Le 20 juin 2013, quelques heures à peine après que la CJUE a prononcé son arrêt dans l’affaire Giersch e.a. / Luxembourg, la ministre de l’Enseignement supérieur, Martine Hansen, convoquait la presse pour expliquer que le gouvernement avait bien pris acte de l’arrêt et se préparait à modifier le régime d’aides pour études supérieures en conséquence.
Dès le lendemain, le sujet était sur la table du conseil de gouvernement, les ministres ayant eu "un échange de vues sur les suites qui devront être réservées à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne au sujet de la législation nationale relative aux bourses pour études supérieures". Le résumé des travaux indique que "le Conseil a notamment analysé les pistes identifiées par la Cour de Justice permettant de réaliser, par d’autres voies, l’objectif visant à augmenter la proportion des titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur".
Le 24 juin 2013, la ministre, convoquée à la Chambre par le DP, rencontrait les membres de la commission de l’Enseignement supérieur et leur annonçait que les ministres pourraient donner leur aval sur un nouveau projet de loi dès le 26 juin 2013. Pressée et déterminée, Martine Hansen entend déposer rapidement le texte du projet de loi qui pourrait être examiné en commission parlementaire dès le 27 juin, le souhait du gouvernement étant que le projet de loi soit évacué avant les vacances d’été, c’est-à-dire le 9 ou 10 juillet 2013.
Le site de la Chambre des députés rapporte que la ministre a expliqué que la décision du tribunal administratif, qui avait saisi la CJUE de la question préjudicielle à l’origine de l’arrêt du 20 juin, faisait encore défaut. Actuellement quelque 14 400 jeunes reçoivent une aide (bourse et/ou prêt), et, du fait que la clause de résidence est désormais remise en question, quelque 13.800 enfants de frontaliers pourraient également être éligibles. Le montant des prêts pour lesquels l’Etat s’est porté garant s’élève à 90 millions d’euros. Le budget prévu pour les bourses se chiffre à environ 100 millions d’euros, dont 51 millions ont déjà été versés aux demandeurs concernés.
L’enjeu financier est donc crucial dans le dossier et explique l’urgence avec laquelle veut agir la ministre. Car sans nouvelle loi, c’est le système actuel qui resterait en vigueur, mais sans clause de résidence. "Les enfants de frontaliers bénéficieront des mêmes droits que les résidents", a en effet expliqué à la rédaction de l’Essentiel le député Marcel Oberweis (CSV), président de la commission de l'enseignement supérieur. Or, précise le député, "cette année, il a fallu débourser 100 millions d'euros ; en prenant en compte les enfants de frontaliers ainsi que les recours sur les semestres précédents, nous devrions dépasser les 200 millions d’euros l'année prochaine". Ce qui est "beaucoup trop" à ses yeux.
Mais le tempo auquel la ministre veut agir s’est heurté à une franche opposition. "Le laps de temps est court" pour Marcel Oberweis. Ben Fayot (LSAP), vice président de la commission, juge pour sa part que le calendrier envisagé par la ministre n’est pas "réaliste", ainsi qu’il l’a confié au Tageblatt. Pour Lucien Lux, chef de file des socialistes à la Chambre, un vote avant les vacances d'été est "impossible", ainsi qu’il l’a déclaré au micro de RTL Radio Lëtzebuerg. "Il ne faut pas forcer les choses une nouvelle fois", a souligné Lucien Lux. Le député ne veut pas en effet renouveler les erreurs qui ont marqué l’adoption précipitée, en juillet 2010, de la loi que l’arrêt de la CJUE remet en question.
Du côté de l’OGBL, qui a sollicité une entrevue urgente avec la ministre, on met aussi en garde contre toute précipitation. Pour l’OGBL il est de la plus haute importance, que cette fois-ci le gouvernement se donne suffisamment de temps pour élaborer une solution équilibrée, juste, durable et qui respecte à la fois le droit communautaire et d’autres critères, et ce dans le dialogue avec tous les acteurs concernés. Il serait "intolérable que le gouvernement opte encore une fois dans la hâte pour une solution purement comptable qui révélerait plus tard de nouveaux problèmes n’ayant pas été envisagés".
Comme le souligne le compte-rendu rapide de la séance sur le site de la Chambre, nombre de questions restent ouvertes, comme les effets rétroactifs de l’arrêt de la Cour, les droits de ceux qui n’ont pas saisi le tribunal administratif, le nombre d’étudiants potentiellement éligibles pour recevoir une aide, le coût de la mesure. Sans compter le lien du dossier avec les allocations de famille, qui ont été supprimées pour être remplacées par les aides pour études supérieures.
Marcel Oberweis a pointé aussi parmi les questions qui restent ouvertes la question d’un éventuel cumul entre aides financière luxembourgeoises et étrangères. S’il a bien noté la suggestion faite par la CJUE à ce sujet, à savoir offrir des prêts remboursables selon certaines conditions, il trouve l’idée difficile à mettre en pratique. "Il sera difficile de retrouver des étudiants étrangers qui étudient en dehors du Luxembourg s’ils sont ensuite à l’étranger", a-t-il expliqué au Wort.
La formule qui sera choisie pour octroyer des bourses ne semble pas encore clairement arrêtée, la ministre ayant fait référence en commission aux pistes proposées par la CJUE. "L’octroi d’une aide pourrait être lié à une condition qu’un des parents occupe un emploi durable au Luxembourg depuis une durée significative. Les montants de la bourse et du prêt pourraient être fixés en tenant compte de critères sociaux et des dépenses liées à la nature et au lieu d’études", résume le site de la Chambre des députés, l’enjeu étant, selon la ministre, de trouver la bonne formule bourse/prêts. Tout en sachant que les bourses constituent une dépense immédiate et que les prêts pourraient avoir un effet à terme, représentant de ce fait à terme un facteur d’insécurité pour les finances publiques.
Marcel Oberweis a confié au Luxemburger Wort que le montant des bourses pourrait être réduit, et dépendre à nouveau du revenu des parents. Il pourrait aussi être tenu compte du lieu d’études, car, la différence est de taille selon que l’on fasse ses études à Luxembourg, Trèves ou Vancouver.