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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
La Commission consultative des droits de l'homme a rendu un avis dans l'ensemble positif sur le projet de transposition dans le droit luxembourgeois de la directive européenne concernant la lutte contre la traite des êtres humains
23-07-2013


ccdh-logoLe 23 juillet 2013, la Commission consultative des droits de l'homme (CCDH) a présenté son avis sur le projet de loi n° 6562 renforçant le droit des victimes de la traite des êtres humains.  Ce texte transpose la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. Le projet de loi a été déposé le 11 avril 2013, mois durant lequel chaque Etat membre devait normalement déjà avoir transposé la directive.

Présentée le 29 mars 2010 par la commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, le texte européen propose trois approches pour s'attaquer à la traite des êtres humains : le renforcement des poursuites à l'encontre des auteurs des infractions, de la protection des victimes et la prévention des infractions. Le 14 décembre 2010, jour de l'adoption de la directive par le Parlement européen, un premier coordonnateur européen de la lutte contre la traite des êtres humains a été nommé.

En juin 2012, l'Organisation internationale du travail (OIT) estimait à 21 millions de personnes dans le monde, et 880 000 dans l'Union européenne, le nombre de personnes victimes de la traite. Femmes et enfants y sont les plus exposés. Au niveau mondial, entre 2008 et 2010, 68 % des victimes étaient des femmes et 12 % des filles, tandis que 17 % étaient des hommes et 3 % des garçons.

La traite des êtres humains rapporterait par an environ 25 milliards d'euros à des réseaux criminels dans le monde.  Et la moitié de ces profits seraient générés dans les économies industrialisées.

En avril 2013, Eurostat a publié ses premières statistiques sur le trafic d'êtres humains. Elles révélaient notamment que l'exploitation à des fins sexuelles et de main d'œuvre sont les plus courantes. Elles concernent respectivement 60 % et 23 % des victimes de la traite des êtres humains. Pour ce qui de l'exploitation à des fins sexuelles, les femmes représentent 96 % des victimes. Les hommes sont surtout exploités à des fins de travail forcé, dont ils constituent 77 % des victimes. 

En Europe, 44 % des victimes sont des citoyens de l'Union en provenance pour la majorité des cas de Bulgarie et de Roumanie et 11 % sont originaires d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique centrale et du Sud.

La directive européenne énumère neuf activités criminelles relevant de la traite des êtres humains : l'esclavage domestique, les fausses filles au pair, les mariages par correspondance, l'exploitation sexuelle commerciale, le trafic d'organes, le travail forcé, les enfants soldats, les adoptions illégales, mais aussi la mendicité forcée.

La mendicité forcée a été ajoutée par cette directive. La mendicité forcée doit être comprise comme toute forme de travail ou de service forcés tels qu'ils sont définis dans la Convention n°29 de l'OIT de 1930  concernant le travail forcé ou obligatoire, soit "tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré"). La directive précise que la validité du consentement d'une personne se retrouvant dans une telle situation doit faire l'objet d'une appréciation au cas par cas.

La nécessité d'adopter la proposition de directive sur le gel et la confiscation des produits du crime

Dans son avis, la CCDH fait remarquer  que la lutte contre la traite des êtres humains recouvre de nombreux aspects. "Le phénomène de la traite des êtres humains demande une politique pluridisciplinaire ayant trait à la criminalité organisée, au monde économique (finances), et ( …) aux droits de l'Homme", dit-elle en faisant remarquer que "plusieurs droits intangibles consacrés dans la Convention européenne des droits de l'Homme, tels que le respect de l'intégrité physique, l'interdiction de la torture, l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé sont concernés". Dans ce contexte, la CCDH fait remarquer qu'il y aurait lieu prendre de nouvelles mesures, par le moyen, notamment, de l'adoption de la proposition de Directive sur le gel et la confiscation des produits du crime dans l'UE.

De même, elle estime qu'il faut que les Etats "poursuivent et sanctionnent avec détermination les criminels opérant en la matière", renvoyant à l'arrêt C.N. c. Royaume-Uni de la Cour européenne des droits de l'Homme, rendu le 13 novembre 2012, qui condamne le Royaume-Uni pour l'inefficacité de l'enquête menée sur des allégations de servitude domestique.

Les nouveaux moyens d'agir au Luxembourg

La CCDH rappelle que dans cette lutte, l'identification des victimes doit être précoce. Pour cette raison, "la formation des responsables de l'application de la  loi, des procureurs, du personnel de santé et de tous ceux qui sont susceptibles d'entrer en contact avec les victimes est un élément essentiel du succès".

Selon le ministère de la Justice, repris par la CCDH, 8 victimes de la traite des êtres humains ont été identifiées au Luxembourg en 2011. Ces dernières, sept femmes et un enfant, avaient fait l'objet d'exploitation sexuelle et d'esclavage ou de pratiques analogues à l'esclavage.

Les statistiques publiées par Eurostat en avril 2013 révélaient pour leur part, qu'entre 2008 et 2010, au Luxembourg, 17 trafiquants, dont une femme, ont été identifiés, soupçonnés dans leur grande majorité d'exploitation sexuelle. Dans le même temps, sur 39 personnes jugées pour des soupçons de trafic d'êtres humains, sept personnes, dont trois femmes, ont été condamnées. 

La transposition de la directive européenne sur la traite des êtres humains introduit une série d'innovations dans la législation luxembourgeoise. Le projet de loi dispense de l'obligation d'une plainte écrite avant qu'enquêtes et poursuites ne soient menées. La CCDH y voit "une avancée significative", étant donné que "ces dispositions tiennent compte de la réalité que soit la police, soit des associations travaillant sur le terrain ont identifié comme victime de la traite une personne qui elle-même n´ose pas porter plainte de fait de sa dépendance de l´auteur de l´infraction ou du fait de (menaces) de violences à son égard". De plus, la directive européenne contraint les Etats membres à garantir la continuité de la procédure pénale, même si la victime retire sa déclaration.

La directive prévoit que les victimes des infractions de la traite des êtres humains visées aient droit à une indemnité à charge de l'Etat dans tous les cas lorsqu'elles ont subi sur le territoire national un préjudice matériel ou moral. Or, relève la CCDH, le projet de loi "est davantage protecteur que la directive en précisant que les victimes de telles infractions sont dispensées de rapporter la preuve d'une atteinte à l'intégrité physique ou mentale". De plus, la CCDH constate également avec satisfaction que "les victimes d'infractions de la traite des êtres humains commises à l'étranger auront droit à une indemnité en vertu du régime d'indemnisation national indépendamment de leur lieu de résidence régulière et habituelle".

Confusion entre peine minimale et peine maximale

Pour ce qui est des objectifs du renforcement de la répression contre les trafiquants, la commission consultative pense avoir mis au jour une confusion entre peine minimale et peine maximale qui se retrouve aussi bien dans la directive européenne que dans le projet de loi. En conséquence, elle considère que le "législateur national devra relever la gradation des peines pour les adapter au but recherché par la directive, à savoir des peines qui ne peuvent être inférieures à cinq ou dix ans d'emprisonnement". Par ailleurs, la CCDH aimerait que le projet de loi s'exprime clairement sur le délai de prescription des cas de traite.

La directive européenne met en avant l'intérêt supérieur de l'enfant. Et le projet de loi « va au-delà de ce qu'est prévu dans la directive en précisant que lorsque l'infraction de la traite des êtres humains est commise par une personne ayant l'autorité sur la victime mineure, cette personne ne peut en aucun cas être désignée comme son majeur responsable, ni comme son tuteur", se réjouit la CCDH.

La CCDH est par contre déçue que le projet de loi prévoie qu'une personne, ressortissante d´un pays tiers, et signalée par les services de police comme victime présumée de la traite, ne pourra bénéficier d'un titre de séjour qu'"à condition qu'elle coopère avec les autorités". La CCDH recommande que cette obligation de coopérer disparaisse et que "le statut de victime présumée" suffise pour l'obtention d'un titre de séjour.

Parmi ses autres recommandations, la CCDH propose la création d'un poste budgétaire spécifique intitulé "mesure d'assistance et de protection des victimes" au ministère de la Famille, qui permette de mieux assurer la protection des victimes. Cette création s'ajouterait au fait que le projet de loi nomme l'Ombudsmann comme rapporteur national prévu par la directive européenne.

La CCDH précise qu'elle soutient la recherche et la mise en œuvre de moyens de lutte supplémentaires en vue de combattre la traite de manière générale. Elle cite pour exemples : un renforcement de la coopération au sein de l'Union européenne, la mise en place de mécanismes d'alerte tels qu'un numéro vert permettant à des victimes de la traite de contacter des services spécialisés (à l'instar du numéro vert créé pour les enfants kidnappés), la sensibilisation aux autres phénomènes de la traite ainsi que la poursuite de la mise en place de statistiques nationales et européennes sur toutes les formes de la traite.

De son côté, la Commission européenne a déjà réfléchi aux moyens d'affiner et renforcer la lutte contre la traite des êtres humains en présentant, en décembre 2012, une stratégie en vue de l'éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016. Cette stratégie s'fattache notamment à  "fournir un cadre cohérent pour les initiatives existantes et projetées, de fixer des priorités, de combler les lacunes et donc de compléter la Directive récemment adoptée", souligne la CCDH.