En octobre 2011, la Commission européenne avait fait des propositions de réforme de la politique agricole commune (PAC) pour la période 2014-2020 qui misaient entre autres sur une approche placée sous le signe du verdissement. Il s’agissait de favoriser la biodiversité, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’avoir recours aux paiements directs pour encourager les agriculteurs à opérer des rotations de culture afin de réduire l'utilisation d'engrais et de pesticides, de préserver au moins 7 % des terres pour des surfaces d'intérêt écologique telles que des zones tampons ou des prairies permanentes pour réduire les émissions, et de plafonner les aides pour les grands exploitants. La Commission avait également recommandé de mettre fin aux systèmes de quotas pour le lait, les betteraves sucrières et les droits de plantation pour les viticulteurs (cette dernière mesure battue en brèche depuis) en 2015. Tout cela avec dans la mire la sécurité de l’approvisionnement de l’UE en aliments sains et sûrs.
Le 12 et le 13 mars 2013, le Parlement européen a débattu en plénière, puis voté sur le mandat de négociation avec le Conseil. Mais cette fois-ci, et ce grâce à de nouveaux pouvoirs acquis en vertu du traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009, le Parlement européen agit comme co-législateur à part entière dans le domaine de la PAC, ce qui marque un tournant historique 51 ans après la création de la politique agricole commune.
Le débat du 12 mars a de nouveau révélé les fortes divergences entre les députés au sujet du volet environnemental de la PAC et de la levée des quotas sur le lait et le sucre, comme sur les mécanismes de soutien aux marchés.
Le débat partait du rapport adopté le 23 janvier 2013 par la commission AGRI. Celle-ci avait modifié les propositions de la Commission en remplaçant les mesures de "verdissement" par des normes facultatives, en exemptant bon nombre de petits exploitants agricoles et ceux qui respectent les règles environnementales nationales de mesures de verdissement supplémentaires, en réduisant finalement de 7 à 3 ou 5 % la surface de terres arables qui devraient être protégées pour des raisons écologiques sous forme de zones-tampons, et en exemptant certains agriculteurs de la "conditionnalité" de lois environnementales de l'UE, dont la directive-cadre sur l'eau. Certaines mesures de soutien aux marchés ont également été maintenues. Cette partie du rapport de la commission AGRI a divisé le parlement.
Deux mesures proposées par la commission AGRI ont par contre suscité une grande approbation : le nivellement graduel des paiements entre les agriculteurs de pays occidentaux et ceux des nouvelles nations d'Europe centrale et des pays baltes, où certains agriculteurs reçoivent des paiements directs 33 % supérieurs à la moyenne de l'UE, et les paiements de prime de la PAC destinés à encourager les jeunes à devenir des agriculteurs et les petits agriculteurs à ne pas vendre leurs exploitations.
La manière dont le Parlement européen allait voter sur la PAC a quant à elle failli mener à une tempête parlementaire majeure. Partant du fait qu’elle avait dû statuer sur 7 000 amendements et que tous admettaient que son rapport était le fruit d’un compromis très difficile, la commission AGRI avait dans un premier temps essayé d'empêcher un vote en séance plénière sur plus de 350 amendements sur lesquels un accord n’avait pu être trouvé, suivie en cela par le président du Parlement européen, Martin Schulz. Mais le 11 mars, elle a fait un revirement et a admis qu'elle avait tort et qu'elle autorisait les 754 eurodéputés à adopter ou non tous ces amendements, dont certains pourraient mettre en péril des propositions-phares de son rapport. Cette décision fut prise après une réunion des chefs de file de tous les groupes politiques qui ont accepté sans opposition et avec quelques commentaires la décision de ne pas réduire les amendements.
Néanmoins, le président de la commission AGRI a mis en garde les eurodéputés contre le rejet du projet de la commission sur la PAC pour 2014-2020 lors du vote du 13 mars. En vertu des procédures parlementaires, si l’un des quatre paquets législatifs de la PAC qui couvrent les paiements directs, le développement rural, le financement et l'organisation commune des marchés devait ne pas être adopté, tous les paquets auraient été renvoyés en commission. Les eurodéputés auraient alors été contraints de voter à nouveau avant le début des négociations finales entre le Parlement, la Commission européenne et les 27 États membres de l'UE.
Les questions les plus controversées en séance plénière ont été l'avenir des paiements directs aux agriculteurs, la réglementation environnementale et le soutien à la production pour les viticulteurs et producteurs de sucre.
Le vote du 13 mars a amené le résultat suivant : le projet de mandat pour les négociations avec les États membres sur les futures règles relatives aux paiements directs a été approuvé par 427 voix pour, 224 voix contre et 32 abstentions, celui sur les futures règles relatives au développement rural a été adopté par 556 voix pour, 95 voix contre et 18 abstentions, celui sur l'organisation commune future des marchés a été approuvé par 375 voix pour, 277 voix contre et 24 abstentions et celui sur les règles de financement, de gestion et de surveillance a été approuvé par 474 voix pour, 172 voix contre et 23 abstentions.
Le Parlement européen a approuvé en plénière le conditionnement de 30 % des aides directes aux agriculteurs au respect de normes environnementales, comme la diversification des cultures ou le maintien de pâturages permanents. Les députés ont néanmoins assoupli les propositions de la Commission en aménageant des exceptions pour les petites exploitations. Le plafonnement à 300 000 euros des aides aux plus gros exploitants est passé lui aussi. Seuls les agriculteurs actifs seront éligibles à ces paiements. La définition de ce qui est entendu par le terme "agriculteur actif" a été laissée aux Etats membres.
Les principes de "convergence externe" entre les Etats membres et de convergence interne entre exploitants à travers un paiement uniforme à l'hectare ont été retenus. La convergence interne pourra être assouplie par les pays. L'objectif affiché est de réduire les écarts entre agriculteurs selon les pays. Aucun agriculteur d'un État membre ne devrait recevoir moins de 65 % de la moyenne européenne.
Les députés ont aussi approuvé le principe de la publication de l'identité des bénéficiaires des subventions européennes, mais en cela ils sont allés à l’encontre du rapport de la commission AGRI qui limitait cette transparence, suivant en cela les revendications du lobby agraire. Ceci dit, l'amendement ne dit pas clairement ce qui pourra être publié.
Le Parlement européen veut aussi introduire une liste de propriétaires terriens, tels que les aéroports et les clubs de sport, qui seraient automatiquement exclus du financement de l'UE, à moins qu'ils ne prouvent que l'agriculture constitue une part importante de leurs revenus. Les États membres pourraient étendre cette liste.
Afin d'aider les agriculteurs à faire face à la volatilité du marché et à renforcer leur position lors de la négociation des prix, leurs organisations devraient obtenir de nouveaux outils et être autorisées à négocier des contrats de sous-traitance et de livraison, ont aussi affirmé les députés. Ce renforcement des organisations va dans le sens des positions défendues au Luxembourg.
Afin de garantir que l'expiration des quotas laitiers n'entraînera pas une crise sérieuse dans ce secteur, les députés proposent d'octroyer une aide pendant au moins trois mois aux producteurs de lait réduisant volontairement leur production d'au moins 5 %. Par contre, les amendements demandant la prolongation des quotas laitiers, qui expireront en 2015, ont été rejetés par le Parlement dans son ensemble.
En revanche, le Parlement a mis son veto aux propositions sur l'expiration des quotas sucriers en 2015, en vue de permettre aux producteurs de betteraves de se préparer à la libéralisation du secteur en 2020.
Les droits de plantation des vignes devraient également être prolongés jusqu'à 2030 au moins, ce qui devrait être bien accueilli au Luxembourg.
Les règles actuelles sur les zones défavorisées resteront en vigueur jusqu’en 2015. Le Parlement européen demande à la Commission d’élaborer d’ici 2015 une nouvelle proposition législative. Un compromis qui représente un défi pour le Luxembourg.
La réforme devra encore être négociée avec le Conseil, qui représente les Etats de l'UE. L'Irlande, qui en assure actuellement la présidence, espère parvenir à un accord avant la fin de son mandat, en juin. Faute d'accord, l'entrée en vigueur de la réforme des aides directes sera probablement reportée d'un an, à 2015. Les règles actuelles seraient alors appliquées de manière transitoire, mais sur la base du nouveau budget pour la période 2014-2020.
"La position de négociation du Parlement prend en compte les éléments centraux de la réforme proposée par la Commission", a commenté le commissaire européen chargé de l'Agriculture, Dacian Ciolos à l’issue du vote. "La plénière a confirmé son soutien à l'idée d'un plafonnement des aides directes pour les grands et très grands paiements" et a rejeté la possibilité pour un agriculteur de recevoir deux aides pour une même mesure verte, a-t-il ajouté. Il s’est aussi déclaré en faveur de la mise en place "d’outils réactifs de gestion des marchés, adaptés à la diversité des filières et des territoires" qui impliquent et responsabilisent les producteurs et leurs organisations, en particulier "au sein de la chaîne alimentaire et leur capacité à faire face aux crises". Il s’est aussi réjoui de l’appui du Parlement européen à ses propositions en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs qui "devra trouver des réponses d'ampleur européenne". Vu l’assouplissement du verdissement revendiqué par les parlementaires, Dacian Cilos est d’avis que le trilogue Commission-Conseil-Parlement devra "également affiner la définition des pratiques liées au verdissement, notamment la notion d'équivalence, pour que cet outil soit à la fois consistant, simple, efficace et transparent". Et il ajoute ce qui sera une source de nouveaux litiges : "Pour cela, il devra intégrer un mécanisme de sanction crédible."
"Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un équilibre adéquat entre la sécurité alimentaire et une protection accrue de l'environnement, de sorte que la nouvelle politique agricole de l'UE pourra fournir encore davantage de biens publics aux citoyens européens. Cette politique sera également moins bureaucratique et plus équitable pour les agriculteurs, en particulier en leur donnant les moyens de faire face aux crises. Telle sera notre position lors des négociations avec les États membres sur la forme finale de la PAC", a déclaré quant à lui le président de la commission AGRI, Paolo De Castro (S&D), après le vote.
L’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling (PPE), qui est membre de la commission AGRI où elle a entre autres milité contre la mise en jachère de 7 % des terres arables, s’est félicitée que le Parlement européen ait "résisté au lobby écolo". Elle a voté en faveur du compromis qu’elle estime "raisonnable" même si elle n’est pas d’accord avec tout dans le détail. Dans son communiqué elle dénonce les ONG écologistes, à qui elle reproche de pratiquer "la désinformation" et des "méthodes de chantage exécrables". Le verdissement fait pour elle du sens dans certaines régions de l’UE, mais pas sur des surfaces sur lesquelles on pratique d’ores et déjà l’agriculture biologique ou des mesures environnementales. La mise en jachère de 7 % des terres arables conduirait de son côté à la nécessité d’importer des aliments supplémentaires, entre autres des pays en voie de développement, ce qui aurait pour effet une augmentation des prix dans ces pays.
Le compromis voté en plénière a aussi repris l’exigence de la commission AGRI que les règles actuelles sur les zones défavorisées restent en vigueur jusqu’en 2015 et demande ensuite à la Commission d’élaborer d’ici 2015 une nouvelle proposition législative. Astrid Lulling soutient cette partie du compromis qui est cruciale pour le Luxembourg.
Astrid Lulling attaque par contre fortement la présidence irlandaise du Conseil, à laquelle elle reproche de vouloir chercher un moyen de mettre fin aux droits de plantation, alors que le Parlement s’est prononcé en faveur de leur prolongation.
L’eurodéputé socialiste Robert Goebbels a voté, à l’instar de la plupart des membres de son groupe politique, le S&D, en faveur du rapport de la commission AGRI et du compromis prôné par son président, Paolo de Castro. Adopté à une forte majorité, le mandat permettra au Parlement européen de jouer pleinement son rôle de co-législateur, se félicite-t-il. Robert Goebbels met en avant la dépendance du secteur de l’élevage animalier de l’UE des importations de maïs et de soja et le fait que l’UE doit aussi importer du sucre. Vu les tensions sur les marchés des denrées de base, Robert Goebbels estime que l’UE devrait être prudente et ne pas se laisser amadouer « par les campagnes de certaines ONG qui veulent transformer les agriculteurs européens ‘en nains de jardin verts’. »
Pour le député européen vert Claude Turmes, le vote en plénière a fait du 13 mars "une journée noire pour la protection des consommateurs et les petits agriculteurs". Dans un communiqué, il attaque aussi ses collègues luxembourgeois dont il juge le vote "irresponsable". Pour lui, "les propositions raisonnables" de la Commission ont été rejetées par "une alliance de conservateurs, de libéraux et d’une partie des sociaux-démocrates". L’échec est double pour Claude Turmes. Le risque de scandales alimentaires va croître parce que le soutien inconditionnel à l’agro-industrie augmentera. D’autre part, des milliards d’euros d’aides à l’agriculture seront versées sans que soit rempli le minimum de conditions environnementales. Finalement, il reproche à ses cinq collègues luxembourgeois d’avoir empêché que les aides par exploitation soient plafonnées à 200 000 euros, et pas à 300 000 euros, puisqu’il n’y a eu sur ce vote que deux voix d’écart entre le pour et le contre. Selon lui, c’est la faute aux eurodéputés luxembourgeois si de nombreux petits agriculteurs se retrouvent un jour acculés au point de devoir abandonner leur exploitation.