Dans son édition datée du 19 mars 2013, le Tageblatt publie un long entretien que le président de l’ALFI, Marc Saluzzi, a accordé au journaliste Yves Greis.
Premier point abordé lors de ce long entretien, le bilan de l’industrie des fonds d’investissement au Luxembourg. "2012 a été une bonne année", résume Marc Saluzzi qui estime que ces bons résultats "confirment la place du Luxembourg à la pointe en Europe". Le nombre de fonds d'investissement est resté stable au Luxembourg, alors qu’il recule dans la plupart des pays européens, ajoute encore le président de l’ALFI qui se félicite de voir que la part du Luxembourg dans les fonds européens est en augmentation constante et a dépassé les 30 %. "Notre modèle se base sur une extrême diversification de nos investissements et des pays dans lesquels nous vendons les fonds", explique Marc Saluzzi qui constate que "ce modèle porte ses fruits".
Deuxième sujet discuté, la directive AIFM, dont l’industrie des fonds attend un succès similaire à celui connu par les directives successives encadrant les OPCVM, plus connues sous le nom de UCITS. "L’industrie des fonds alternatifs européens était jusqu’ici très peu régulée, et quand elle l’était, c’était pays par pays", rappelle Marc Saluzzi en soulignant que la directive AIFM propose désormais un cadre européen et fait qui plus est aux fonds alternatifs une proposition équivalente à celle faite aux OPCVM il y a 25 ans de cela, à savoir les encadrer par des règles strictes en leur délivrant en échange un passeport européen. Ce qui fut un succès pour les OPCVM semble avoir de bonnes chances d’être un succès pour les fonds alternatifs, estime en toute logique Marc Saluzzi.
La directive n’est toutefois pas encore entrée en vigueur : votée au Parlement européen en novembre 2010, elle devrait être transposée par tous les Etats membres d’ici juillet 2013. Au Luxembourg, où l’industrie des fonds a une importance particulière, cette directive est particulièrement importante, du point de vue du président de l’ALFI, ce qui explique que le gouvernement luxembourgeois ait déposé un projet de loi en portant transposition dès le mois d’août 2012. "L’objectif est d’adopter la loi aussi vite que possible", affirme Marc Saluzzi.
A l’heure actuelle, Marc Saluzzi estime que 200 à 250 milliards d’euros sont gérés au Luxembourg dans les trois principales catégories de fonds alternatifs que sont les hedge funds, les fonds immobiliers et les fonds d’investissement en private equity. L’idée est de doubler cette base dans les cinq prochaines années, confie Marc Saluzzi au journaliste du Tageblatt. En effet, explique-t-il, si un certain nombre de clients se sont satisfaits de fonds peu réglementés par le passé, la demande de produits mieux réglementés est à la hausse avec la crise. Conclusion de Marc Saluzzi, "si on transpose la directive AIFM de façon pragmatique au Luxembourg, nous allons pouvoir profiter de cette tendance".
Yves Greis aborde ensuite la question des marchés asiatiques, dont l’importance stratégique pour l’industrie des fonds luxembourgeoise a été maintes fois mise en exergue. Marc Saluzzi constate que les fonds européens se vendent très bien en Asie, les produits OPCVM pouvant se vendre partout sur ce continent, ce que les fonds asiatiques eux-mêmes ne parviennent pas à faire. Les OPCVM sont ainsi utilisés par des acteurs qui veulent être représentés dans n’importe quel pays d’Asie. Le président de l’ALFI confirme qu’il y a des réflexions en Asie pour copier le système européen des OPCVM, et il ne sous-estime pas le risque que toute l’Asie puisse mettre en place un tel modèle. Toutefois, il sait de l’expérience européenne qu’il s’agit là d’un processus très long et compliqué. Aussi, il imagine que pourraient émerger plusieurs passeports régionaux plutôt qu’un passeport asiatique unique. Le souci de l’ALFI est donc de veiller à ce que les produits OPCVM d’aujourd’hui et les futurs produits AIFM restent attractifs pour ces régions.
Dernier grand sujet de l’entretien, la taxe sur la transaction financière que onze pays souhaitent introduire dans le cadre d’une coopération renforcée. "Au Luxembourg, nous sommes contre une taxe sur les transactions financières telle qu’elle est envisagée par la Commission européenne", affirme Marc Saluzzi qui estime que, sur les 53 milliards d’euros que permettrait de lever cette taxe selon les calculs de la Commission, 38 milliards proviendraient des fonds d’investissement.
L’intention de la Commission de mettre fin à la spéculation et de faire contribuer le secteur financier au coût de la crise n’est pas respectée selon lui : ce ne sera pas la sphère de la finance qui va payer, ni les spéculateurs, mais les épargnants et les investisseurs institutionnels à long terme, dénonce le président de l’ALFI.
Quant au revenu escompté de cette taxe, il s’agit là d’un "deuxième mensonge", selon Marc Saluzzi. D’une part, prévoit-il, ceux qui seront concernés par cette taxe trouveront des moyens de la contourner, d’autre part, la foule de ceux qu’elle va toucher va fondre comme neige au soleil et enfin, ils vont se délocaliser pour lui échapper.
Marc Saluzzi constate par ailleurs que la plupart investissent en Europe dans des fonds monétaires, dont les taux d’intérêt sont aujourd’hui si bas qu’ils ont du mal à dégager un rendement positif. Or, s’inquiète-t-il, si la TTF devait être introduite, ces fonds disparaîtraient, ce contre quoi met aussi en garde l’Association française de gestion financière. La disparition des fonds monétaires aurait des conséquences importante sur le financement de l’économie réelle, met en garde le président de l’ALFI. Les fonds investissent par exemple dans les titres obligataires et dans les obligations d’entreprises européennes, ils aident les banques à se financer, bref, plaide Marc Saluzzi, l’industrie des fonds est un énorme soutien pour l’économie, puisque la grande majorité des fonds ne spéculent pas mais investissent dans l’économie réelle.
Yves Greis lui demande ce qu’il faudrait faire pour ne toucher que les spéculateurs. Marc Saluzzi lui explique qu’il faut commencer par analyser où on spécule, sur quels actifs investissent les spéculateurs, et ensuite prendre des mesures bien plus ciblées que celles qui sont prévues actuellement. Car affirmer que toutes les affaires financières européennes sont spéculatives et doivent être limitées a des conséquences fatales. Le président de l’ALFI évoque $ ce titre les précédents suédois et australien, où l’introduction de taxe sur les transactions financières s'est soldée par un échec.
Et à ceux qui sont d’avis que le Luxembourg aurait dû rejoindre le groupe de onze pays qui veulent introduire la TTF, il rappelle que Luxembourg représente 30 % des fonds d’investissement européens, lesquels devraient rapporter 38 milliards d’euros sur les 53 milliards de revenus escomptés de la TTF. "Le Luxembourg devrait donc payer le prix le plus fort pour introduire une telle taxe", calcule Marc Saluzzi, sans pour autant que l’industrie des fonds luxembourgeoise ait beaucoup contribué à la crise ou abrite tous les spéculateurs de la planète.
"Pour le Luxembourg, ce serait du suicide que de participer à cette coopération renforcée", en conclut Marc Saluzzi qui augure, dans une telle perspective, la disparition quasi immédiate de la moitié de l’industrie des fonds très rapidement, et du reste dans les cinq années qui suivent. Tout simplement parce que le Luxembourg a de nombreux fonds monétaires, qui représentent environ 20 % des actifs sous gestion et qu’ils risqueraient de disparaître du jour au lendemain. Ensuite parce que 30 % des actifs sous gestion au Luxembourg appartiennent à des investisseurs du monde entier et sont investis partout dans le monde, sur le modèle de "fonds transfrontaliers". Ainsi, un investisseur japonais par exemple peut-il créer un fonds au Luxembourg pour investir en Asie ou en Amérique latine, un choix qui fait sens aujourd’hui pour un gestionnaire de fonds parce qu’il peut travailler avec des OPCVM bien réglementés qui ont l’avantage d’être liquides et de protéger l’investisseur. Mais s’il devait payer une taxe sur les transactions financières au Luxembourg, il aurait vite fait d’établir son fonds ailleurs que dans l’UE, explique Marc Saluzzi.
Or, quand on considère que l’industrie des fonds contribue à hauteur de 1 milliard d’euros aux recettes fiscales du Grand-Duché, détruire les fondements de l’industrie de fonds conduirait à de graves difficultés en matière d’activité économique, d’emploi et de recettes fiscales, estime le président de l’ALFI. En bref, la taxe sur les transactions financières est de son point de vue "une mauvaise plaisanterie faite à l’industrie des fonds et à ses investisseurs".