Alors que la Cour de Justice de l’UE avait déjà publié le 6 mars 2013 ses statistiques judiciaires pour l’année 2012, le membre luxembourgeois de la CJUE, Jean-Jacques Kasel, démissionnaire en octobre 2013 pour raisons de santé et pour la succession duquel l’ancien ministre de la Justice, François Biltgen, est le candidat désigné du gouvernement, et le président du Tribunal de 1e instance de l’UE, Marc Jaeger ont rencontré le 6 mai 2013 la presse luxembourgeoise pour commenter le rapport d’activités 2012 de la CJUE.
Jean-Jacques Kasel et Marc Jaeger ont mis plusieurs points en exergue dans leurs interventions.
Ainsi, la réforme de la CJUE a conduit à l’institution de la fonction de vice-président à la Cour, à l’augmentation à quinze du nombre de juges qui composent la grande chambre, à la limitation de la participation des présidents des chambres à cinq juges à la grande chambre et à la suppression de l’obligation pour le juge rapporteur d’une affaire de préparer un rapport d’audience. Selon Jean-Jacques Kasel, cela permet aux juges de ne siéger que pour une affaire sur trois, mais d’un autre côté, cela permet aussi aux différentes traditions juridiques de mieux se faire sentir. Par ailleurs, à un niveau purement juridictionnel, une nouvelle chambre à cinq juges et une nouvelle chambre à trois juges ont été créées à l’occasion du renouvellement partiel de la Cour du 7 octobre 2012. Le fonctionnement simultané de dix chambres permettra à la Cour de maintenir et d’améliorer son efficacité.
Il s’avère ensuite que l’application de la Charte des droits fondamentaux du citoyen européen est plus difficile que prévu dans un contexte où la CJUE est confrontée à trois sources juridictionnelles en matière de droits fondamentaux : les cours constitutionnelles nationales, la Cour européenne des droits de l’homme et la CJUE même. Celle-ci ne peut appliquer la Charte que dans les cas liés à la mise en œuvre du droit européen. Par ailleurs, les négociations sur l’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme, prescrites par l’article 6 du traité de Lisbonne, sont terminées et ont été plus complexes qu’il n’avait été supposé. Marc Jaeger a émis l’espoir que les Etats membres, qui ont donné leur accord au résultat négocié, seront également "réglos" quand il s’agira de décider formellement des choses.
Autre constat : le contentieux est de plus en plus alourdi par les questions de PESC (politique étrangère et de sécurité commune) liées à des règlements du Conseil qui contiennent des sanctions contre des particuliers et des entreprises, des sanctions souvent aussi voulues par les Nations Unies. Elles représentent 10 % du contentieux traité par le tribunal. Marc Jaeger a quant à lui expliqué sur ce point que la Cour ne voulait pas s’opposer aux Nations Unies avec ces procédures. Mais ces décisions de la PESC concernent des personnes qui se retrouvent sur des listes sans explications. Or, ces personnes doivent pouvoir s’y opposer, car c’est leur droit, et donc connaître les raisons de leur présence sur ces listes. La question est ensuite de savoir jusqu’à quel point elles peuvent être informées, car souvent les raisons qui ont mené à ce qu’elles se retrouvent sur ces listes relèvent du "secret défense".
Un autre domaine où les affaires prennent de l’ampleur, a expliqué Jean-Jacques Kasel, ce sont les affaires liées au droit d’asile.
Aussi, la CJUE a de plus en plus d’affaires politiques à juger, comme la question du franchissement de la frontière vers la Slovaquie refusé au président hongrois, des questions de discrimination, souvent venant des Flandres belges, ou encore la procédure d’un député irlandais qui voulait empêcher la mise en œuvre du mécanisme européen de stabilité.
Les deux juges ont ensuite constaté avec satisfaction que les manquements du Luxembourg sont en nette diminution, une conséquence de son ardeur à transposer en droit national le droit européen. Mais, ombre dans ce tableau, le Luxembourg risque de devoir payer pour la première fois de son histoire une amende après que la Commission européenne a demandé en octobre 2011 à la CJUE de lui imposer une sanction financière et proposé qu'il paie une somme forfaitaire de 2.2 millions d'euros minimum et une astreinte journalière de 11 340 euros tant qu'il ne respectera pas ses obligations en matière d’épuration des eaux résiduaires urbaines, procédure à laquelle les explications du Conseil échevinal de la Ville de Luxembourg n’ont rien changé.
Marc Jaeger a ensuite expliqué que par le jeu d’un nouveau juge pour la Croatie, des renouvellements et non-renouvellements de mandats et des démissions, le Tribunal va se retrouver d’ici septembre avec 40 % de ses juges sans expérience aucune dans l’institution. Cela risque d’affecter sa stabilité, et l’affecte déjà, dans la mesure où les juges démissionnaires ou partants ne pourront plus siéger dans les affaires sur lesquelles il ne pourra être statué avant leur départ. Marc Jaeger espère par ailleurs que la réforme du Tribunal sera bientôt menée à bien, de sorte qu’il passera de 27 à 39 membres. Mais 39 juges, dont la majorité n’aura pas encore d’expérience dans l’institution… Et Jean-Jacques Kasel d’ajouter que ce qui fait actuellement problème, ce n’est pas le budget, même si 12 juges de plus impliquent aussi des recrutements et des locaux supplémentaires en grand nombre, mais le fait que certains grands Etats membres voudraient avoir le droit de disposer de deux juges et s’opposent à la rotation. Comme si les questions à traiter par le Tribunal étaient politiques, lance Marc Jaeger, alors que non, elles sont de nature économique : concurrence, marchés publics, aides d’Etat, et surtout propriété intellectuelle.
Finalement, ont constaté les juges, la construction des extensions du siège de la Cour à Luxembourg avance bien.