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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Hugues Fulchiron a exposé toute la complexité de la reconnaissance des situations familiales créées au sein de l’Union européenne dans les différents Etats membres
19-02-2013


Hugues Fulchiron, professeur de droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon III, lors de son exposé sur  la reconnaissance des situations familiales créées dans les différents Etats membres de l'UEEuroprilex, le groupe de travail en droit privé européen de l’Université du Luxembourg, a organisé le 19 février 2013 un séminaire de midi consacré à la reconnaissance des situations familiales créées au sein de l'UE. Hugues Fulchiron, professeur de droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon III, spécialiste de droit international privé et de droit de la famille, a fait le point sur l’actualité de la reconnaissance des situations familiales qui ont été créées dans un Etat membre de l’Union européenne par les autres Etats membres de l’Union, telles que les diverses formes nationales de partenariat civil et le mariage homosexuel. Une problématique qui est liée directement à la liberté de circulation des personnes, à leur liberté d’établissement et au principe de non-discrimination des citoyens au sein de l’UE. Une problématique qui est aussi de grande actualité, puisque la France vient de rejoindre le club des pays de l’UE qui ont ouvert le mariage aux homosexuels - Pays-Bas, Belgique, Espagne, Suède, Portugal, Danemark – et que le débat est engagé au Luxembourg.

Neuf pays de l'Union européenne autorisent une forme d'union civile – Allemagne, Hongrie, République tchèque, Royaume-Uni, Finlande, Luxembourg, Slovénie, Irlande, et Autriche. Un projet de loi est en discussion en Grèce. Onze pays de l'UE ne reconnaissent aucune forme d'union pour les couples homosexuels - Italie, Grèce, Chypre, Malte, Slovaquie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Roumanie, Bulgarie, Pologne - et quatre Etats membres de l’UE interdisent explicitement un tel type d’union dans les textes : Pologne, Bulgarie, Lettonie et Lituanie. Cette évolution est en train de conduire à la révision des théories de droit international privé qui ont cours.

Prudence des cours

Reste que les grandes cours européennes, la CEDH et la CJUE, demeurent très prudentes sur ces questions, comme ne manque pas de le souligner Hugues Fulchiron, et renvoient, quand il est question de reconnaissance de ces unions, à l’ordre interne des Etats membres. Le droit de l’UE procède de la même manière. Le règlement dit Rome 3 qui met en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dont le Luxembourg fait partie et qui est entré en vigueur le 21 juin 2012 se garde de donner une définition du mariage et renvoie vers les lois des Etats membres, quel que soit le cas de figure envisagé pour ce qui est du choix de la loi qui s’appliquerait - loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention, loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention, loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ou loi du for, c’est-à-dire la loi du lieu où la juridiction a été saisie.

Les cours restent prudentes parce que les différences se creusent entre les droits nationaux et les régimes matrimoniaux qu’ils prévoient, comme le constate Hugues Fulchiron. De l’autre côté, les règles pour gérer les conflits entre juridictions progressent. Néanmoins, l’insécurité juridique est grande pour les personnes qui ont contracté un mariage dit homosexuel dans un Etat membre où cela est possible et qui se rendent ou s’établissent dans un autre Etat membre. Toute la question est pour le juriste lyonnais de savoir comment il est possible de remédier à cette insécurité, par une reconnaissance de ces unions, mais une reconnaissance basée sur le discernement, afin que le remède ne se transforme pas en son contraire.

Les possibles logiques de la reconnaissance dans la jurisprudence des cours européennes

Hugues Fulchiron envisage deux cas de figure : l’importation d’un mariage homosexuel dans un Etat membre qui le connaît lui aussi, et l’importation dans un Etat membre qui ne le connaît pas, voire l’interdit. Même dans le premier cas de figure, la reconnaissance n’est pas automatique. Tout dépend des règles de conflit qui gèrent le régime importé. Dans le deuxième cas de figure, l’Etat d’accueil peut refuser de laisser un mariage homosexuel produire ses effets ou de le reconnaître. Il peut aussi accepter qu’il produise ses effets, comme cela a été le cas de la France du temps d’avant la loi du mariage pour tous. Il peut aussi le requalifier en l’assimilant à ce qui lui ressemble le plus dans sa législation, par exemple en le requalifiant en partenariat.

Hugues Fulchiron pense que la reconnaissance des mariages homosexuels est le meilleur chemin pour remédier à cette insécurité.

Cette reconnaissance pourrait être basée sur la logique de l’arrêt Wagner de la CEDH qui concerne d’ailleurs le Luxembourg. Dans cette affaire, la CEDH invoque dans une question d’adoption plénière d’enfant par des célibataires, refusée par les autorités luxembourgeoises malgré un jugement étranger dans l’autre sens, le fait que la question de l’adoption par des célibataires se trouve à un stade avancé d'harmonisation en Europe, mais aussi la réalité sociale de la situation et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Hugues Fulchiron est convaincu que la CJUE pourrait même aller plus loin. Il a cité l'affaire Carlos Garcia Avello / État belge de mai 2003. Dans cette affaire, le refus par les autorités belges d'enregistrer un enfant ayant une double nationalité sous le nom de ses deux parents conformément à la tradition espagnole a été considéré comme une discrimination en raison de la nationalité qui est interdite par le droit communautaire. Pour la CJUE, un tel refus ne saurait être justifié eu égard à un intérêt public supérieur qui commanderait que tout individu se trouvant dans le même État reçoive son nom patronymique de la même manière. Il a aussi cité l’arrêt de décembre 2010 de la CJUE dans l'affaire qui a opposé Ilonka Sayn-Wittgenstein au Landeshauptmann de Vienne. Dans cette affaire, la CJUE a arrêté qu’un État membre peut refuser de reconnaître le nom d'un ressortissant contenant un titre de noblesse tel qu’il a été obtenu dans un autre État membre en raison de considérations liées à l'ordre public. Par ailleurs, l'UE assure le respect du principe d'égalité des citoyens, dont la loi autrichienne sur l'abolition de la noblesse constitue une mise en œuvre. Les deux cas, qui ont chacun bouleversé la jurisprudence, montrent par leur contraste que la CJUE peut empêcher un Etat membre de refuser de reconnaître une pratique reconnue dans un autre Etat membre, sauf s’il y a des considérations d’ordre public qui constituent une menace grave. Et ce principe pourrait s’appliquer par déduction à un mariage entre homosexuels s’il a été célébré selon le droit interne d’un autre Etat membre, sauf si un problème grave se pose.

La CJUE pourrait même être tentée d’appliquer cette approche à l’égard de pays comme la Pologne, la Bulgarie et d’autres, pense Hugues Fulchiron. Car même si le règlement Rome 3 n’évoque pas la question du mariage entre homosexuels, il contient un considérant 25 qui laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations : "Dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public devraient donner aux juridictions des États membres la possibilité d’écarter une disposition de la loi étrangère lorsque son application dans un cas précis serait manifestement contraire à l’ordre public du for. Néanmoins, les juridictions ne devraient pas pouvoir appliquer l’exception d’ordre public pour écarter une disposition de la loi d’un autre État lorsque c’est contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21, qui interdit toute forme de discrimination." Et l’orientation sexuelle fait partie des motifs de discrimination prohibés, et donc contraires à l’article 21.

Une reconnaissance basée sur des critères objectifs

Mais au-delà du recours à ces grands moyens, Hugues Fulchiron plaide pour une reconnaissance basée sur des critères objectifs : que le mariage ait été célébré dans un pays avec lequel les personnes concernées ont un vrai lien, et que sa reconnaissance ne soit pas contraire à l’ordre public. En fin de compte, ce sera selon lui "le système le plus libéral" qui s’étendra "par effet de contagion". Restera à déterminer quelle loi pourra être invoquée en cas de conflit matrimonial dans un Etat membre autre que celui où le mariage a été célébré si cet Etat membre ne connaît pas de règle de conflit pour un mariage entre homosexuels, voire le prohibe. Il s’agit d’un "vaste chantier" et d’un "monde d’incertitudes" qui montrent que "la reconnaissance n’est pas la panacée" et que le respect des droits nationaux continue à se poser dans un contexte de bouleversement du droit privé international.