La TransEuropean Policy Studies Association (TEPSA) et le Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman (CERE) ont organisé le 6 mai 2011 un séminaire sur le rôle de la Cour de Justice de l'Union européenne dans l'intégration européenne après le traité de Lisbonne.
Dans son exposé, Marianne Dony, professeur de droit européen à l’ULB, a expliqué qu’en matière de citoyenneté européenne, la CJUE s’était avant tout exprimée sur les problèmes de libre circulation des personnes et de non-discrimination, dans le sens où les citoyens d’Etats membres ont un statut juridique dans tous les Etats membres qui est le même que celui des ressortissants de ces Etats.
Dans ce contexte, Marianne Dony a constaté que ce n’était pas la discrimination par un Etat d’accueil qui était la plus fréquente, mais la discrimination par les Etats membres de leurs ressortissants qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation. A part cela, les questions liées à l’éducation et à l’état civil (noms de famille, prénoms), ont été plus fréquemment traitées par la CJUE.
En matière de non-discrimination et de libre circulation, Marianne Dony a d’abord cité quelques arrêts qui ont trait à des questions posées par la condition étudiante.
L’arrêt d’avril 2010 dans l'affaire C-73/08 Nicolas Bressol e.a., Céline Chaverot e.a / Gouvernement de la Communauté française, où la CJUE a jugé que "le droit de l'Union s'oppose, en principe, à la limitation des inscriptions des étudiants non résidents à certaines formations universitaires dans le domaine de la santé publique". Mais la CJUE ajoute que "cette limitation est conforme au droit de l’Union si elle s'avère justifiée au regard de l'objectif de protection de la santé publique".
La Cour avait d’abord constaté que la réglementation qui excluait par un numerus clausus les non-résidents créait "une inégalité de traitement entre les étudiants résidents et les étudiants non résidents". Et "une telle inégalité constitue une discrimination indirecte sur la base de la nationalité qui est prohibée, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée". Pour la Cour, la crainte d’une charge excessive pour le financement d’un système plus ouvert ne pouvait justifier cette inégalité de traitement. Une inégalité de traitement fondée indirectement sur la nationalité ne serait justifiée que par l’objectif visant à maintenir un service médical de qualité, équilibré et accessible à tous.
Mais la Cour signale qu’un numerus clausus pourrait aussi diminuer, proportionnellement, le nombre de diplômés qui sont disposés à assurer, à terme, la disponibilité du service de santé sur le territoire concerné, ce qui pourrait ensuite avoir une incidence sur le niveau de protection de la santé publique.
Donc il faut vérifier si un numerus clausus peut être considéré comme propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la santé publique. Et puis il n’y a nulle garantie que l’étudiant résident ou l’étudiant non-résident exercent à l’avenir chacun dans leur pays d’origine.
La Communauté française de Belgique pourrait même envisager des mesures moins restrictives qui viseraient à encourager les étudiants accomplissant leurs études dans la Communauté française à s’y installer au terme de leurs études ou qui viseraient à attirer les professionnels formés en dehors de la Communauté française à s’installer au sein de cette dernière.
Par ailleurs, le droit d’étudiants provenant d’autres États membres d’accéder aux études d’enseignement supérieur constitue pour la CJUE l’essence même du principe de la libre circulation des étudiants. Les restrictions à l’accès à ces études, introduites par un État membre, doivent être ainsi limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis et doivent permettre un accès suffisamment large de ces étudiants aux études supérieures.
Marianne Dony a ensuite cité l’arrêt du 23 octobre 2007 dans les affaires jointes C-11/06 et C-12/06 Rhiannon Morgan / Bezirksregierung Köln et Iris Bucher / Landrat des Kreises Düren, où la Cour juge que la loi fédérale allemande relative aux aides à la formation limite indûment la libre circulation des citoyens de l’UE. Cette loi subordonne l’octroi d’aides à la formation pour les études poursuivies dans un autre État membre à la condition qu’elles soient la continuation des études suivies, pendant au moins un an, en Allemagne. La Cour a jugé qu’elle est de nature à dissuader les citoyens de l’Union de faire usage de leur liberté de circulation, dans la mesure où certaines formations peuvent ne pas exister en Allemagne, de sorte que les étudiants concernés sont obligés de choisir entre, soit renoncer à la formation envisagée, soit perdre le bénéfice d’une aide à la formation.
A l’exemple des questions de nom de famille, Marianne Dony a montré comment la Cour peut arriver à des "jugements salomoniens" dans la mesure où elle tient compte des normes européennes, de l’intérêt général des Etats membres et de celui des individus.
Dans un arrêt de la CJUE d’octobre 2008 dans l'affaire C-353/06 Stefan Grunkin et Dorothee Regina Paul / Standesamt Niebüll, l’Allemagne s’est vue dire qu’elle ne peut refuser à ses ressortissants la reconnaissance de leur nom patronymique tel qu’il a déjà été enregistré dans l’Etat membre de naissance et de résidence. Il s’agit du cas d’un enfant né au Danemark de deux parents de nationalité allemande. L’enfant est lui aussi de nationalité allemande et vit depuis sa naissance au Danemark. Son nom patronymique, composé de celui de son père et de sa mère, a été inscrit sur son acte de naissance danois. Au Danemark, il est possible de porter un tel double nom. En 2006, les parents de l'enfant ont demandé l’inscription de son double nom Grunkin-Paul dans le livret de famille tenu à Niebüll, en Allemagne. Les autorités allemandes ont, toutefois, refusé l'inscription au motif que le nom patronymique des citoyens allemands était régi par le droit allemand et que celui-ci ne permettait pas à un enfant de porter un double nom. Les parents ont introduit un recours contre cette décision de l'administration allemande. La juridiction compétente a demandé à la Cour de justice si le droit communautaire interdit à une réglementation nationale de contraindre un citoyen de l'Union européenne de porter un nom patronymique différent selon les États membres.
La Cour a relevé tout d'abord que, bien que les règles régissant le nom patronymique d’une personne relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire. De plus, la situation de l’enfant relève du droit communautaire car il est ressortissant d'un État membre tout en séjournant légalement sur le territoire d'un autre État membre.
Ensuite, la Cour constate que le fait d’être obligé de porter, dans l’État membre dont l’intéressé possède la nationalité, un nom différent de celui déjà attribué et enregistré dans l’État membre de naissance et de résidence est susceptible d’entraver l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
En effet, de nombreuses actions de la vie quotidienne exigent la preuve de l’identité, preuve qui est normalement fournie par le passeport. L’enfant ne possédant que la nationalité allemande, l’établissement de ce document relève de la seule compétence des autorités allemandes. Ainsi, lorsque les autorités allemandes refusent de reconnaître le double nom patronymique de l’enfant tel qu’il a été déterminé et enregistré au Danemark, il se verra délivrer par ces autorités un passeport dans lequel figurera un nom différent de celui qu’il a reçu dans ce dernier État membre.
Or, une telle diversité du nom patronymique dans des différents documents allemands et danois serait de nature à engendrer pour l’enfant une série de sérieux inconvénients d'ordre tant professionnel que privé, notamment en ce qu’elle est susceptible de faire naître des doutes quant à son identité ainsi qu’à l’authenticité des documents présentés ou à la véracité des données contenues dans ceux-ci.
Dans ces conditions, et étant donné que les dispositions allemandes restrictives n'ont pas été dûment justifiées, la Cour a conclu que le droit des citoyens européens de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres s'oppose à ce que les autorités allemandes refusent de reconnaître le double nom patronymique de l’enfant tel qu'il a été déterminé et enregistré au Danemark.
Ici, la Cour a tranché selon Marianne Dony en faveur d’un individu, parce que les désavantages en matière de libre circulation auraient prévalu pour l’enfant, et la solution, dans le respect des normes nationales et européennes, n’entame pas l’intérêt général de l’Etat membre.
En décembre 2010, la CJUE a jugé par un autre arrêt dans l'affaire C-208/09 qui a opposé Ilonka Sayn-Wittgenstein au Landeshauptmann de Vienne qu’un État membre peut refuser de reconnaître le nom d'un ressortissant contenant un titre de noblesse, tel qu’il a été obtenu dans un autre État membre, en raison de considérations liées à l'ordre public. Par ailleurs, l'UE assure le respect du principe d'égalité des citoyens, dont la loi autrichienne sur l'abolition de la noblesse constitue une mise en œuvre.
La Cour rappelle dans son arrêt tout d'abord que, si les règles régissant les noms patronymiques et les titres de noblesse relèvent de la compétence des États membres, ceux-ci doivent néanmoins respecter le droit de l’Union. Ainsi, le nom est un élément constitutif de l'identité de la personne et de sa vie privée dont la protection est consacrée tant par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Cour a déjà déclaré que chaque fois que le nom utilisé par une personne dans une situation concrète ne correspond pas à celui figurant dans son document d’identité, ou que le nom figurant dans deux documents présentés conjointement n’est pas le même, des doutes peuvent naître quant à l’identité de cette personne ainsi qu'à l’authenticité de ses documents ou à la véracité des données. Le simple risque concret de devoir dissiper des doutes quant à l’identité de sa personne constitue une entrave à la libre circulation.
Cependant, cette entrave peut être justifiée si elle se fonde sur des considérations objectives et si elle est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national.
À cet égard, la Cour rappelle que l’Union respecte l’identité nationale de ses États membres, dont fait aussi partie la forme républicaine de l’État. Elle admet donc que, dans le contexte de l’histoire constitutionnelle autrichienne, la loi d’abolition de la noblesse peut être considérée comme une justification d'ordre public et, par conséquent, être mise en balance avec le droit de libre circulation des personnes reconnu par le droit de l’Union.
Dès lors, cette notion d’ordre public justifiant une dérogation à une liberté fondamentale doit être entendue strictement et ne peut pas être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de l’Union. Il n'en reste pas moins que, les circonstances spécifiques qui pourraient justifier d'avoir recours à la notion d'ordre public peuvent varier d’un État membre à l’autre et d’une époque à l’autre. Les autorités nationales disposent d'une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité.
En ce qui concerne l'Autriche, il s'avère que la loi d’abolition de la noblesse constitue la mise en œuvre du principe plus général de l’égalité en droit de tous les citoyens autrichiens, principe que l'ordre juridique de l’Union tend à assurer en tant que principe général du droit.
Des mesures restrictives d’une liberté fondamentale pour des motifs liés à l’ordre public ne peuvent être justifiées que si elles sont nécessaires pour protéger les intérêts qu’elles visent à garantir et si ces derniers ne peuvent pas être atteints par des mesures moins restrictives.
Selon la Cour, il n'est pas disproportionné qu’un État membre cherche à réaliser l’objectif de préserver le principe d’égalité en interdisant toute acquisition, possession ou utilisation, par ses ressortissants, de titres de noblesse ou d’éléments nobiliaires susceptibles de faire croire que le porteur du nom est titulaire d’une telle dignité.
Par conséquent, la Cour répond que le refus des autorités d’un État membre de reconnaître, dans tous ses éléments, le nom d'un de ses ressortissants, tel qu’il a été déterminé dans un second État membre lors de son adoption à l’âge adulte par un ressortissant de ce dernier, dès lors que ce nom comprend un titre de noblesse non admis dans le premier État membre au titre de son droit constitutionnel, ne constitue pas une atteinte injustifiée à la libre circulation et au libre séjour des citoyens de l’Union.
Ici a donc prévalu selon Marianne Dony l’intérêt général de la République d’Autriche : respect de son identité nationale, de son ordre constitutionnel, de son ordre public, du principe d’égalité mie en œuvre à travers l’abolition des titres de noblesse.
Le juge Koen Lenaerts a, dans son intervention, insisté sur le fait que la citoyenneté européenne est un statut fondamental de tous les ressortissants de l’UE qui s’applique automatiquement, et il s’applique également sur tous les ressortissants de l’UE dans un autre Etat membre quand celui-ci étend les droits de ses nationaux. Le lien avec la législation européenne s’établit en règle générale dès que quelqu’un traverse une frontière. Quelqu’un qui circule librement, a certains droits. Et quand il est économiquement actif, ces droits sont à envisager sous l’angle de futures ou potentielles traversées de frontières.
Suivent ensuite de nombreux cas d’exemple.
Le juge a cité le cas de l’arrêt de mars 2010 dans l'affaire C-135/08 Janko Rottmann / Freistaat Bayern, où elle statue que le retrait de la naturalisation obtenue frauduleusement peut conduire à l'apatridie et donc à la perte de la citoyenneté de l'Union à condition que ce retrait respecte le principe de proportionnalité.
La Cour confirme dans cet arrêt les compétences des États membres pour définir les conditions d'acquisition et de perte de la nationalité, tout en rappelant que les États membres doivent, dans l'exercice de leurs compétences, respecter le droit de l'Union. Il doit notamment être vérifié si le retrait de la naturalisation et, partant, la perte des droits dont jouit tout citoyen de l’Union − parmi lesquels figure le droit de se prévaloir de l'interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité − sont justifiés et proportionnés par rapport à la gravité de l’infraction commise par celui-ci, au temps écoulé entre la décision de naturalisation et la décision de retrait et à la possibilité pour l’intéressé de recouvrer sa nationalité d’origine.
Lorsque la nationalité a été acquise de manière frauduleuse, le droit de l'Union n'oblige pas un État membre de s’abstenir du retrait de la naturalisation au seul motif que l’intéressé n’a pas recouvré la nationalité de son État membre d’origine. Il incombe néanmoins à la juridiction nationale d’apprécier si, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, le respect du principe de proportionnalité exige que, avant qu’une telle décision de retrait de la naturalisation prenne effet, il soit accordé à l’intéressé un délai raisonnable afin qu’il puisse essayer de recouvrer la nationalité de son État membre d’origine.
Ici, la CJUE a abordé la question de la proportionnalité du retrait de la naturalisation, parce que, selon le juge Lenaerts, l’apatridie peut être un grand obstacle à une potentielle libre circulation de la personne, en l’occurrence de la citoyenneté de l’UE. Bref, un temps pour le recouvrement de la nationalité autrichienne aurait dû être aménagé pour M. Rottmann.
Un autre cas abordé par le juge Koen Lenaerts est l'affaire C-34/09 Gerardo Ruiz Zambrano / Office national de l'emploi (ONE) en Belgique de mars 2011, donc tout récent.
Ici, la CJUE a statué que « la citoyenneté de l’Union exige qu’un État membre autorise les ressortissants d'un pays tiers, parents d'un enfant ayant la nationalité de cet État membre, d’y séjourner et d’y travailler, dans la mesure où un refus priverait cet enfant de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union. » Elle a également statué que cette exigence est valable même lorsque l'enfant n'a jamais exercé son droit de libre circulation sur le territoire des États membres.
Il s’agit du cas d’un couple de nationalité colombienne qui a demandé l'asile politique en Belgique. Les autorités belges ont refusé de leur octroyer le statut de réfugié et leur ont ordonné de quitter le territoire belge. Alors que le couple continuait à résider en Belgique en attendant l'issue de leur demande de régularisation de séjour, l'épouse de M. Ruiz Zambrano a donné naissance à deux enfants qui ont acquis la nationalité belge.
Bien que n'étant pas en possession d'un permis de travail, M. Ruiz Zambrano a conclu un contrat de travail à durée indéterminée, à plein temps, avec une entreprise établie en Belgique. Grâce à cet emploi, il disposait, au moment de la naissance de son premier enfant de nationalité belge, de ressources suffisantes pour subvenir à son entretien. De plus, cette activité professionnelle donnait lieu au paiement des cotisations de sécurité sociale et au versement des cotisations patronales.
Ensuite, M. Ruiz Zambrano est resté, à plusieurs reprises, sans travail ce qui l'a amené à introduire des demandes d'allocations de chômage. Ces demandes lui ont été refusées car, selon les autorités belges, il ne satisfaisait pas à la législation belge relative au séjour des étrangers et il n'avait pas le droit de travailler en Belgique.
Les époux Ruiz Zambrano ont par ailleurs introduit, en tant qu'ascendants de ressortissants belges, une demande d'établissement en Belgique. Toutefois, les autorités belges ont rejeté ladite demande, estimant qu'ils ont intentionnellement manqué de faire les démarches nécessaires auprès des autorités colombiennes pour la reconnaissance de la nationalité colombienne de leurs enfants et ce, précisément dans le but de régulariser leur propre séjour dans le pays.
M. Ruiz Zambrano a attaqué en justice les décisions de rejet de la demande d'établissement et de versement des allocations de chômage au motif notamment que, en tant qu'ascendant d'enfants mineurs belges, il devrait pouvoir séjourner et travailler en Belgique.
Le tribunal du travail de Bruxelles, saisi des décisions de rejet des allocations de chômage, a demandé à la Cour de justice si M. Ruiz Zambrano pouvait, sur la base du droit de l'Union, séjourner et travailler en Belgique. Par cette question, la juridiction belge voulait notamment savoir si le droit de l'Union est en l'espèce applicable même si les enfants belges de M. Ruiz Zambrano n'ont jamais exercé leur droit de libre circulation sur le territoire des États membres.
Par son arrêt, la Cour a rappelé que si la réglementation des conditions d’acquisition de la nationalité d'un État membre relève de la compétence exclusive de cet État, il est constant que les enfants de M. Ruiz Zambrano, nés en Belgique, ont acquis la nationalité belge. Partant, ils bénéficient du statut de citoyen de l'Union, qui a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres.
Dans ce contexte, la Cour a relevé que le droit de l'Union s’oppose à des mesures nationales ayant pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l'Union. Or, le refus de séjour opposé à une personne, ressortissante d’un État tiers, dans l’État membre où résident ses enfants en bas âge, ressortissants de cet État membre, dont elle assume la charge ainsi que le refus d’octroyer à cette personne un permis de travail auront un tel effet.
En effet, il doit être considéré pour la CJUE qu’un tel refus de séjour aura pour conséquence que ces enfants se verront obligés de quitter le territoire de l’Union pour accompagner leurs parents. De la même manière, si un permis de travail n’est pas octroyé aux parents, ceux-ci risquent de ne pas disposer de ressources nécessaires pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille, ce qui aurait également pour conséquence que leurs enfants, citoyens de l’Union, se verraient obligés de quitter le territoire de celle-ci. Dans de telles conditions, ces enfants seront, de fait, dans l’impossibilité d’exercer l’essentiel de leurs droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union.
Dans ces circonstances, la Cour relève que le droit de l'Union s’oppose à ce qu’un État membre, refuse, d’une part, à un ressortissant d’un État tiers – qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de l’Union – le séjour dans l’État membre de résidence de ces derniers et dont ils ont la nationalité et, d’autre part, d’accorder un permis de travail à ce ressortissant d’un État tiers, dans la mesure où ces décisions priveraient lesdits enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union.
Là aussi, la CJUE a préservé selon Koen Lenaerts la jouissance potentielle des droits attachés à la citoyenneté.
Mais dans un autre cas, dont l’arrêt date de mai 2011, l'affaire C-434/09 Shirley McCarthy /Secretary of State for the Home Department (UK), la CJUE a statué que "les citoyens de l'UE n'ayant jamais exercé leur droit de libre circulation ne peuvent invoquer la citoyenneté de l'Union pour régulariser le séjour de leur conjoint en provenance d'un pays tiers".
Par ailleurs, "tant que ces personnes ne sont pas privées de leur droit de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, leur situation ne représente aucun lien avec le droit de l'Union".
Ce qui implique pour le juge Lenaerts que dans ce cas de figure, la procédure pour obtenir une autorisation de séjour pour l’époux venant d’un pays tiers doit se fonder sur le droit national et non européen, et l’affaire doit donc être tranchée par une cour nationale..
En matière de discrimination, le juge Leanerts a cité les conclusions de l’avocat général de la CJUE dans l'affaire C-148/02 Carlos Garcia Avello / État belge qui date de mai 2003. Selon l’avocat général, le refus d'enregistrer un enfant ayant une double nationalité sous le nom de ses deux parents conformément à la tradition espagnole constitue une discrimination en raison de la nationalité interdite par le droit communautaire. L’avocat général considère qu'un tel refus ne saurait être justifié eu égard à un intérêt public supérieur qui commanderait que tout individu se trouvant dans le même État reçoive son nom patronymique de la même manière
L'avocat général relève dans ses conclusions dans cette affaire que chaque État membre a ses propres règles en matière de transmission des noms patronymiques d'une génération à l'autre.
Il considère ensuite que la situation relève du champ d'application du droit communautaire.
S'il est vrai que le droit communautaire relatif à la citoyenneté et à la libre circulation ne s'applique pas aux litiges entre un État et ses propres ressortissants, l'avocat général estime que le litige concerne non seulement les enfants, qui sont des ressortissants belges, mais aussi M. Garcia Avello, un ressortissant espagnol qui a exercé son droit communautaire de s'établir et de travailler dans un autre État membre.
Le refus concerne M. Garcia Avello, en tant que personne qui a introduit l'action en justice, et la question litigieuse, qui est celle de la transmission des noms patronymiques d'une génération à l'autre, revêt de l'importance pour les deux générations.
L'avocat général relève en outre que, si les enfants sont des ressortissants belges, ils ont également la nationalité espagnole, un fait qui est inséparable de l'exercice par leur père de son droit à la libre circulation.
L'avocat général considère ensuite que, depuis l'introduction de la citoyenneté communautaire, toute discrimination en raison de la nationalité est manifestement interdite dans toutes les situations auxquelles le droit communautaire s'applique et qu'il n'est pas nécessaire d'établir une entrave particulière à une liberté économique donnée.
L'avocat général affirme que le refus constitue une discrimination en raison de la nationalité, interdite par le droit communautaire, étant donné qu'il traite de la même manière des situations objectivement différentes.
De l'avis de l'avocat général Jacobs, étant donné qu'un changement du nom patronymique peut être autorisé en droit belge lorsque la demande s'appuie sur des motifs sérieux, le refus systématique d'autoriser le changement lorsque les motifs fournis sont liés à ou inséparables de la possession d'une autre nationalité est à considérer comme constituant une discrimination en raison de la nationalité. Cette pratique accorde le même traitement à ceux qui, parce qu'ils possèdent une nationalité autre que la nationalité belge, portent un nom ou ont un parent dont le nom n'a pas été formé conformément aux règles belges et à ceux qui possèdent uniquement la nationalité belge et portent un nom formé conformément à ces règles, en dépit du fait que leurs situations sont objectivement différentes.
L'avocat général considère que cette discrimination ne saurait être justifiée étant donné qu'il n'y a pas d'intérêt public supérieur exigeant qu'un modèle donné de transmission des noms prévale toujours pour les citoyens d'un État membre sur le territoire de celui-ci. Il relève que si l'objectif consistant à empêcher d'éventuelles confusions quant à l'identité en limitant le droit de changer de nom patronymique est un objectif légitime, les risques ne sauraient être exagérés et l'enregistrement officiel du changement d'un nom réduit le risque de confusion.
Enfin, l'avocat général Jacobs affirme que la notion de libre circulation ne repose pas sur l'hypothèse d'un déplacement unique vers un État membre suivi de l'intégration dans cet État, mais plutôt sur la possibilité de circuler de façon répétée, voire continue, à l'intérieur de l'Union. Il ne saurait dès lors être soutenu que le principe de non-discrimination vise à assurer l'intégration des citoyens migrants dans l'État membre d'accueil.
En mars 2005, dans l'affaire C-209/03 The Queen, à la demande de Dany Bidar / London Borough of Ealing & Secretary of State for Education and Skills, a arrêté que « l’aide couvrant les frais d’entretien des étudiants relève du champ d’application du traité CE aux fins de l’interdiction de la discrimination en raison de la nationalité. Elle statue également que la réglementation anglaise octroyant une telle aide à condition que l'étudiant soit établi au Royaume-Uni, est incompatible avec le droit communautaire dans la mesure où il est impossible pour un ressortissant d'un autre État membre d'obtenir, en tant qu'étudiant, le statut de personne "établie". Cette décision tient explicitement compte de l’évolution du droit communautaire.
La Cour rappelle que selon une jurisprudence constante, un citoyen de l'Union qui réside légalement dans un autre État membre peut se prévaloir de l'interdiction de la discrimination en raison de la nationalité dans toutes les situations relevant du domaine du droit communautaire.
Rien dans le texte du traité ne permet de considérer que les étudiants qui sont citoyens de l'Union, lorsqu'ils se déplacent dans un autre État membre pour y poursuivre des études, sont privés des droits conférés par le traité aux citoyens. En effet, un ressortissant d’un État membre qui se rend dans un autre État membre où il suit des études secondaires, fait usage de la liberté de circuler garantie par l’article 18 CE.
La Cour précise qu’un ressortissant d’un État membre qui habite dans un autre État membre où il poursuit et termine ses études secondaires, sans que lui soit opposé le fait de ne pas disposer de ressources suffisantes ou d’une assurance maladie, bénéficie d’un droit de séjour sur le fondement de l’article 18 CE et de la directive 90/364/CEE de 1990 relative au droit de séjour.
La Cour relève que, bien que dans le passé elle ait jugé qu'une aide accordée aux étudiants pour l'entretien échappe au domaine d'application du traité, le traité sur l'Union européenne a introduit la citoyenneté de l'Union et a ajouté un chapitre consacré notamment à l'éducation et à la formation professionnelle. Au vu de cette évolution du droit communautaire, la Cour constate qu'une aide accordée aux étudiants séjournant légalement dans un État membre, que ce soit sous la forme d'un prêt subventionné ou d'une bourse, et visant à couvrir ses frais d'entretien, entre dans le champ d'application du traité.
Les conditions imposées par la réglementation anglaise sont plus facilement remplies par les ressortissants britanniques et risquent de désavantager principalement les ressortissants d'autres États membres. Une telle différence de traitement ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi.
A cet égard, la Cour relève qu'il est loisible à tout État membre de veiller à ce que l'octroi d'aides visant à couvrir les frais d'entretien d'étudiants provenant d'autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l'aide pouvant être octroyée par cet État. Il est ainsi légitime pour un État membre d'accueil de n'octroyer une telle aide qu'aux étudiants ayant démontré un certain degré d'intégration dans la société de cet État.
Les conditions d'une résidence antérieure de certaines années et d'être "établi" dans l'État membre d'accueil, telles qu'imposées par la réglementation anglaise, peuvent être utilisées pour établir l'existence d'un certain degré d'intégration.
Par contre, la réglementation anglaise exclut toute possibilité pour un ressortissant d'un autre État membre d'obtenir, en tant qu'étudiant, le statut d'une personne établie. Un tel traitement fait obstacle à ce qu'un étudiant qui séjourne légalement et a effectué une partie importante de ses études secondaires dans un autre État membre et, par conséquent, qui a établi un lien réel avec la société de cet État puisse poursuivre ses études dans les mêmes conditions qu'un ressortissant de l'État membre. Elle est donc incompatible avec le droit communautaire.
En novembre 2008, la CJUE a précisé dans son arrêt dans l'affaire C-158/07 Jacqueline Förster / Hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep dans quelles conditions les étudiants des autres Etats membres ont droit à une bourse d’entretien et que le droit communautaire ne s’oppose pas à l’application, à l’égard de ces étudiants, d’une condition de résidence préalable de cinq ans.
Dans son arrêt de ce jour, la Cour rappelle qu’un étudiant séjournant légalement dans un autre État membre peut se prévaloir, en vue de l’obtention d’une bourse d’entretien, de l’interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité.
La condition relative à la durée du séjour n’étant pas opposable aux étudiants de nationalité néerlandaise, se pose la question de savoir à quelles limites peut être soumis le droit des étudiants ressortissants des autres États membres à une bourse d’entretien afin que le traitement différencié qui peut en découler ne puisse pas être considéré comme discriminatoire.
À ce titre, la Cour rappelle qu’il est légitime pour un État membre de n’octroyer une aide couvrant les frais d’entretien des étudiants qu’à ceux qui ont démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État et que l’existence de ce degré d’intégration peut être considérée comme établie par la constatation selon laquelle l’étudiant en cause a, pendant une certaine période, séjourné dans l’État membre d’accueil.
La Cour considère en l’occurrence qu’une condition de résidence ininterrompue d’une durée de cinq ans est apte à garantir que le demandeur de la bourse d’entretien en cause est intégré dans l’État membre d’accueil. Elle ne peut non plus être considérée comme excessive.
Dans ces conditions, le droit communautaire ne s’oppose pas à l’application, à l’égard des ressortissants d’autres États membres, d’une condition de résidence préalable de cinq ans.
Mais, comme l’a remarqué le juge Lenaerts, la question se pose autrement pour des recours quand des non-ressortissants ou leurs parents ont payé leurs impôts et leurs cotisations sociales dans l’Etat membre et ont perçu d’autres avantages. Une allusion à peine déguisée à l’affaire des allocations familiales supprimées à partir de 18 ans et des bourses d’études luxembourgeoises réservées aux résidents.
Dominik Hanf, professeur au Collège européen de Bruges, a posé des questions liées à la répartition des compétences entre Etats membres et UE. Que peut faire dans un tel contexte le juge européen ? Qu’est-ce qu’il ne devrait pas faire ? Que devrait-il faire ? Avant que le traité de Maastricht ne crée explicitement la citoyenneté européenne, la CJUE a au cours de son histoire émis des arrêts sur les droits sociaux, économiques et même politiques des citoyens qui étaient souvent liés à la question de la nationalité. La Cour a ainsi contribué par sa jurisprudence à l’émergence de cette citoyenneté rendue explicite plus tard.
Reste qu’il y a selon Dominik Hanf des limites à ce "développement dynamique" de la citoyenneté de l’Union par la CJUE et les cours dans les Etats membres. Les juges devraient selon lui se retenir dans les domaines des droits sociaux et économiques. Le droit national reste avec la Convention européenne des droits de l’homme qui s’applique directement au droit national la référence première des citoyens. Evidemment, si une situation n’est pas réglée par le droit commun, un traitement différencié d’une affaire s’impose.
Et c’est là que se pose la question de savoir ce qui relève de la législation nationale et des juges nationaux ou de la législation européenne et des juges européens.
Pour Dominik Hanf, le traité de Lisbonne apporte des éléments plus explicites de respect des traditions constitutionnelles des Etats membres. Exemple, le nouvel art. 4 TUE : "L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale."
Dans un tel contexte, Dominik Hanf constate qu’un juge national ne peut pas remettre en question la loi nationale. Et le juge européen, le peut-il ? Le fait est que la CJUE a eu une grande influence sur l’évolution des droits nationaux. En cela elle est différente.