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Migration et asile
Politique d’asile – La Chambre des députés luxembourgeoise a transposé trois directives européennes qui renforcent notamment le droit des bénéficiaires d’une "protection internationale"
15-05-2013


Nicolas SchmitLe 15 mai 2013, la Chambre des députés a adopté un projet de loi transposant trois directives européennes en matière d’immigration et d’asile. Le Luxembourg apporte ainsi son concours à la laborieuse réalisation d’un Régime d’asile européen commun (RAEC), auquel la Commission aspire. La réalisation du RAEC comprend un ensemble de six propositions législatives que les États membres de l'UE s’étaient engagés à adopter pour 2012.

Les demandeurs de protection internationale peuvent acquérir le statut de résident de longue durée

La première des trois directives adoptées, la directive 2011/51/UE du 11 mai 2011 modifie la directive 2003/109/CE pour étendre son champ d’application aux bénéficiaires d’une protection internationale, c’est-à-dire des individus qui ne remplissent pas les conditions pour obtenir le statut de réfugié mais qu'on ne peut pas renvoyer pour autant, en raison des risques de persécution qu'elles encourent dans leur pays d'origine. Ces bénéficiaires pourront, à l’instar des détenteurs du statut de réfugié, acquérir le statut de résident de longue durée et, en conséquence, les droits et avantages qui y sont liés. Pour le calcul des cinq années de résidence légale dans un Etat membre, la directive prévoit, en ce qui concerne les personnes auxquelles a été accordée la protection internationale, la prise en compte d’au moins „la moitié de la période comprise entre la date du dépôt de la demande de protection internationale sur la base de laquelle cette protection internationale a été accordée, et la date de la délivrance du titre de séjour visé à l’article 24 de la directive 2004/83/CE, ou la totalité de cette période si elle excède dix-huit mois“.


La directive apporte également des précisions et clarifications sur les raisons pour lesquelles un Etat a le droit de refuser une demande de protection internationale. Désormais, les autorités ont le devoir de s'assurer auprès de sources internationales pertinentes, tel le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies et le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEA), que le demandeur qui essuie un refus bénéficiera dans son pays vers lequel il est renvoyé d'une protection "effective" et "durable".


Pour préserver le respect du principe de non-refoulement, la directive oblige les Etats membres, lorsqu’ils délivrent un permis de séjour de résident de longue durée – UE à un ressortissant d’un pays tiers auquel la protection internationale a été accordée, à faire mention de la protection internationale dans ce permis, de telle sorte qu’il puisse séjourner dans un autre Etat membre sans risque d’expulsion.

Une nouvelle définition commune du motif de persécution que constitue l'appartenance à un groupe social

La directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 concerne les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. Il s’agit là  d’assurer que tous les Etats membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale et de garantir un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les Etats membres.

La directive propose également une nouvelle définition commune du motif de persécution que constitue "l’appartenance à un certain groupe social". Il est précisé qu’il "convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caracté¬ristique d’un tel groupe“. "Cette modification permettra d’assurer une meilleure protection aux victimes de mutilations génitales, de stérilisations forcées ou d’avortements forcés."

Des restrictions aux droits des bénéficiaires de la protection subsidiaire ont été supprimées, et notamment les dispositions relatives au maintien de l’unité familiale, à l’accès à l’emploi et aux soins de santé. Les auteurs du projet de loi luxembourgeois ont par ailleurs choisi, en allant au-delà des exigences de la directive, de mettre sur un pied d’égalité les réfugiés et les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire, en leur permettant d’obtenir un titre de séjour valable pendant une période d’au moins trois ans.

Enfin, la directive propose une définition élargie des membres de la famille en l’étendant au parent ou à l’adulte responsable d’un mineur non marié, au nom de "l’intérêt supérieur de l’enfant".

Dès le premier renouvellement, l'activité salariée peut désormais être menée dans tout secteur et dans toute profession

La directive 2011/98/UE du 13 décembre 2011 dite "directive permis unique", établit une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un Etat membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un Etat membre.

Le Luxembourg pratique déjà la délivrance d’un permis unique depuis loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. La transposition de cette directive n’apporte donc à ce sujet que des changements anodins. Par contre, en matière d’emploi des ressortissants de pays tiers, le Luxembourg a décidé que les restrictions concernant le secteur et la profession ne seront maintenues que pendant la première année de l’activité salariée. Après le délai d’un an, le titre et l’autorisation de travail peuvent être renouvelés pour une durée maximale de trois ans si toutes les conditions prévues sont remplies, et donnent droit aux bénéficiaires d’exercer une activité salariée dans tout secteur et dans toute profession. Cela n’était jusque-là possible qu’à partir d’un deuxième renouvellement.

Quelques avis

La transposition de ces trois directives européennes a fait l’objet d’une large consultation, comme l’a rappelé le rapporteur du projet de loi à la Chambre des députés, le socialiste Marc Angel, lors des débats du 15 mai 2013.

Dans son avis, la Commission consultative des droits de l`Homme (CCDH) a salué de nombreuses avancées mais aussi émis le regret que le projet de loi n`aille pas encore plus loin. La commission a déploré des différences de traitement entre réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire, dans le domaine de la législation sociale, notamment pour les conditions d'accès au revenu minimum garanti, ou encore dans les titres de voyage. De même, elle a vivement regretté que le projet de loi ne reprenne pas une disposition de la directive selon laquelle, si l’auteur des persécutions d’un demandeur est l'Etat ou ses agents, il devrait être automatiquement présumée qu’une protection effective n'est pas offerte. Cette lacune implique que le demandeur pourrait être amené à réclamer une protection à l’Etat qui le persécute avant de pouvoir accéder au statut de protection internationale.

Elle a par ailleurs estimé que la définition des membres de la famille aurait dû inclure également les sœurs et frères du mineur bénéficiant d’une protection internationale. Elle a aussi estimé que la fonction de tuteur du mineur demandeur de protection internationale ne devait pas se limiter à la procédure mais englober également les besoins sociaux, médicaux, psychologiques du mineur pendant toute la durée de la procédure.

Pour sa part, dans son avis, la Chambre de Commerce a vu dans cette proposition de loi un "complément" de la carte bleue européenne pour les salariés ressortissants de pays tiers hautement qualifiés qui permettra d’employer les ressortissants étrangers résidents de longue durée n’étant pas hautement qualifiés. Elle estime que "l’immigration issue de pays tiers [représente] un atout important pour le Luxembourg et pour l’Union européenne dans son ensemble, car elle contribue à la croissance et au renforcement de l’économie". Elle permet "un renouvellement de la population active pour assurer un régime de protection sociale de qualité" mais aura aussi des retombées positives en termes de création de sociétés.

Les débats à la Chambre

Durant les débats à la Chambre des députés, un large consensus aura régné sur la nécessité d’adopter ce projet de loi tel quel.  "Il n’y a aucun argument valable pour placer ces individus à un niveau juridique moins élevé", a estimé, le rapporteur, Marc Angel, en ouverture des débats. Après avoir passé en revue les apports de la nouvelle loi, le député socialiste a exprimé le vœu que, à l’instar de ce qui s’était passé lors de l’adoption de la loi de 2008, la Chambre adopte à l’unanimité le texte. "Il serait important que sur un thème aussi sensible tel l’asile, l’immigration, au sujet desquels à l’étranger est souvent menée une politique politicienne, on puisse obtenir la même unanimité, d’autant plus que beaucoup est fait pour les réfugiés, et qu’une large consultation fut menée en amont." Seul le député ADR, Fernand Kartheiser, par une abstention non motivée, aura empêché que son vœu soit exaucé. Néanmoins, la loi a été adoptée par 58 voix pour et aucune contre.

La fraction chrétienne-sociale a notamment apprécie le fait "que le concept de la famille soit plus largement définie, dans l’intérêt notamment des enfants", a expliqué la députée CSV Martine Mergen. Cette dernière a par ailleurs jugé que ces efforts vers plus d’harmonisation étaient importants "en termes de cohérence et de crédibilité afin de construire la citoyenneté européenne".

Le député Déi Gréng, Felix Braz, a rappelé les nombreux progrès effectués depuis les années 90 en termes d’asile. A l’époque des migrations en provenance des Balkans, "il y a vingt ans, le pays n’était ni administrativement, ni juridiquement, et surtout ni politiquement préparé". Chaque Etat membre a eu sa propre réponse nationale, qui a engendré un "résultat faible dans le meilleur cas", mais qui s’est surtout soldé par du trafic humain, une "précarité à très grande échelle". Les politiques en la matière faisaient peser en permanence sur la tête des demandeurs d’asile la menace d’une expulsion, avec une "logique d’intégration faible". «A tout moment, ces gens devaient compter avec le fait d’être expulsé du pays." Il relève du mérite de l’Union européenne que les choses aient changé, que le demandeur n’ait pas seulement des devoirs mais aussi des droits. "C’est un bon dossier pour montrer que l’Europe peut aussi fonctionner", a-t-il estimé. Estimant que le projet de loi soumis au vote n’était pas parfait, il a toutefois insisté sur son caractère "beaucoup plus inclusif".

Se réjouissant du renforcement des droits des personnes concernées, le député Déi Lénk, Serge Urbany, s’est néanmoins fait l’écho de trois reproches formulés par la CCDH, concernant l’inclusion des mineurs, l’accès à la législation sociale et l’estimation du degré de protection que peut offrir un Etat qui est aussi le persécuteur.

En clôture des débats, le ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Immigration, Nicolas Schmit, a expliqué, à la demande de Marc Angel, que le paquet asile aura été adopté dans sa totalité, par la validation de trois nouvelles directives, lors du Conseil Justice et affaires intérieures du mois de juin.