembourgeois que non-luxembourgeois, et il est persuadé que certaines exclusives auraient dans ce cas des répercussions négatives sur la cohésion sociale du pays, alors que cette dernière est un de ses facteurs de succès.

Jean-Claude Reding veut un débat sur des bases claires pour éviter qu’il ne dégénère

Jean-Claude Reding, président de la Chambre des salariés, lors du débat "Quel droit de vote pour les étrangers au Luxembourg?", le 29 janvier 2013 à LuxembourgJean-Claude Reding, qui s’exprimé en tant que président de la Chambre des salariés, a lui aussi évoqué le sondage en France, en disant que les Lorrains expriment dans les sondages et dans leurs votes dans une forte proportion des attitudes xénophobes. Se pose alors la question de savoir comment organiser "notre vivre-ensemble". Les élections aux Chambres professionnelles sont complètement ouvertes à tous les affiliés. La Chambre des salariés compte 70 élus, dont 10 élus non-luxembourgeois, 17 %, alors que les listes sont, elles, beaucoup plus équilibrées. Les Luxembourgeois votent, mais les frontaliers notamment votent très peu. Partant de là, la Chambre des salariés lancera une campagne d’information plus différenciée lors des prochaines élections sociales.

Pour le chef du plus grand syndicat du pays, "la xénophobie est plus ancrée qu’on ne le croit". D’où la nécessité de dire clairement ce que l’on veut quand on parle de droit de vote aux étrangers. S’agit-il du droit de vote actif, ou du droit de vote actif et passif ? Et sous quelles conditions ? Il faut selon lui être précis, "sinon le débat dégénère". Quant à la création d’une enceinte délibérative pour les frontaliers, Jean-Claude Reding reste sceptique, car les clivages entre ceux que l’on appelle frontaliers sont importants. Pour lui, mieux vaut se rabattre sur le lieu où les salariés sont le plus longtemps ensemble : le lieu de travail. Renforcer la démocratie sociale dans les entreprises est pour lui une piste à suivre, qui permettrait de lever une foule de malentendus. Inclure plus de salariés dans les comités d’administration serait une autre piste.

Emile Haag en faveur du droit de vote pour les citoyens étrangers si ceux-ci remplissent les critères d’accès à la nationalité

La position d’Emile Haag qui s’est exprimé au nom de la Chambres des fonctionnaires et employés publics, "l’autre face de la CGFP", comme il l’a formulé, est la suivante : il est en faveur du droit de vote pour les citoyens étrangers Emile Haag, président de la Chambre des Fonctionnaires et ermployés publics, lors du débat "Quel droit de vote aux étrangers?", le 29 janvuier 213 à Luxembourgsi ceux-ci remplissent les critères d’accès à la nationalité, à savoir 7 ans de résidence, un cours d’instruction civique et la maîtrise certifiée de la langue luxembourgeoise. Mais comme la question pourrait aussi se poser chez nos voisins, Emile Haag penche en faveur d’une solution européenne qui tiendrait compte des situations particulières des Etats membres.

La question peut être abordée dans le calme, car le Luxembourg ne subit aucune pression extérieure. La pression sur le droit de vote est de « fabrication maison ». Avec sa position d’ouverture, Emile Haag se voit "à l’avant-garde de l’UE", mais le débat et les attaques qu’il croit percevoir contre la fonction publique luxembourgeoise "touchent aux fondements de l’Etat national, car les Luxembourgeois se considèrent comme une nation".

Emile Haag s’est ensuite lancé dans une polémique au sujet de l’Université du Luxembourg, lui reprochant de considérer que la nation est une fiction qui dérive de l’esprit humain, alors que selon lui les Luxembourgeois sont attachés à leur pays, qu’il ne faut pas le brader tout en restant fidèle à son esprit d’ouverture qui se traduit par le fait que tant d’emplois sont donnés à des étrangers et qu’on envisage maintenant de leur donner accès à la vie politique.  

Laura Zuccoli de l’ASTI pour un droit de vote des résidents conçus comme communauté d’intérêts

L’intervention finale fut celle de Laura Zuccoli, la présidente de l’ASTI, le temps de décliner une doctrine tout à fait particulière. Elle a fait appel à l’esprit de 1919, quand le Luxembourg fut un des premiers pays à donner le droit de vote aux femmes.

Laura Zuccoli, présidente de l'ASTI, lors du débat "Quel droit de vote pour les étrangers au Luxembourg?", le 29 janvier 2013 à LuxembourgEn 2013, l’apport des étrangers est grand, mais la légitimité des élus est selon elle limitée. 30 % des lois votées à la Chambre des députés remontent à une initiative luxembourgeoise. 70 % sont d’abord décidées à l’initiative de la Commission européenne par le Conseil de l’UE et le Parlement européen, et ensuite censées être transposées. Le Luxembourg est représenté au sein des deux législateurs européens, et les ressortissants européens résidents sont d’ores et déjà représentés au Parlement européen, donc dans l’élaboration de 70 % des lois. Ce n’est pas le cas pour les autres 30 %. Par ailleurs, le nombre des députés à la Chambre qui représenteraient les Luxembourgeois ne devrait pas être selon Laura Zuccoli de 60, chiffre gelé et lié à l’ensemble des habitants, mais de 34, vu que les 26 autres députés devraient représenter les 43 % de la population étrangère.

Selon l’oratrice, le droit de vote et la nationalité ne sont pas liés. Les résidents du Luxembourg représentent une communauté d’intérêts qui sont gérés par les élus qui affectent les impôts payés par tous. Le droit de vote revient donc aux résidents. La nationalité par contre relève de l’identité, de l’histoire et de la langue, et la nation est une communauté de destin. Le droit de vote et la nationalité relèvent donc de deux logiques différentes bien que complémentaires.