Le 14 février 2013, la Commission européenne mettait sur la table la proposition de directive sur la base de laquelle vont négocier les onze Etats membres qui ont fait le choix de se lancer dans une coopération renforcée pour introduire une taxe sur les transactions financières (TTF).
Une première réaction d’Anouk Agnes, directrice de la communication et du développement commercial de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (ALFI), laissait présager le 18 février 2013 le mécontentement de l’ALFI au sujet de cette proposition de directive.
Le communiqué officiel de l’ALFI est finalement tombé le 5 mars 2013, et non seulement il rejette la proposition de la Commission, mais encore il la "condamne". Pour les responsables luxembourgeois de fonds d’investissement, "en raison de nombreuses erreurs de conception, la TTF signifiera la mort de l’industrie européenne des fonds". De leur point de vue, la TTF, qui est susceptible d’être imposée à tous les Etats membres, qu’ils aient ou non opté en faveur de son introduction, n’atteindra pas les objectifs visés par la Commission.
L’ALFI pointe dans ce communiqué trois "erreurs de conception".
L’ALFI se réfère dans un premier temps aux évaluations faites par l’EFAMA selon laquelle la taxe ne va pas être payée par les institutions financières, mais par les épargnants et les investisseurs. La TTF risque par conséquent de limiter l’accès des épargnants européens à des produits d’épargne de qualité gérés par des professionnels, en déduit l’ALFI, qui met aussi en garde contre le fait qu’elle risque d’avoir une effet "extrêmement négatif" sur l’épargne nationale à long terme dans l’UE, et notamment sur les fonds de pension. Pour Marc Saluzzi, président de l’ALFI, les fonds d’investissement, qui n’ont jamais causé ou exacerbé la crise, ne devraient pas être inclus dans le champ d’application de la TTF.
La deuxième erreur de conception identifiée par l’ALFI porte sur l’intention de la Commission de limiter la spéculation par la TTF. Pour l’ALFI, les fonds du marché monétaire, qui représentaient environ 16 % des actifs européens sous gestion au 31 décembre 2012, soit 1050 milliards d’euros, ne sont pas des instruments financiers spéculatifs à l’image de ceux que la TTF est censée freiner. Au contraire, souligne l’ALFI, ces fonds sont investis dans des titres à faible risque, tels que des bons du trésor ou des obligations à court terme, ce qui explique d’ailleurs qu’ils soient un produit d’épargne courant tant pour les institutions que pour les petits épargnants. Plus généralement, la TTF risque de porter préjudice à des fonds investissant dans des actions, des obligations, ou les deux, craint l’ALFI qui augure à ce titre "un effet dévastateur sur le financement à long terme de l’économie européenne".
La troisième erreur de conception que pointe l’ALFI est liée aux dizaines de milliards d’euros de revenus que la Commission et les onze pays impliqués dans la coopération renforcée entendent tirer de la TTF. "La TTF ne va pas générer les revenus escomptés", prédit l’ALFI qui se réfère aux expériences de la Suède et de l’Australie, pays qui ont introduit dans le passé des taxes similaires qui ont été contournées ou qui ont entraîné la délocalisation d’activités tombant sous le champ d’application de la taxe. L’ALFI prend à nouveau l’exemple des fonds du marché monétaire, qui investissent puis retirent leurs investissements continuellement, en fonction des entrées et des sorties et de l’intérêt des investisseurs. En vertu de la proposition de la Commission, ces fonds seraient donc taxés continuellement, et l’ALFI en conclut qu’ils ne seraient plus en mesure de générer un rendement positif. "Ils vont bientôt disparaître, avec les emplois et activités y liés, ainsi qu’une large partie des revenus escomptés", présage l’ALFI.
La conclusion que tire Marc Saluzzi de cette analyse, c’est que la TTF sous cette forme est à la fois "inacceptable et indésirable". "Elle aurait un effet désastreux sur les épargnants, les investisseurs et l’économie en général", assure le président de l’ALFI qui met en garde contre le fait que ces arguments ne valent pas que pour le Luxembourg, mais pour toute l’Europe.
Marc Saluzzi s’inquiète tout particulièrement pour les UCITS "made in Europe" qui sont aujourd’hui distribués de par le monde et jouissent d’une excellente réputation, car les effets extraterritoriaux de la TTF risquent selon lui de conduire à une délocalisation hors UE des UCITS destinés au marché international. "Cela marquera la fin d’une exportation européenne clef, celle d’un produit financier européen de qualité", craint-il. Plus généralement, il assure que le marché européen des fonds d’investissement dans son ensemble souffrirait de l’introduction d’une TTF, et ce alors que la part de marché de l’industrie européenne dans les actifs sous gestion dans le monde est déjà tombée de 35 à 31 % entre 2007 et 2011, une tendance négative qui se verrait renforcée par une telle mesure.