Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Le Parlement européen recommande des droits égaux pour les partenariats civils et les couples mariés internationaux en cas de divorce ou de séparation
10-09-2013


Parlement européenLe Parlement européen a adopté le 10 septembre 2013 avec une large majorité deux recommandations sur deux règlements, l'un visant les règles applicables aux couples mariés ("régime matrimonial") et l'autre concernant les partenariats enregistrés ("régime patrimonial")  que la Commission avait proposés en mars 2011. Le Parlement a été consulté avant l'adoption par le Conseil de sa position finale, le Conseil devant trancher sur ce type de questions à l’unanimité.

Comme l’a rappelé la rapporteure des deux textes, la libérale allemande Alexandra Thein, l’on dénombrait en 2007 dans l'Union européenne quelque 211 000 partenariats enregistrés, dont plus de 41 000 concernaient plusieurs États membres du point de vue de leurs effets patrimoniaux. Parmi ceux-ci, 8 500 (4 %) ont été dissous à la suite d'une séparation et 1 266 (0,6 %) à la suite du décès d'un des partenaires. Il se trouve que lorsqu'une décision en matière patrimoniale doit être arrêtée pendant le partenariat ou lors de sa dissolution, les personnes concernées sont confrontées à des questions complexes, pour ce qui est notamment de la loi applicable et de la juridiction compétente.

De l’autre côté, en 2007, dans l'Union européenne, plus d'un mariage sur sept (seize millions) avait un caractère transnational, de même qu'un peu plus d'un septième des nouveaux mariages (310 000) et des divorces (137 000). 390 000 mariages se sont dissous par la mort d'un des époux. Au total, environ 637 000 mariages à caractère international ont pris fin pour cause de divorce ou de décès.

Dans tous ces cas, note la rapporteure, il est nécessaire de procéder à la liquidation du régime matrimonial. Les personnes concernées se trouvent là aussi confrontées à des questions complexes, concernant notamment le droit applicable et la juridiction compétente. Des questions relatives au régime matrimonial se posent toutefois aussi dans le contexte de la gestion du patrimoine en cours de mariage. Ces questions peuvent également impliquer des tiers, notamment en matière de biens immobiliers ou de crédit.

Le droit des régimes matrimoniaux varie considérablement d'un État membre à l'autre, de même que les règles de compétence. Dans la pratique, il peut donc arriver que, dans un même dossier, la juridiction compétente d'un État membre envisage le régime matrimonial autrement que la juridiction compétente d'un autre État membre. En cas de patrimoine important, cette disparité peut provoquer une course au for dans laquelle chaque partie espère voir appliquer le droit patrimonial qu'elle estime le plus avantageux pour elle. L'avantage revient alors clairement à la partie la mieux conseillée. Il règne en outre, de façon générale, une grande insécurité juridique, qui s'accompagne d'un risque financier.

Les deux textes de la Commission

Les deux textes de la Commission avaient plusieurs objectifs :

  • permettre aux couples internationaux mariés de choisir le droit applicable à leurs biens communs en cas de décès ou de divorce;
  • renforcer la sécurité juridique attachée aux partenariats enregistrés revêtant une dimension internationale, les avoirs relevant d'un partenariat enregistré étant en principe régis par le droit du pays où ce partenariat a été enregistré;
  • offrir une plus grande sécurité juridique aux couples nationaux (qu'ils soient mariés ou engagés dans un partenariat enregistré) en établissant un ensemble cohérent de règles permettant de déterminer la juridiction compétente et le droit applicable, sur la base d'une hiérarchie de critères de rattachement objectifs;
  • améliorer la prévisibilité pour les couples internationaux en simplifiant la procédure de reconnaissance des jugements, décisions et actes dans l'ensemble de l'Union en offrant aux couples la possibilité de joindre plusieurs actions en justice dans le cadre d'une seule procédure devant un tribunal, par exemple en engageant conjointement une procédure de divorce ou de séparation et une procédure relative à des questions patrimoniales devant une seule juridiction.

Accord et désaccords du Parlement européen sur le règlement visant les partenariats enregistrés ("régime patrimonial")

La rapporteure, Alexandra Thein, a exprimé son "accord avec la Commission lorsqu'elle considère qu'il est indispensable de légiférer et que la situation juridique des couples concernés pourrait être sensiblement améliorée. L'institution du partenariat enregistré est en plein essor, la mobilité des citoyens en Europe augmente et, par conséquent, le nombre de personnes concernées est appelé à s'accroître."

Mais elle a été mandatée par la commission des affaires juridiques (JURI) et celle des libertés et droits civils (LIBE) pour demander que la proposition de la Commission soit remaniée sur certains points.

Elle a ainsi estimé qu'un traitement séparé des mariages et des partenariats enregistrés n'est pas nécessaire et s'est dans un premier temps opposée « à ce qui constitue la principale différence entre les deux propositions: l'absence, dans la proposition relative aux partenariats enregistrés, de la possibilité de choisir la loi applicable et la juridiction compétente ».

Mais plutôt que d’insister sur une question qu’elle a fini par juger comme étant "en fin de compte technique", elle propose "des réglementations parallèles, qui lui semblent opportunes pour des raisons politiques".

Pour elle, "la principale pierre d'achoppement réside dans le fait que la proposition n'autorise pas les membres d'un partenariat enregistré à choisir la loi qui leur est applicable". La Commission a fait état de la diversité entre les législations nationales des États membres pour justifier l'application de la loi de l'État d'enregistrement du partenariat et soutenu que cette position est conforme aux dispositions pertinentes des États membres, qui prévoient d'une manière générale l'application de la loi de l'État d'enregistrement du partenariat et n'accordent aucune autre possibilité de choix de la loi, même si elles autorisent la conclusion d'accords.

Alexandra Thein, qui craignait que la proposition puisse être incompatible avec le principe d'égalité inscrit à l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec le principe de non-discrimination inscrit à son article 21,avait obtenu que le Parlement européen sollicite de l'Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) un avis sur la question. Dans son avis, la FRA conclut que les explications et motifs avancés par la Commission ne sont pas suffisants.

Alexandra Thein a donc proposé une disposition qui offre aux partenariats enregistrés la possibilité de choisir la loi applicable pour leurs effets patrimoniaux et qui s'aligne très largement sur celles applicables au régime matrimonial. Elle ne s'en éloigne que pour remédier aux problèmes qui pourraient survenir, pour les partenariats enregistrés, dans le choix de la loi applicable, par exemple si les partenaires devaient choisir une loi dans laquelle le partenariat enregistré n'est pas prévu. Le problème peut être résolu en limitant les effets du choix de la loi applicable. La disposition proposée rendrait invalide un choix "à vide", imposant alors le rattachement objectif.

Autres remaniements : une obligation de conseil est instaurée ; une disposition, équivalente à celle applicable aux régimes matrimoniaux, sur le choix de la juridiction, lié à celui de la loi applicable ; l’extension aux partenariats enregistrés de solutions pertinentes avancées pour les régimes matrimoniaux, comme l’intégration des nouvelles dispositions relatives au patrimoine dans le cadre d'autres actes de l'Union, notamment le règlement relatif aux successions et le règlement Bruxelles I.

Alexandra Thein a par contre estimé qu’il ne fallait pas modifier le dispositif progressif concernant la compétence judiciaire prévu par la Commission, « compte tenu de la diversité des positions des États membres vis-à-vis des partenariats enregistrés ». Pour les États membres qui ne connaissent pas le partenariat enregistré, la proposition de la Commission prévoit que leurs juridictions nationales peuvent décliner leur compétence. Mais si une juridiction ne choisit pas cette option, elle ne peut rejeter d'une manière générale l'application d'un droit étranger relatif au partenariat en se prévalant de l'ordre public. Même si l'on peut considérer que cette possibilité de déclaration d'incompétence, absente du règlement sur les régimes matrimoniaux, est porteuse d'éventuelles discriminations, Alexandra Thein a jugé "irréaliste de proposer, à ce jour, une harmonisation totale en la matière. Cela risquerait de heurter les États membres qui ne connaissent pas l'institution du partenariat enregistré." Or, il faut l’unanimité au Conseil pour que les deux règlements soient acceptés.

Accord et désaccords du Parlement européen sur le règlement visant les règles applicables aux couples mariés ("régime matrimonial")

Alexandra Thein a salué, "sur son principe", la proposition de la Commission relative aux régimes matrimoniaux, "la situation juridique des couples concernés étant susceptible de grandes améliorations", et cela d’autant plus qu’avec l'accroissement de la mobilité, le nombre de couples internationaux va encore augmenter. Elle a néanmoins présenté une série d'amendements pour préciser le champ d'application du règlement, comme l’inclusion des "aspects personnels du mariage" ou des "libéralités", dans la mesure où les donations mixtes, les cessions à titre partiellement onéreux et les donations entre époux le sont aussi. La délimitation d'avec le droit successoral est précisée et l'exclusion des questions régies par le droit des sociétés est inspirée du règlement relatif au droit successoral. Elle a aussi proposé d'exclure du champ d'application, du fait de sa complexité, la répartition compensatoire des droits à pension entre époux prévue par le droit allemand, de même que les dispositions similaires éventuellement en vigueur dans d'autres États membres.

La rapporteure s’est inspirée sur les points relatifs au droit des biens du règlement relatif au droit successoral et le nombre limité de droits réels que connaît le droit national de certains États membres, qui ne doit pas être remis en question, devrait être exclu du champ d'application, de même que les questions concernant l'inscription de droits, exigences et effets qui relèvent de la lex rei sitae. De la même manière, pour les propositions relatives à l'adaptation des droits réels, nous nous conformons strictement au règlement relatif au droit successoral. À cet égard, les régimes matrimoniaux et le droit successoral présentent des besoins tout à fait similaires. Dans un cas comme dans l'autre, on peut en effet concevoir que, à l'occasion de la liquidation du patrimoine commun, soit revendiqué un droit réel dans un État membre, qui ne le connaît pas. Il semble opportun d'adopter, en matière de régime matrimonial, le compromis trouvé en droit successoral.

Alexandra Thein s’est particulièrement réjouie du fait "la proposition reste neutre quant à la notion de 'mariage', celle-ci englobant, dans certains États membres, non seulement les couples hétérosexuels mais aussi les couples homosexuels." D’où sa proposition de reformuler le considérant concerné de façon à préciser davantage ce point. Dans son intervention devant la plénière, elle a fait état des discussions informelles avec des Etats membres comme la Pologne, le Danemark, Chypre ou la Lituanie qui ont conduit à cette approche, de sorte que la nouvelle législation ne signifiera pas que le droit matériel de la famille de certains Etats membres serait changé "par la porte de derrière". Dans son intervention, elle a aussi regretté que le Royaume Uni ait fait une opt-out et que les nombreux couples internationaux sur son territoire doivent donc se diriger vers d’autres juridictions.

Elle a aussi salué les principes, avancés par la Commission, d'unité de la loi applicable et de caractère universel de la règle de conflit de lois. En ce qui concerne la définition de la portée de la loi applicable, elle a proposé une liste positive qui, comme dans le règlement relatif aux successions, énumère, à titre d'exemples, des questions qui, en application du règlement, relèvent de la loi applicable. Elle répond ainsi à un souhait maintes fois exprimé sur le terrain et facilite l'application.

Quant à la reconnaissance, la force exécutoire et l’exécution des arrêts d’une cour, Alexandra Thein a proposé, compte tenu de la complexité des dossiers, de maintenir les procédures d'exequatur et par conséquent de reprendre les dispositions correspondantes du règlement relatif au droit successoral. Donc là aussi harmonisation avec le droit existant, car le certificat de succession n'ayant pas son équivalent dans le domaine des régimes matrimoniaux, il est d'autant plus utile de prévoir des dispositions appropriées et pragmatiques en matière de reconnaissance et de force exécutoire.

Le débat

Dans son intervention devant la plénière, la commissaire européenne en charge de la Justice, Viviane Reding, en charge du dossier, a salué les améliorations proposées par le Parlement concernant l’alignement de ses propositions aux règles de successions déjà en vigueur tout en annonçant quelques réserves qui devront encore être l’objet de négociations, notamment les questions d’exécution et la notion de "résidence habituelle". Comme la mobilité contraint les pouvoirs publics à renforcer la sécurité juridique du nombre croissant de couples internationaux, elle a exprimé l’espoir que le Conseil, qui devra décider à l’unanimité, tienne compte des implications pratiques importantes de la législation sur les régimes matrimoniaux et que les négociations puissent être conclues aussi vite que possible.

Les interventions des groupes politiques ont été presque toutes très positives. Le député polonais conservateur Tadeusz Zwiefka (PPE) a même salué une proposition qui ne constitue pas pour lui une intervention dans les lois nationales régissant les régimes matrimoniaux et qui ne prévoit aucune contrainte de reconnaissance de ce qu’un Etat membre ne veut pas reconnaître, de sorte qu’il s’attend à ce que "le Conseil sera peut-être sage". Sa collègue Lena Kolarska-Bobińska (PPE) a quant à elle salué le fait que le Parlement européen soit à l’écoute de son temps et que la mise sur un point d’égalité du mariage et des partenariats enregistrés au niveau européen devrait avoir un impact sur son pays, la Pologne, particulièrement rétive sur cette question, et conduire à des réformes, surtout en ce qui concerne les partenariats enregistrés.

L’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling, la doyenne du Parlement européen, est intervenue pour narrer comment dans les années 60’, à l’époque de la Commission Hallstein, elle avait demandé l’harmonisation des régimes matrimoniaux au nom d’organisations de femmes, une Commission qui s’était déclarée à l’époque non compétente. Sa première sortie en faveur de l’harmonisation des divorces et des droits à la pension au niveau européen, pour contrer le "forum shopping", remonte aux années 90’, mais il a fallu attendre que Viviane Reding prenne l’initiative en mars 2011.