La commission Agriculture et Développement rural (AGRI) du Parlement européen s’est penchée les 23 et 24 janvier 2013 sur les 8000 amendements à la proposition de réforme de la politique agricole commune. Cette réforme concerne les subventions aux agriculteurs et le fonctionnement général du marché européen de l’agriculture pour 2014-2020.
La position finale du Parlement sur la politique agricole commune (PAC) est liée au budget à long terme de l’Union européenne. Mais il n’y a pas encore d’accord sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020. La recherche de cet accord sera l’objet du Conseil européen des 7 et 8 février 2013 qui est donc, pour le Parlement européen, "au centre de toutes les attentions".
Il faut préciser que le Parlement européen et le Conseil des ministres ont un pouvoir de décision égal sur la réforme de la PAC depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les députés devraient se prononcer définitivement sur la réforme lors de la session plénière de mars 2013, après quoi les négociations pourront débuter avec les Etats membres réunis en Conseil.
Pour la commission AGRI, "la réforme de la PAC doit répartir les fonds de l'UE de manière plus équitable, rendre les mesures écologiques obligatoires, mais souples, et aider davantage les agriculteurs à relever les défis du marché".
Pour le Parlement européen, la PAC, qui est une des plus anciennes politiques européennes, doit être financée de manière appropriée en vue de continuer à assurer un approvisionnement alimentaire de haute qualité aux citoyens européens et de permettre aux agriculteurs de mieux protéger l'environnement.
"Ceci est le moment de vérité. La commission de l'agriculture a indiqué aujourd'hui à quoi devait ressembler la nouvelle PAC. Elle devrait être plus efficace, plus écologique et être en mesure de répondre aux énormes défis à venir. De tels objectifs ambitieux entraînent des coûts plus élevés. Par conséquent, toute coupe dans le budget de la PAC est inacceptable", a déclaré le président de la commission, Paolo De Castro (S&D). Il a également appelé les dirigeants de l'UE à trouver un accord sur le budget à long terme, qui est "essentiel pour dessiner les contours de la future PAC", aussi vite que possible.
Les paiements directs ne seront désormais alloués qu’aux agriculteurs actifs. Pour garantir le respect de cette règle, la commission parlementaire a inclus une liste d'entités, telles que les aéroports ou les clubs de sport, qui seraient automatiquement exclues du financement européen, à moins qu'elles prouvent que l'agriculture constitue une part importante de leurs revenus. Les États membres pourraient étendre ou adapter cette liste.
Les députés ont également déclaré que les différences entre États membres concernant les niveaux de financement européen alloué aux agriculteurs devraient être réduits un peu plus rapidement que ce qu'a proposé la Commission européenne. Conformément aux nouvelles règles, aucun agriculteur de l'UE ne devrait recevoir moins de 65 % de la moyenne européenne. Il faut savoir qu’aujourd’hui, il existe un écart d'environ 300 euros par hectare entre les agriculteurs des différents pays de l'UE, certains percevant une moyenne de 450 euros par hectare alors que d'autres en reçoivent moins de 100. Les amendements de la commission de l'agriculture permettent aux pays qui se retrouvent au bas de l'échelle de réduire l'écart par un quasi-doublement des aides. Par ailleurs, les exploitations de moins de 50 hectares recevront une aide complémentaire prélevée sur les plus gros bénéficiaires.
"La commission parlementaire a opté pour une redistribution plus solide de l'aide entre États membres, étant donné qu'il est difficile d'accepter des différences d'environ 300 euros par hectare entre agriculteurs dans divers États membres", a déclaré Manuel Capoulas Santos (S&D), rapporteur sur les règlements relatifs aux paiements directs et au développement rural.
Le taux des paiements aux agriculteurs dans chaque État membre pourrait également devenir uniforme d'ici 2019. Toutefois, en vue d'éviter des baisses soudaines et considérables du soutien, qui pourraient menacer la viabilité de nombreuses exploitations agricoles, les États membres seraient toujours autorisés à s'écarter de 20 %, au maximum, de la moyenne, ajoutent les députés.
Les députés ont soutenu les propositions de la Commission européenne de plafonner les paiements directs versés à toute exploitation à 300 000 euros. Le paiement serait réduit de 70 % pour les exploitations recevant de 250 000 à 300 000 euros, de 40 % pour celles recevant de 200 000 à 250 000 euros et de 20 % pour la tranche comprise entre 150 000 et 200 000 euros.
D'autres amendements, visant à réduire davantage les paiements aux exploitations de plus grande taille ou, au contraire, demandant le rejet total des plafonds, n'ont pas obtenu le soutien de la majorité des députés de la commission de l'agriculture. Néanmoins, les députés ont adapté les règles proposées par la Commission européenne en vue d'exclure les coopératives et d'autres groupes d'agriculteurs qui distribuent les paiements reçus à leurs membres et afin de veiller à ce que les fonds plafonnés restent dans la région concernée et soient utilisés pour des programmes de développement rural.
De nouvelles règles sur la protection de l'environnement, selon lesquelles 30 % des budgets nationaux pour les paiements directs seraient subordonnés au respect de mesures écologiques obligatoires, doivent être plus souples, ont déclaré les députés.
Les trois mesures principales, la diversification des cultures, le maintien de prairies et de pâturages permanents et la création de zones centrées sur l'écologie, seraient maintenues mais avec certaines exceptions qui dépendent de la taille de l'exploitation. Les exploitations agricoles en dessous de 10 ha de terres arables devraient être exemptées et les règles devraient être assouplies pour les exploitations entre 10 et 30 ha, affirment les députés.
Les exploitations qui sont certifiées au titre de systèmes de certification environnementale nationaux ou régionaux et qui, par conséquent, ont déjà recours à des pratiques favorables à l'environnement, seraient exemptes des mesures de "verdissement", à condition que les mesures qu'elles appliquent aient un impact au moins équivalent à celui des règles imposées.
"Nous sommes parvenus à inclure le verdissement dans le premier pilier de la PAC, ce qui le rend accessible à tout agriculteur dans l'UE, et non seulement aux pays qui ont les moyens de le financer au titre de programmes de développement rural. Ce verdissement est clairement soumis aux règles européennes et doit désormais être financé par de véritables fonds européens dans l'intérêt public", a déclaré M. Capoulas.
En cela, la commission AGRI n'a pas répondu au souhait de l'exécutif européen d'éviter les doubles paiements, puisque cette approche peut permettre aux agriculteurs de percevoir deux types d'aides différentes pour les mesures vertes. "La Commission européenne reste fermement opposée au double paiement, qui n'est pas bon pour les contribuables et la PAC", a réagi le porte-parole du commissaire à l'Agriculture, Roger Waite, sur son compte Twitter, rapporte l’AFP. Le groupe S&D s’est lui aussi opposé, mais en vain, à une proposition du PPE d'utiliser de l'argent provenant de divers programmes européens afin de doubler les subventions aux agriculteurs pour une même activité. Il a déclaré vouloir se battre contre une mesure qu’il juge "injuste" et qui "va à l'encontre du règlement financier de l'UE". Il demandera à ce qu’elle soit abrogée lors de la plénière en mars.
Les outils de gestion des risques devraient être financés par le budget alloué aux programmes de développement rural, et non par celui dédié aux paiements directs comme c'est le cas actuellement, ont déclaré les députés, qui ont soutenu la proposition de la Commission. L'instrument de stabilisation des revenus devrait prendre la forme de participations financières à des fonds de mutualisation ou à une assurance contre le risque d'une forte baisse de revenus, affirment les députés. Ils demandent également à la Commission de présenter un examen à mi-parcours sur les outils de gestion des risques et une proposition législative si nécessaire.
En vue de permettre aux agriculteurs de mieux répondre à la volatilité du marché et de mieux gérer les crises, mais également de renforcer leur position lors de la négociation des prix, les organisations de producteurs devraient obtenir des pouvoirs largement plus étendus ainsi que de nouveaux outils, affirment les députés. Les organisations d'agriculteurs devraient pouvoir utiliser des instruments de prévention et de gestion des crises, notamment, en dernier ressort, le retrait du marché. En outre, elles devraient avoir le droit de négocier, au nom de leurs membres, des contrats de sous-traitance et de livraison, sans enfreindre le droit de la concurrence, affirment aussi les députés.
"La logique de regroupement des exploitants agricoles ne doit pas aboutir à la constitution de cartels, mais doit leur permettre de sortir de la situation de dépendance économique et leur garantir des conditions de vie décentes. Établir des organisations de producteurs solides pour l'ensemble des secteurs, avec davantage de liberté d'action que ne l'avait proposé à l'origine la Commission européenne, est une manière adéquate d'atteindre cet objectif", a déclaré Michel Dantin (PPE), rapporteur sur le règlement relatif à l'organisation commune des marchés. Cette approche concerne notamment le secteur laitier.
Afin de faciliter la vie des agriculteurs tout en gardant à l'œil le respect des règles communes et les dépenses des fonds européens, la commission AGRI a approuvé diverses mesures visant à éliminer la bureaucratie inutile pour les agriculteurs et à garantir que les sanctions en cas de violation des règles soient proportionnelles.
"Il s'agit du leitmotiv du nouveau régime des sanctions et des contrôles. Toutefois, le principe de proportionnalité devrait non seulement s'appliquer aux violations mais également aux retards et au degré de responsabilité des agriculteurs", a déclaré Giovanni La Via (PPE), rapporteur sur le règlement relatif au financement, à la gestion et à la surveillance.
"Nous devons également réduire le temps que les agriculteurs consacrent à la paperasserie. Pour y parvenir, les États membres devraient avoir la possibilité de créer une demande d'aide qui resterait valide plusieurs années, de sorte que les agriculteurs n'aient pas à enregistrer leur demande chaque année mais seulement lorsque des changements sont apparus. En outre, si les fonds alloués au développement rural ne sont pas totalement dépensés, le solde restant devrait rester dans l'enveloppe nationale plutôt que d'être renvoyé à Bruxelles", a-t-il ajouté.
Les États membres pourraient également mettre en place un système d'alerte précoce, qui enverrait un premier avertissement au bénéficiaire qui enfreint une règle pour la première fois et qui l'informerait de la manière d'y remédier. Cet avertissement devrait être suivi de contrôles en vue de garantir que la situation a été résolue. Si tel est le cas, les paiements ne devraient pas être réduits, à moins que cette violation représente un risque direct pour la santé publique ou animale.
Finalement, la commission AGRI a rejeté la proposition de la Commission européenne de rendre publics les noms des bénéficiaires et des municipalités qui reçoivent des paiements directs et de ceux qui bénéficient des fonds des programmes de développement rural. Dans le passé, de nombreux députés se sont dit inquiets que de telles règles de transparence absolue violent les droits à la vie privée et soient rejetées par la Cour européenne de justice. Depuis une décision de la justice européenne de novembre 2010, la publication du nom des personnes physiques bénéficiant des subventions agricoles communautaires est interdite. La Cour de justice de l'Union européenne avait estimé que cette publication contrevenait au respect de la vie privée. La Commission avait par contre proposé de ne préserver l'anonymat que des petits agriculteurs.
Le projet de mandat en vue des négociations avec les États membres sur les futures règles relatives aux paiements directs a été approuvé par 31 voix pour, 12 voix contre et 1 abstention.
Le projet de mandat en vue des négociations avec les États membres sur les futures règles relatives au développement rural a été approuvé par 34 voix pour et 10 voix contre.
Le projet de mandat en vue des négociations avec les États membres sur l'organisation commune future des marchés a été approuvé par 26 voix pour, 14 voix contre et 4 abstentions.
Le projet de mandat en vue des négociations avec les États membres sur les règles de financement, de gestion et de surveillance a été approuvé par 35 voix pour, 5 voix contre et 2 abstentions.
La position de négociation de la commission de l'agriculture doit recevoir l'approbation du Parlement dans son ensemble, avant que les députés puissent débuter les négociations avec les États membres sur la version finale de la future politique agricole commune. Pour l'instant, le vote en plénière est prévu pour la session de mars à Strasbourg, en attendant les chiffres finaux du cadre financier pluriannuel (CFP) de l'UE pour 2014-2020. Le prochain sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Union, consacré à l'avenir du CFP, est prévu les 7-8 février 2013. Mais vu les difficultés de trouver un accord budgétaire, un report d'un an, à 2015, de l'entrée en vigueur de la réforme des aides directes est probable (LIEN).
La députée luxembourgeoise PPE Astrid Lulling, doyenne du Parlement européen et membre très active de la commission AGRI, n’a jamais été une grande supportrice de la réforme de la PAC. Dans un communiqué diffusé au soir du 23 janvier 2013, elle en parle en des termes peu élogieux : des "mesures de redistribution inacceptables", des "règles environnementales impossibles à mettre en œuvre", des règles qui ne tiennent pas comte de la diversité des agricultures européennes.
Dans un premier temps, Astrid Lulling s’en prend à ce que la Commission avait préconisé comme mesures de verdissement supplémentaires afin que les agriculteurs aient droit à 100 % de leurs paiements directs. Pour elle, il n’y a aucun problème à ce que les prairies permanentes, telles qu’elles seront recensées en 2014, doivent être gardées en l’état. Mais l’idée que 7 % des terres agricoles puissent être prévues comme zones tampons aurait signifié au Luxembourg la création de 2000 hectares de nouvelles jachères. Selon elle, dans un pays comme le Luxembourg, où les exploitations ont une surface moyenne de 59 hectares, cela aurait signifié la disparition de plusieurs douzaines d’exploitations. Une telle démarche aurait un effet désastreux sur le prix des aliments. Mais elle estime maintenant que des progrès ont été effectués au PE.
Astrid Lulling ne met pas en doute que les mesures de verdissement aient leur utilité dans un certain nombre d’Etats membres. Mais au Luxembourg, comme en Allemagne ou en Autriche, des exploitations participent d’ores et déjà à des programmes environnementaux nationaux et régionaux et sont à ce titre certifiées. Elle reproche à la Commission et au rapporteur sur le texte concernant les paiements directs, le social-démocrate portugais Capoulas Santos, de ne pas avoir voulu tenir compte de ces efforts. L’amendement d’Astrid Lulling qui qualifie ces exploitations de "green by definition" a finalement été retenu par la commission AGRI, de sorte que les exploitations qui ont déjà recours à des pratiques favorables à l'environnement, seraient exemptes des mesures de "verdissement", à l’instar des exploitations bio, elles aussi exemptées.
Astrid Lulling a aussi réussi à ce que la mise en jachère de 7 % de terres agricoles devant servir de zones tampons ne soit pas inconditionnelle et qu’il soit permis d’y cultiver des légumineux destinés à l’alimentation animale liant l’azote, une mesure qui aurait l’avantage supplémentaire de réduire la dépendance de l’UE envers ses importations de soja en provenance d’outre-Atlantique.
Mais le sort des deux amendements dépend des décisions en plénière, met en garde Astrid Lulling.
Un point crucial pour le Luxembourg, la définition des zones défavorisées selon huit critères biophysiques, continue par contre à causer des soucis à Astrid Lulling. Ces critères ne peuvent pas être appliqués tels quels au Luxembourg et il n’est pas le seul pays dans ce cas. Des premières simulations pratiquées par le Luxembourg, qui ont été un peu plus favorables que celles de la Commission, n’ont pas été acceptées par cette dernière qui pense qu’au moins 40 % des surfaces classées avant en zones défavorisées ne le seront plus avec la nouvelle méthode, comme cela a déjà été dit lors d’une conférence sur la PAC en septembre 2012. La commission AGRI demande à ce que les règles actuelles restent en vigueur jusqu’en 2015 et demande à la Commission d’élaborer d’ici 2015 une nouvelle proposition législative. Mais l’issue de cette question dépend encore des discussions au Conseil.