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Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
Aides pour études supérieures – Dans un avis très critique sur le projet de loi du gouvernement suite à l’arrêt de la CJUE, le Conseil d’Etat suggère que l’ensemble du texte soit retravaillé et plaide pour un système "au diapason du cadre européen"
05-07-2013


Le logo du Conseil d'EtatLe 20 juin 2013, la CJUE rendait un arrêt dans l’affaire Giersch e.a. / Luxembourg dont il ressortait que la règlementation luxembourgeoise sur les aides pour études supérieures est contraire au principe de la libre circulation des travailleurs.

Le gouvernement luxembourgeois a immédiatement réagi. Le 28 juin, la ministre de la recherche et de l’Enseignement supérieur, Martine Hansen, présentait un projet basé sur deux modifications. Dans une loi destinée à rester provisoire avant qu'une refonte plus en profondeur ne la remplace, la clause de résidence dénoncée par la CJUE doit disparaître. La ministre de l'Enseignement supérieur a donc proposé d'introduire une obligation d'une durée de travail ininterrompue de cinq ans d'un des parents pour que l'enfant de frontalier puisse prétendre à une bourse ainsi qu'une clause qui empêche le cumul de la bourse luxembourgeoise avec une bourse du pays de résidence. Son projet porte par ailleurs sur des bourses étalées sur la durée d'un an et non pas sur un semestre comme le voulait le Conseil de gouvernement dans un premier temps.

Avant le débat et le vote à la Chambre des députés le 9 juillet 2013 d’un projet qui a été depuis l’objet de diverses critiques, le Conseil d’Etat vient de rendre public son avis sur ce projet qui date du 2 juillet 2013 déjà.

Le Conseil d’Etat déplore dans un premier temps que de nouveau, sur la question du système des aides pour études supérieures, il doit aviser comme en 2010 sous le coup de l’urgence, de sorte qu’il ne lui a pas été possible "de procéder une analyse approfondie du cadre légal et jurisprudentiel européen". Et il ajoute : "Or, une telle analyse s’imposerait afin d’éviter de futures erreurs susceptibles de donner lieu à de nouveaux litiges." Comme le projet de loi se limite à modifier la loi sur base des seuls considérants figurant dans l’arrêt C-20/12, le Conseil d’Etat a aussi été obligé de suivre cette trame.

Les pistes esquissées par l’arrêt de la Cour pour que le Luxembourg se mette en règle sont, explique le Conseil d’Etat, "l’octroi de l’aide financière (qui) pourrait être subordonné à la condition que le parent travailleur frontalier ait travaillé durablement au Luxembourg pendant une période minimale déterminée" et "la prise en compte d’une aide financière équivalente prévue dans l’Etat de résidence".

Le projet de loi reprend les critères contenus dans l’arrêt en permettant à l’enfant d’un travailleur non-résident de bénéficier de l’aide financière de l’Etat luxembourgeois tout en introduisant l’exigence d’un emploi durable, d’une durée "significative".

Mais le Conseil d’Etat constate que l’arrêt de la Cour soulève d’autres questions, nouvelles par rapport au texte existant, qui ne sont actuellement pas abordées par le projet de loi. Il évoque "le cas de l’étudiant luxembourgeois ou membre de famille d’un ressortissant luxembourgeois ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg et dont au moins un des parents travaille au Luxembourg" et le as de "l’enfant d’un travailleur non salarié ressortissant de l’Union européenne qui ne réside pas au Grand-Duché."

Le Conseil d’Etat parle d’un projet de loi qui veut "raccommoder une législation fragile reposant sur des paradigmes remis fondamentalement en cause par l’arrêt C-20/12 » et marque son désaccord avec cette approche, entre autres parce qu’elle "se base sur les seules réponses à la question préjudicielle".

Or, dans le cadre de la question préjudicielle, la situation des travailleurs frontaliers non-salariés n’a pas été abordée par la CJUE. Et ici le Conseil d’Etat  se demande si un travailleur frontalier non salarié, contribuable et cotisant au régime de sécurité sociale au Luxembourg, et qui présente selon elle "dès lors un lien de rattachement avec le Luxembourg", ne devrait pas, "sur base du principe général du droit de l’Union européenne qui met sur un pied d’égalité les travailleurs salariés et non-salariés, ainsi que sur base du principe de non-discrimination, bénéficier d’un traitement égalitaire par rapport au travailleur frontalier salarié". Dans l’analyse des articles, il répond à la question qu’il s’est posée et statue que "le traitement distinct des deux catégories de travailleurs, salariés et non-salariés, ne respecte pas le principe constitutionnel d’égalité alors que la disparité de traitement n’est fondée sur aucune raison déterminante justifiée au regard de la finalité de la loi." Et il tire ensuite de son appréciation une conclusion institutionnelle : "Faute de combler cette lacune dans la future loi, le Conseil d’Etat se verra dans l’obligation de refuser la dispense du second vote constitutionnel."

Le Conseil d’Etat n’a par contre pas de problème avec le fait que le bénéfice de l’aide financière pour études supérieures pour les travailleurs frontaliers est lié à la condition que l’étudiant est l’enfant d’un travailleur salarié employé au Luxembourg "pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant", une clause fortement critiquée par les syndicats. De même, la décision de n’ouvrir l’accès aux aides financières qu’aux salariés frontaliers travaillant au moins cinquante pourcents du temps de travail légal ou conventionnel paraît au Conseil d’Etat "compatible avec la jurisprudence actuelle de la Cour en la matière". Le Conseil d’Etat estime en effet que "la politique sociale relève toujours, en l’état actuel du droit de l’Union européenne, de la compétence des Etats membres" et que "ces derniers continuent à disposer d’une marge d’appréciation très vaste".

Dans ses conclusions, le Conseil d’Etat dit néanmoins clairement qu’il préférerait que l’ensemble du texte soit remis sur le métier et plaide pour l’adoption d’un système d’aides aux étudiants "au diapason du cadre européen" : "Cette réforme devrait restaurer le lien entre tous les étudiants non travailleurs et leurs parents, une approche qui permettrait une politique sociale plus sélective en prenant à nouveau en compte les facultés contributives des parents. Une telle démarche serait par ailleurs plus conforme aux dispositions du Code civil relatives à l’obligation d’entretien entre générations."

Quadrature du cercle

L’avis du Conseil d’Etat compliquera la situation de départ pour le débat et le vote à la Chambre du 9 juillet 23013 et vient étayer un constat que le député socialiste Ben Fayot a formulé ainsi dans une contribution parue le 5 juillet dans le Lëtzeburger Land : "La difficulté pour ce dernier (le gouvernement luxembourgeois, ndlr) réside dans l'urgence à trouver une solution qui assure aux étudiants en cours d'études ou entamant leurs études de pouvoir continuer à bénéficier d'aides sérieuses. L'État luxembourgeois ne peut pas abandonner non plus son objectif d'augmenter le nombre d'universitaires résidents. Il doit enfin tenir compte de l'arrêt de la CJE et trouver une solution alternative facile à mettre en œuvre du point de vue administratif et finançable à la fois. Bref, c'est la quadrature du cercle, ni plus ni moins!"