A l'occasion de la première édition de la Journée des juristes luxembourgeois, le Luxemburger Wort a publié le 27 novembre 2012 une interview de président du Tribunal de première instance de la Cour de justice de l'Union européenne, Marc Jaeger. Mené par la journaliste, Michèle Gantenbein, l'entretien se concentre sur le contrôle des tribunaux et l'adhésion de l'UE à la Convention européenne des droits de l'homme.
Marc Jaeger commence par expliquer les relations entre le droit national et le droit européen ainsi qu'entre leurs juridictions respectives. "Le mécanisme appelé 'renvoi préjudiciel' est au centre de la coopération entre ces juridictions", commence par expliquer le président. Les juges nationaux et européens entretiennent par ce mécanisme de la question préjudicielle qui leur est posée et à laquelle ils doivent répondre un dialogue qui rend possible une interprétation du droit européen qui soit identique dans tous les Etats membres. Ainsi, "on empêche que les lois soient plus sévèrement appliquées dans un pays que dans l'autre", explique Marc Jaeger.
Par ailleurs, le droit européen est hiérarchiquement supérieur au droit national. "Les juges sont obligés de consulter le droit européen quand ils sont confrontés à des dispositions qui touchent l'affaire qu'ils traitent. S'il n'y en a pas, au contraire, ils recourent au seul droit national", explique Marc Jaeger.
Marc Jaeger évoque ensuite le recours en manquement que la Commission européenne peut introduire contre un Etat membre, après lui avoir adressé une demande d'explication écrite, lorsqu'il n'a toujours pas transposé une directive européenne.
Pour ce qui est de la Cour européenne des droits de l'homme, Marc Jaeger rappelle que cette dernière est compétente pour les 47 pays du Conseil de l'Europe qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l'homme. Elle joue un autre rôle que celui de la CJUE dans la mesure où ses jugements sont de trois natures différentes. Elle juge les Etats membres qui, par leur jurisprudence, ont transgressé un article de la Convention des droits de l'homme et infligé ainsi des dommages à un individu. Il y remédie le cas échéant par la "satisfaction équitable". "La Cour est aussi compétente lorsqu'un Etat viole un droit de l'homme", poursuit Marc Jaeger, évoquant le cas britannique récent d'un détenu qui ne pouvait pas faire usage de son droit de vote. "Strasbourg a exigé de l'Etat qu'il fasse tout pour que le détenu puisse aller voter". L'Etat pouvait choisir entre une amélioration de sa législation ou une solution de type logistique.
Strasbourg est enfin compétent quand survient une violation des droits de l'homme durant un procès. C'est par exemple le cas si le tribunal ne met pas de traducteur à disposition de l'accusé qui ne connaît la langue utilisée lors du procès. "Strasbourg décide alors si l'affaire doit être remise à plat."
On ne peut recourir à la Cour européenne des droits de l'homme qu'une fois que tous les recours juridiques nationaux ont été épuisés. C'est une différence avec la CJUE auprès de laquelle on peut s'adresser sans avoir au préalable sollicité les juridictions nationales.
La CJUE est pour sa part divisée en trois juridictions. Au sommet de l'architecture, il y a la Cour de justice, suivi du tribunal de première instance tandis que la troisième instance est le tribunal de la fonction publique. Il est possible d'introduire un recours contre des décisions devant chacune de ces instances. Alors que Strasbourg est "un organe de contrôle externe" qui intervient en cas de violation des droits de l'homme, "la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg n'est pas un organe externe mais une partie du système."
Interrogé sur la ratification de la Convention européenne des droits de l'homme par l'Union européenne, Marc Jaeger confie qu'il s'agirait selon lui d'une "bonne chose" car "l'UE serait elle aussi contrôlée de l'extérieur par Strasbourg". "Actuellement, Strasbourg ne peut pas réprimander l'UE tant qu'elle n'a pas adhéré à la convention." Le traité de Lisbonne prévoit d'ores et déjà cette adhésion. "Mais il faut encore résoudre quelques problèmes" tels que la question de savoir si le Conseil de l’Europe doit changer la convention de telle sorte qu'elle puisse être adoptée par une communauté d'Etats.
Interrogé sur la souveraineté des Etats, Marc Jaeger observe qu'"il reste beaucoup de domaines dans [leur] compétence". "L'UE ne dispose que des compétences que les Etats lui ont transférées. Ce n'est qu'une partie infime", explique-t-il. A cela s'ajoute que dans de nombreux domaines l'UE et les Etats ont des compétences partagées. En pareil cas, les principes de subsidiarité et de proportionnalité prévalent. "Cela signifie que l'UE est compétente uniquement lorsque ce que l'on aimerait atteindre ne peut l’être par les moyens disponibles au niveau national." Les Parlements nationaux ont pour leur part la possibilité de faire contrôler le principe de subsidiarité auprès de la CJUE. "Les Etats nationaux disposent ainsi de nombreuses compétences."
Par ailleurs, si les compétences de l'UE croissent, ce n'est "pas d'elles-mêmes", mais en raison de décisions nationales. "Devrions-nous passer la marche arrière ? Je ne crois pas. La communauté européenne a déjà réussi à sortir plus forte de différentes crises. Je suis certain que ce sera encore le cas cette fois", dit Marc Jaeger en pensant plus particulièrement à la sortie de la crise sidérurgique des années 1970-80.
"La surréglementation européenne ne crée-t-elle pas plus de problèmes qu'elle n'en résout ?", a enfin voulu savoir la journaliste du Luxemburger Wort. Marc Jaeger lui a rétorqué sur le même registre que précédemment. C'est pour lui également "un problème national". "Cela vient de la conviction que tous les problèmes peuvent être réglés par des textes de loi. Nous devons faire attention à ne pas aller trop loin en la matière, sinon naîtra une inflation de textes", concède-t-il avant d'ajouter que les problèmes deviennent "plus complexes" et, avec eux, "les règles qui protègent les personnes". "Dans beaucoup de pays du monde, les personnes sont moins protégées que chez nous. Nous devons cet acquis aux luttes syndicales. Nous ne devons pas l'oublier", conclut le président du tribunal de première instance de la CJUE.