La Commission a adopté le 4 septembre 2013 une communication sur le système bancaire parallèle et proposé de nouvelles règles pour les fonds monétaires (money market funds).
Cette communication s’inscrit dans le prolongement du livre vert de mars 2012 sur le système bancaire parallèle. Elle représente une synthèse des travaux réalisés à ce jour et définit les mesures envisagées dans ce domaine important.
La première de ces mesures, les nouvelles règles proposées pour les fonds monétaires, visent à permettre aux fonds monétaires, en cas de difficultés sur les marchés, de mieux résister aux demandes accrues de remboursements grâce à un meilleur profil de liquidités et une plus grande stabilité.
Le système bancaire parallèle est un système d’intermédiation de crédit composé d’entités et d’activités extérieures au système bancaire classique. Les banques de ce système bancaire ne sont pas régulées comme des banques, mais mènent des activités de type bancaire. Le Conseil de stabilité financière (CSF) a estimé la taille du système bancaire parallèle mondial à quelque 51 000 milliards d’euros en 2011. Cela représente 25 à 30 % de l'ensemble du système financier et la moitié des actifs des banques. Le système bancaire parallèle est donc d'importance systémique pour le système financier européen. En termes de répartition géographique, il représente 17 500 milliards d’euros aux USA, 16 800 milliards dans la zone euro et 6 800 milliards au Royaume Uni.
Depuis le début de la crise financière en 2007, la Commission européenne a engagé avec les Etats membres une réforme globale du secteur des services financiers en Europe. Son objectif déclaré est "de mettre en place un secteur financier solide et stable, essentiel pour l’économie réelle, en remédiant aux lacunes et aux faiblesses mises en lumière par la crise". Dans ce contexte, la Commission est d’avis que les risques ne doivent pas s'accumuler dans le secteur bancaire parallèle, alors qu'une des conséquences possibles de la nouvelle réglementation bancaire est qu'elle incite le transfert de certaines activités bancaires vers ce secteur moins régulé.
Ceci dit, les fonds monétaires sont une importante source de financement à court terme pour les établissements financiers, les entreprises et les administrations publiques. En Europe, ils détiennent environ 22 % des titres de dette à court terme émis par les administrations publiques ou par les entreprises et 38 % de la dette à court terme émise par le secteur bancaire. Cette interconnexion systémique avec le secteur bancaire et avec les finances des entreprises et des administrations explique que le fonctionnement de ces fonds soit au centre des travaux sur le système bancaire parallèle menés au niveau international.
Les fonds monétaires représentent en Europe selon les estimations de la Commission autour de 15 % des sommes déposées dans des fonds d’investissement. Le secteur est très concentré. Selon la Commission, les 200 plus grands fonds monétaires représentent plus de 86 % de tous les actifs gérés par des fonds monétaires. 22 fonds gèrent 10 milliards d’actifs et le plus grand fonds gère jusqu’à 55 milliards d’euros d’actifs. S’y ajoute qu’un gestionnaire de fonds ne gère pas forcément qu’un seul fonds, mais peut en gérer plusieurs, et cela peut aller jusqu’à une situation où un seul gestionnaire gère un portefeuille de 120 milliards d’euros.
La communication présente les enjeux relatifs au système bancaire parallèle et les mesures déjà prises en la matière, par exemple les règles régissant les fonds alternatifs (hedge funds) ou le renforcement des liens entre banques et acteurs non régulés (par exemple les dispositions concernant les expositions aux titrisations, dans la nouvelle législation sur les exigences de capitaux propres.
Elle décrit les domaines prioritaires dans lesquels la Commission entend prendre des initiatives.
1. La création d’un nouveau cadre pour les fonds monétaires : Les nouvelles règles présentées par la Commission couvrent les fonds monétaires domiciliés ou commercialisés en Europe, et visent à améliorer leur profil de liquidité et leur stabilité :
2. Transparence du secteur bancaire parallèle: Pour pouvoir assurer un suivi des risques et intervenir quand c'est nécessaire, il est indispensable de recueillir des données détaillées, fiables et exhaustives pour identifier les banques parallèles.
3. Droit des titres et risques liés aux cessions temporaires de titres (principalement les prêts de titres et les opérations de mise en pension ou accords de rachat). Ce mécanisme peut contribuer à accroître le niveau de levier et renforce le caractère pro-cyclique du secteur financier, qui devient vulnérable aux paniques (runs) et aux mouvements soudains de réduction du levier. En outre, l’opacité de ces marchés complique l’identification des droits de propriété ("qui possède quoi?"), le suivi de la concentration des risques et l’identification des contreparties ("qui est exposé à qui?").
4. Un encadrement des interactions avec les banques. Le degré élevé d’interconnexion entre le système bancaire parallèle et le reste du secteur financier, en particulier le système bancaire, constitue une source majeure de risque de contagion. Pour y répondre, on pourrait notamment durcir les règles prudentielles qui s'appliquent aux banques dans leurs opérations avec des entités financières non régulées.
En outre, une attention particulière sera portée au dispositif de supervision des activités et des entités du système bancaire parallèle afin de s’assurer que les risques spécifiques soient pris en compte de manière adéquate. Certains aspects, tels que la mise en place d’instruments de résolution pour les établissements financiers non bancaires et la réforme structurelle du système bancaire, nécessitent selon la Commission une analyse plus approfondie.
En définitive, l’objectif poursuivi est de s’assurer que les risques potentiellement systémiques pour le secteur financier soient couverts et que les possibilités d’arbitrage réglementaires soient limitées afin de renforcer l’intégrité des marchés et la confiance des épargnants et des consommateurs.
La communication de la Commission est selon son propre communiqué "conforme aux recommandations du Conseil de stabilité financière (CSB), qui seront approuvées par les dirigeants du G-20 à Saint-Pétersbourg les 5 et 6 septembre 2013".
Dans ses recommandations datant du 29 août 2013, le CSB avait en effet demandé que la communauté internationale agisse sur cinq points:
Il avait d’abord demandé que les fonds monétaires disposent d’un capital propre – 3 % selon le CSB - surtout les fonds qui proposent le remboursement au pair et qui fonctionnent donc à la manière d’un compte bancaire. Ce point se retrouve dans la proposition de la Commission présentée le 4 septembre par le commissaire européen Michel Barnier.
Ensuite, toutes les banques parallèles doivent être dûment identifiées. La Commission va également dans ce sens.
En troisième lieu, le CSB demande que les liens entre les banques régulières et les banques parallèles soient rompus. Ici, la Commission européenne ne va pas aussi loin.
Puis, il s’agit de limiter les risques que constituent pour les marchés les prêts multiples de titres.
En cinquième lieu, il s’agit de créer un cadre légal pour les accords de rachat qui permettrait au prêteur d’argent d’exiger une somme fixe au prêteur de titres qui se refinance, afin que l’on évite que les marchés soient inondés de titres en cas de crise de confiance. La Commission a fait un pas dans cette direction.
Michel Barnier a expliqué lors de sa conférence de presse que sa proposition ne visait pas à interdire purement et simplement les fonds monétaires qui pratiquent le remboursement au pair, comme le préconisait en décembre 2012 le Conseil européen du risque systémique, car "ils jouent un rôle utile et sont appréciés par les investisseurs". Leur activité est même essentielle dans certains pays comme l'Irlande ou le Luxembourg, a-t-il fait valoir. "Je ne fais pas la guerre à ces fonds, je veux qu'ils soient bien supervisés, transparents, bien capitalisés", a-t-il résumé, cité par l’AFP. Pour lui, la réserve de 3 % devrait être suffisante pour parer aux situations de crise.
Son approche ne plaît néanmoins guère aux banques. L’exigence de 3 % de capitaux propres est selon le Handelsblatt du 4 septembre 2013 entre autres rejetée par l’ALFI, l'organisation professionnelle des OPC luxembourgeois, qui avait répondu en décembre 2012 aux questions soulevées par la Commission sur les banques parallèles.
Mais les propositions de la Commission sont aussi jugées "décevantes" par le porte-parole des Verts pour les affaires financières au Parlement européen, Sven Giegold. Il lui reproche de ne pas avoir suivi la recommandation du Conseil européen du risque systémique d’interdire les fonds monétaires qui pratiquent le remboursement au pair ni celle du Conseil de stabilité financière qui penche depuis le 29 août dans la même direction. La réserve de 3 % de la somme des actifs, à introduire après une période transitoire de trois ans, lui paraît insuffisante pour éviter des ventes massives dans des moments de panique, de sorte que selon lui, « les marchés des fonds monétaires feraient en cas de crise fonction d’accélérateurs de l’incendie ». Sven Giegold dénonce aussi le fait que la Commission ait retenu sa proposition depuis six mois, permettant ainsi aux lobbys financiers de mettre à profit ce temps pour agir. Sa conclusion : "La Commission place les intérêts économiques des paradis fiscaux que sont le Luxembourg et l’Irlande plus haut que l’intérêt général de la stabilité des marché financiers."
La réaction de la députée européenne portugaise social-démocrate, Elisa Ferreira, porte-parole du groupe S&D pour les questions économiques et monétaires, s'est par contre félicitée de cette prise d'initiative. "Tous les secteurs des marchés financiers devraient être régulés, les entités et activités du secteur bancaire parallèle ont joué un rôle majeur dans l'explosion du crédit qui a causé la crise financière", a-t-elle estimé dans un communiqué. Lui faisant écho, Saïd El Khadraoui (S&D/ Belgique), qui est l’auteur d’un rapport sur le système bancaire parallèle, a rappelé que ces fonds étaient "des fonds d'investissements et pas des banques".