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Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
Réforme de la loi sur l’aide financière aux études supérieures – La majorité a voté en faveur du texte de loi
09-07-2013


Martine HansenLe 9 juillet 2013, la Chambre des députés a adopté le projet de réforme du système d’aides financières aux études supérieures, par 41 voix pour et 18 contre. Les deux partis de la majorité, le LSAP et le CSV, ont voté en bloc en faveur du texte qui s’inspire de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 juin 2013, pour changer la loi du 16 juillet 2010 jugée contraire à la libre circulation des travailleurs. Fustigeant une réforme qui, comme en 2013, fut faite dans l’urgence, sans consultation des intéressés et créerait de nouvelles discriminations, l’opposition a rejeté le texte.

Travailleurs salariés et non-salariés sur un même pied d’égalité

Le rapporteur du projet de loi, le député CSV, Marcel Oberweis a commencé par rappeler que la Commission de l’Enseignement supérieur a dû se réunir quatre fois dans le délai de deux semaines qui lui fut imparti. "Ce n’est sans doute pas la meilleure façon de présenter un projet de loi, de l’analyser, rassembler les avis et faire un rapport", a-t-il concédé, tout en soulignant en même temps le caractère "extraordinaire" de la situation.  

L’urgence n’a d’ailleurs permis d’insérer dans le texte final qu’un des deux amendements que la commission parlementaire avait adoptés dans sa séance du 5 juillet 2013. Ainsi, la loi mentionne désormais également les travailleurs non-salariés, et non les seuls salariés, dont les enfants peuvent accéder à une bourse, si tant est qu’ils exercent leur activité professionnelle au Grand-Duché depuis au moins cinq sans interruption, au minimum à mi-temps, délai considéré comme "preuve suffisante pour prouver un lien avec notre pays". La mention des seuls salariés dans le texte initial avait notamment été dénoncée par le Conseil d’Etat dans son avis rendu le 2 juillet 2013 qui mettait en garde contre la violation du principe d’égalité devant la loi.

Le député CSV, Serge Wilmes, a dédié son intervention à une explication de l’arrêt de la CJUE, soulignant que celui-ci est intervenu dans le cadre d’un renvoi de question préjudicielle, et non pas dans une procédure en infraction, mais aussi que le texte de l’arrêt était très nuancé. Le but de la loi, à savoir augmenter le nombre de détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur, y est confirmé, mais le moyen de l’atteindre y est considéré comme erroné, a résumé le jeune député.

Reprenant un commentaire du député socialiste, Ben Fayot, dans un article paru dans la presse le 5 juillet 2013, il a souligné également que l’arrêt de la CJUE signifiait que la Grande Région "existe comme entité supérieure à l’Etat national". Il a enfin rappelé que le fait que le Danemark, la Grèce, la Suède et l’Autriche se sont rangés aux côtés du Luxembourg dans le jugement européen, démontrait que la problématique de la clause de résidence pour les bourses étudiantes ne concernait pas seulement le Luxembourg.

De nouvelles sources de discrimination ?

Le député libéral, Eugène Berger, comme le député vert Claude Adam à sa suite, a déploré qu’ "il est souvent omis que la loi mise en cause était une mesure d’économie budgétaire", qui, a, de surcroît, occasionné une charge budgétaire supplémentaire. Et il prévient qu’avec les chèques services, dont sont exclus les travailleurs frontaliers, qui pourraient occasionner les mêmes discussions, "la note risque d’être salée".

Pour Eugène Berger, la loi que la Chambre des députés allait finalement adopter, est "au mieux un pneu de secours pour aller jusqu’au prochain garage",  et comporte de surcroît le risque de nouvelles discriminations : des enfants de veufs, de pensionnés, de parents ayant vécu une période de chômage, pourraient être discriminés et leur cas pourrait bien aussi avoir à terme une incidence budgétaire.

Evoquant la future réforme en profondeur que le système d’aides devra subir durant la prochaine année, Eugène Berger a plaidé pour l’intégration de la sélectivité sociale et la prise en compte des coûts réels des études, pour déterminer le montant de la bourse et des prêts attribués par l’Etat. 

Le député socialiste, Ben Fayot, préfère que soit inséré dans le futur système  le critère de la mobilité. Il a rappelé que le but de la réforme était d’augmenter le nombre de diplômés et a émis le souhait qu’il le reste, soulignant que le besoin d’une augmentation du nombre de diplômés avait déjà été évoqué lors des débats menées en novembre 2011 à la Chambre des députés sur la carte bleue européenne.

Ben Fayot défend la vision de l’étudiant comme "un adulte indépendant". Jugeant qu’il faut aider les familles de groupes socio-économiques défavorisés soit plus aidé, il a toutefois souligné la difficulté de définir des critères sociaux et souligner l’intérêt d’aider également les classes moyennes. Enfin, il a fait remarquer que les deux conditions, celle d’un travail ininterrompu au Luxembourg et celle d’un anti-cumul, qui pourraient constituer de nouvelles discriminations, sont des propositions de la CJUE elle-même.

Le député vert, Claude Adam, a estimé que la nouvelle loi désavantagerait les étudiants luxembourgeois qui ne perçoivent plus d’allocation familiale alors que les étudiants frontaliers pourraient cumuler, l’allocation familiale n’étant pas concernée par la règle anti-cumul. "On risque une discrimination positive des enfants de frontaliers", a-t-il dit, soulignant sa divergence d’interprétation sur ce point, avec le rapporteur de la loi, Marcel Oberweis.

Claude Adam a également fait l’historique de la proposition de loi, décidée dans un contexte d’économie budgétaire. "La chose scandaleuse est que le gouvernement n’a pas seulement  défendu une mesure d’épargne qui n’en fut pas une, mais aussi que durant un an il ne s’est pas préparé au cas réaliste d’un jugement négatif de la Cour européenne. Ne pas avoir, après ce temps, la moindre ébauche d’un plan B dans les tiroirs, est irresponsable", a déclaré le député Déi Gréng, Claude Adam, dans un communiqué de presse diffusé à l’issue des débats. Durant son intervention à la Chambre, il s’est fait l’écho des complaintes du Conseil d’Etat et de la Chambre des salariés qui, en 2013 comme en 2010, avaient critiqué le fait de ne pas avoir eu assez de temps pour étudier le projet de loi, pour ce qui est du premier, et de ne pas avoir été consulté et d’avoir dû s’autosaisir, pour ce qui est de la chambre professionnelle.

L’écologiste a également rappelé que les résidents qui gagnent peu d’argent et ont beaucoup d’enfants ainsi que les résidents vivant avec un handicap, avaient eux aussi été lésés par la législation de 2010, pourtant généreuse avec des familles aisées qui jusque-là n’avaient jamais eu le bénéfice d’une bourse étudiante.

Claude Adam a estimé que le système d’aides financières ne pouvait reposer sur le principe d’un revenu de base égal pour chaque étudiant, car "l’argent qu’on dépense sans critères n’est plus disponible pour mener une politique sociale". "Il est absurde de penser qu’un jeune qui a accès à un revenu de base a les mêmes chances qu’un autre", a-t-il par ailleurs dit. Le député écologiste a aussi fait remarquer que la suggestion faite par la CJUE dans son arrêt de vérifier l’attachement au pays par les relations de travail, contenait certes une clause de cinq ans de travail, mais ne proposait pas que ceux-ci aient été effectués sans interruption. Or, il juge cette dernière clause "relativement dure". Il a encore estimé que la clause anti-cumul manquait de clarté quant à son application.

A la lecture du jugement de la CJUE, le député ADR, Fernand Kartheiser, se demande s’il n’y a pas lieu désormais de parler de ""souveraineté abandonnée "plutôt que "de souveraineté partagée" quand on évoque le rapport entre un Etat membre et l’UE. L’arrêt de la CJUE démontre à son goût une "large interprétation du droit européen" qui permet à l’UE de s’immiscer dans des domaines politiques qui sont pourtant restés dans la compétence des Etats membres.

Il s’est notamment étonné de l’idée de la Cour selon laquelle il serait plus facile pour un Luxembourgeois de remplir la condition de résidence que pour un travailleur frontalier. Il a également critiqué la proposition de la CJUE, que le gouvernement a déjà écartée, selon laquelle il serait possible de conditionner l’octroi de la bourse à un enfant de frontalier à son entrée future sur le marché du travail national à l’issue des études. Fernand Kartheiser considère qu’une telle disposition créerait "une pression sur le marché du travail". Il a ensuite estimé qu’au vu du jugement, le Luxembourg pourrait demander à faire jouer la réciprocité afin d’abattre le numerus clausus dans les écoles de kinésithérapie en Belgique. Enfin, il a estimé que le texte gouvernemental n’était "pas mûri". Les règles anti-cumul sont complexes et exigeront "un travail herculéen" à l’administration, a-t-il dit.

Le député Déi Lénk, Serge Urbany, directement engagé dans l’affaire portée devant la CJUE en tant que conseiller juridique de l’OGBL, a estimé que la loi du 16 juillet 2010 constituait "une des plus grandes faillites législatives des dernières années". Elle a "ignoré les contextes juridique, social et économique".

Il a rappelé qu’il y avait 44 % de frontaliers parmi les salariés du Grand-Duché et que le pays "a beaucoup profité de la libre circulation des travailleurs". La loi du 16 juillet 2010 est selon lui à voir comme "une politique anti-frontaliers". Elle serait la suite logique des efforts du gouvernement pour lier les allocations familiales à la résidence à travers le règlement européen 2001/83 sur la sécurité sociale.

La nouvelle loi a provoqué une "discrimination selon la résidence mais aussi une discrimination sociale", a-t-il dit, jugeant que l’argumentation répétée de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, François Biltgen, selon laquelle "l’aide aux études n’était pas une prestation sociale, était grotesque". Le député Déi Lénk a enfin estimé que le nouveau texte est "uniquement en apparence conforme au jugement" mais qu’il crée de "nouvelles discriminations".  

"Si nous n’avions pas réagi, nous aurions eu plus de plaintes, et risquions une procédure en infraction", a expliqué la ministre de l’Enseignement supérieur, Martine Hansen, en clôture des débats, pour justifier la rapidité du processus législatif. Ce timing serré n’a pas permis d’intégrer les allocations familiales dans la clause anti-cumul introduite dans la loi. Il aurait fallu pour cela changer deux lois, a-t-elle fait savoir. Elle a par ailleurs souligné que le gouvernement allait analyser les moyens de réintroduire des critères sociaux, reconnaissant, avec Ben Fayot, la difficulté de la tâche.