Certes, "la pollution de l’eau par les nitrates a diminué en Europe au cours des deux dernières décennies, mais la pression exercée par le secteur agricole met toujours en danger les ressources en eau", souligne la Commission européenne dans un communiqué de presse diffusé le 18 octobre 2013, suite à la publication de son deuxième rapport sur la mise en œuvre de la directive "Nitrates".
"La pollution par les nitrates et l’eutrophisation ‑ croissance excessive des mauvaises herbes et des algues qui étouffe la vie dans les cours d’eau et les mers ‑ posent encore problème dans de nombreux États membres", regrette la Commission qui en conclut qu’il faudra recourir à des actions supplémentaires. "Il reste énormément à faire pour que les eaux européennes soient dans un bon état d'ici à 2015", objectif énoncé par la directive-cadre sur l'eau, a déclaré le commissaire européen en charge de l’Environnement, Janez Potočnik. "Il faut gérer le cycle des nutriments de manière plus durable et plus efficace sur le plan des ressources. Les engrais, en particulier, doivent être utilisés plus efficacement."
La directive Nitrates, entrée en vigueur en 1992, vise à promouvoir les bonnes pratiques agricoles en Europe en réduisant la pollution de l’eau par les nitrates à partir de sources agricoles, et notamment des effluents d’élevage, de porcins, de bovins et de volailles, ainsi que de la fertilisation des cultures. Encore récemment, le Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe a souligné qu’elle restait un élément central dans la poursuite des objectifs de la directive-cadre sur l'eau.
Selon cette directive, les États membres doivent dresser une liste de zones vulnérables, c’est-à-dire des zones qui sont sources de pollution pour les eaux ou des zones qui sont susceptibles de l’être si aucune mesure n’est prise. La liste est à réviser au moins tous les quatre ans, sur la base des résultats de la surveillance des eaux. Un programme d’action doit permettre d’éliminer ou d’empêcher la pollution dans chaque zone vulnérable. Les Etats membres peuvent néanmoins aussi décider de se passer d’une telle liste et d’appliquer leur programme d’action sur l’ensemble de leur territoire.
Les programmes d’action doivent comprendre au minimum des périodes d’interdiction de pratiquer l’épandage d’engrais minéraux et organiques, la définition d’une capacité de stockage minimale requise des effluents d’élevage, ainsi que la limitation de l’épandage de fertilisants et de l’épandage près des cours d’eau et sur les sols en pente.
Le 29 juin 2010, le Luxembourg avait été condamné par la Cour de justice de l'Union européenne pour transposition incorrecte des articles 4 et 5 de la directive Nitrates, portant sur la nécessité d'adopter des programmes d'action pour les zones qui sont vulnérables à la pollution par les nitrates. Il avait adopté un premier plan d’action, pour l’ensemble de son territoire, en 2000, en même temps d’ailleurs qu’un Code de bonnes conduites agricoles imposé par la directive. Mais il n’avait révisé son programme qu’en 2010 suite à cette condamnation. Le Luxembourg fait désormais partie des 23 États membres qui ont adopté, ou révisé, leur programme d’action pendant la période 2008-2011.
Néanmoins, le rapport constate de profondes différences entre les Etats membres, dans leur avancement dans l’application de la directive. "Pour les États membres ayant récemment révisé leurs programmes d’action, les retombées des nouvelles mesures deviendront de plus en plus visibles dans les années à avenir", souligne le rapport. Par contre, dans les autres Etats membres, dont le programme n’a pas encore été révisé ou qui dispose d’un nouveau programme, les progrès sont moins évidents. Le rapport donne pour exemples la France et l’Italie qui appliquent leur programme d’action à de trop petites parties de territoire mais aussi le Luxembourg qui est, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, montré du doigt pour les exceptions que ces Etats prévoient aux périodes d’interdiction d’épandage.
"La qualité générale des programmes d’action s’est améliorée, grâce à l’inclusion de mesures plus strictes, à l’amélioration des méthodes de fertilisation et au renforcement du caractère exécutoire", dit le rapport.
Pour ce qui concerne le Luxembourg, "dernière révision", réalisée en 2012, "a apporté des changements dans les périodes d’interdiction de l’épandage de fertilisants sur les terrains en pente et les exigences relatives aux capacités de stockage", lit-on dans la fiche explicative spécifique à chaque pays, présentée dans le document de travail de la Commission.
"Une réduction de l’utilisation des fertilisants minéraux a été observée, ainsi qu'une augmentation dans l’usage de plans de fertilisation et une augmentation de la capacité totale de stockage. D’autres aspects, comme la rotation des cultures et les analyses de sol, ont également été développés", dit la fiche. "En ce qui concerne les contrôles, une violation des règlementations a été constatée dans 34 % des cas. La majorité de ces violations étaient liées aux standards d’applications d’azote ou au volume maximal d’azote organique permis par année et par hectare."
Le rapport publié par la Commission européenne s’appuie sur les rapports fournis par les Etats membres au sujet des codes de bonne pratique agricole, des résultats de la surveillance des eaux ainsi que sur les aspects importants des programmes d’action établis pour les zones vulnérables aux nitrates, pour la période 2008–2011.
Un document de travail fournit par les services de la Commission européenne présente toutes les données, sous formes de cartes, tableaux et diagrammes relatifs aux indicateurs de pression des nutriments d’origine agricole, à la qualité de l’eau et aux zones vulnérables.
Le rapport constate une légère diminution des taux de concentration de nitrates "tant dans les eaux de surface que dans les eaux souterraines, tandis que les pratiques agricoles durables sont plus répandues". Ainsi, les mesures nationales, telles que la fertilisation équilibrée et la gestion durable du fumier, qui visent à donner la quantité adéquate de substances nutritives aux cultures, continuent de s’améliorer.
Comme l’élevage forme "l’une des principales pressions agricoles sur l’environnement", le rapport s’intéresse au cheptel. "Les fortes concentrations d’animaux au niveau local ou régional font peser de lourdes menaces sur l’environnement, car la production d’effluents d’élevage est disproportionnée par rapport aux terres disponibles et aux besoins des cultures", lit-on.
Or, le rapport constate que les pressions exercées par l’agriculture ont diminué, "bien que de manière non uniforme", au cours de la période 2008-2011 par rapport à la période précédente 2004–2007, pour ce qui est du nombre de bovins, de porcins et d’ovins.
De manière générale, le bétail indique une légère baisse dans l’UE (-2 %), entre la période de référence 2004–2007 et la période 2008–2011. Les baisses les plus marquées sont survenues en Roumanie (- 20 %), à Malte (- 17 %) et en Bulgarie (- 13 %). Une hausse fut observée aux Pays-Bas (+ 6 %), en Pologne (+ 4 %) et en France (+ 4 %). Le Luxembourg n’arrive pas loin derrière ces trois derniers. Son cheptel a augmenté de 3 % entre ces deux périodes pour atteindre 188 000 têtes, comme on le découvre dans le rapport technique de la Commission.
Le bétail laitier a diminué de 5 % entre la période 2004–2007 et la période 2008–2011 dans l’UE. La baisse a été la plus importante, en termes relatifs, en Roumanie (-18 %). C’est au Luxembourg que l’augmentation la plus importante de l’UE a en revanche été observée, avec un taux en progression de 8 % (45 000 têtes), suivi des Pays-Bas (+4 %) et du Danemark (+3 %).
Les effectifs porcins ont baissé de 5 % dans l’UE-27 dans le même temps, avec notamment des baisses spectaculaires de 36 % en Slovaquie, 33 % en République tchèque, 28 % en Slovénie, 26 % en Bulgarie et 22 % en Pologne. La population porcine a le plus augmenté en Grèce (+ 10 %), aux Pays-Bas (+ 7 %) et au Luxembourg (+6 % à 91 000 têtes) et en Estonie (+ 3 %).
En ce qui concerne la volaille, les données d’Eurostat ne sont pas toutes disponibles. En moyenne, la pression exercée par la volaille reste inchangée mais avec des situations très diverses entre les Etats membres, de la Lettonie où la population a augmenté de 28 % à Chypre où elle a reculé de 21 %. Elle affiche une hausse de 6 % au Luxembourg (avec 90 000 unités comptabilisées en 2010).
Des variations tout aussi considérables sont également à observer dans les effectifs ovins, avec un retrait de 1 % au Luxembourg (8000 têtes).
Selon Eurostat et Fertilizers Europe, la consommation d’engrais minéraux azotés dans l’UE-27 a diminué de 6 % durant la période 2008–2010 par rapport à la période 2006–2007. Et elle s’est stabilisée depuis 2010. Le volume consommé annuellement atteint actuellement 11 millions de tonnes — soit près de 30 % de moins qu’il y a vingt-cinq ans, quand il a atteint son pic.
L’utilisation d’engrais phosphatés et potassiques s’établirait pour sa part à environ 2,5 millions de tonnes en 2010, soit près de 70 % de moins par rapport aux pics de la fin des années 80. Le Luxembourg fait partie des Etats membres qui n’ont pas fourni de données à ce sujet.
Selon le document de travail, durant la période 2008-2011, à étendues agricoles constantes, l’utilisation totale de nitrates provenant d’effluents d’élevage est restée stable par rapport à 2006-07 tandis que l’usage d’engrais minéraux azotés a reculé. Les rejets d’azote par l’agriculture ont reculé de 7 %.
"Tous les États membres n’ont pas fourni d’informations concernant les rejets d’azote dans l’environnement. Toutefois, d’après les données disponibles, les rejets ont diminué. L’agriculture reste la principale source à l’origine des rejets d’azote dans l’environnement, comme pour les périodes de référence précédentes."
La surveillance de la qualité de l’eau s’est améliorée, avec une augmentation du nombre total de stations de surveillance pour les eaux souterraines et les eaux superficielles. Le Luxembourg compte vingt stations pour les eaux souterraines et 16 pour les eaux superficielles.
"En ce qui concerne les eaux souterraines, c'est en Allemagne et à Malte que les problèmes sont les plus graves", annonce le communiqué de presse de la Commission européenne. Toutefois, le Luxembourg arrive juste derrière ces deux pays, en 25 e place. Ses résultats n’ont pas évolué entre les deux périodes de référence. Ils affichent toujours 15 % des stations de surveillance des eaux souterraines observant plus de 50 mg de nitrates par litre, 10 % entre 40 et 50 mg/L, 35 % entre 25 et 40 mg/L et seulement 40 % moins de 25 mg/L. Pour 62 % des stations du pays, la tendance dans les concentrations de nitrate est à l’augmentation, dans 21 % des cas elle est stable et dans 16 %, elle régresse.
A titre de comparaison, la moyenne européenne, atteint 14,4 % pour plus de 50 mg de nitrates par litre et 5,9 % pour la fourchette comprise entre 40 et 50 mg. Les plus faibles concentrations de nitrates ont été enregistrées en Finlande, en Suède, en Lettonie, en Lituanie et en Irlande.
Dans l’UE-27, les concentrations moyennes annuelles de nitrates ont affiché une tendance à la baisse pour 42,1 % de toutes les stations de surveillance des eaux douces, dont 12,1 % ont connu une forte tendance à la baisse.
"La qualité des eaux douces superficielles dans l’UE-27 s’est améliorée au cours de la période de référence actuelle, le pourcentage de stations dépassant 25 ou 50 mg de nitrates par litre a diminué par rapport à la période 2004–2007", se félicite la Commission europénne.
D’après les moyennes annuelles de l’ensemble des stations de surveillance signalées dans l’UE-27, 62,5 % se sont situées à moins de 10 mg de nitrates par litre, tandis que 2,4 % ont enregistré des concentrations comprises entre 40 et 50 mg par litre, contre 2,9 % dans la période précédente et 2,4 % ont dépassé 50 mg par litre, contre 3 % auparavant.
Les concentrations moyennes annuelles de nitrates les plus faibles ont été constatées en Finlande et en Suède, suivies par la Lituanie, le Portugal et les Pays-Bas, et les concentrations les plus élevées ont été enregistrées à Malte, au Royaume-Uni et en Belgique, où une forte proportion de stations a dépassé 40 mg de nitrates par litre.
Le Luxembourg ne dispose pas de station ayant connu des niveaux supérieurs à 40 mg/L. Mais dans le diagramme publié par les services de la Commission, il prend la dernière position en raison du petit nombre de ses stations se situant à moins de 10 mg / L.
Pour la période 2008-2011, il est le seul pays à n’afficher aucune station avec des eaux contenant moins de 2 mg par litre et seules 6,7 % (contre 6,3 % dans la période 2004-07) de ses eaux affichant moins de 10 mg/L (contre 42,2 % au Royaume-Uni, 42,9% à Malte et 33 % en Belgique par exemple).
L’état trophique - à savoir à quel point les eaux abritent une croissance excessive de mauvaises herbes et d’algues qui étouffent la vie dans l’eau ‑ a été évalué de manière très différente d’un État membre à l’autre. Certains États membres n’ont par ailleurs pas fourni de données ou alors incomplètes en ce qui concerne l’eutrophisation des rivières (Allemagne, Danemark, France, Chypre, Malte, Roumanie et Royaume-Uni) et des lacs (Chypre, République tchèque, France, Luxembourg, Malte et Royaume-Uni).
Pour cette raison, " aucune conclusion ne peut être tirée en ce qui concerne l’évolution de l’état trophique", prévient le rapport.
Sur l’ensemble des stations de surveillance des cours d’eau signalées dans l’UE-27, 16,3 % et 6,3 % se sont classées respectivement dans la catégorie "eutrophes" (riches en nutriments et donc sources d’eutrophisation) et "hypertrophes" (trop riche en nutriments), tandis que 35,4 % et 20,6 % se sont classées dans la catégorie "oligotrophes" (pauvres en nutriments) et "ultra-oligotrophes". Le pourcentage le plus élevé de stations ultraoligotrophes pour ce qui est des cours d’eau a été constaté en Espagne, suivie par la Bulgarie et la Slovénie, tandis que le pourcentage le plus élevé de stations hypertrophes a été constaté en Belgique et aux Pays-Bas, suivis par la République tchèque et la Finlande. Le Luxembourg se classe toutefois lui aussi parmi les mauvais élèves avec un taux de 87,5 % de ses rivières qui sont eutrophiques.
"D’une manière générale, l’état trophique des cours d’eau est meilleur que celui des lacs", lit-on dans le rapport. En effet, en Europe, près de quatre lacs sur dix souffrent d’eutrophisation, les eaux douces des Pays-Bas étant les plus fortement touchées, avec un taux atteignant 100 %.
Sur l’ensemble des stations de surveillance des lacs signalées dans l’UE-27, 24,1 % et 12,7 % se sont classées respectivement dans la catégorie "eutrophes" et "hypertrophes", tandis que 36,6 % et 2,4 % se sont classées respectivement dans la catégorie "oligotrophes" ou "ultra-oligotrophes".
Le pourcentage le plus élevé de stations ultra-oligotrophes pour ce qui est des lacs a été constaté en Lettonie, suivie par l’Espagne, tandis que le pourcentage le plus élevé de stations eutrophes ou hypertrophes a été constaté aux Pays-Bas, suivis par le Danemark et la Slovaquie.
'Dans de nombreuses régions d’Europe, les eaux de transition, les eaux côtières et les eaux marines restent eutrophes (mer Baltique et son littoral, mer Noire, certaines parties du littoral de la mer du Nord et du littoral méditerranéen)", signale par ailleurs le rapport.
Le rapport fait enfin le compte des défis à relever. Il note notamment le peu d’égard qu’ont suscité jusqu’à présent des secteurs comme celui de la production horticole, secteur dans lequel "les agriculteurs ne sont toujours pas suffisamment encouragés à diminuer l’utilisation des engrais à base de nitrates", dit le rapport.
Le rapport distingue trois autres "domaines délicats", à savoir "les nouvelles cultures énergétiques", le secteur de la production de biogaz (notamment en Allemagne) et l’intensification de la production animale, "dans lesquels des mesures renforcées devront être prises", souligne la Commission européenne.
Etant donné que les rendements laitiers augmentent dans certains États membres, "il sera nécessaire d’ajuster les coefficients de production d’effluents d’élevage par vache laitière", dit le rapport, se satisfaisant par ailleurs que certains régimes alimentaires utilisés pour les non-ruminants se soient améliorés sur le plan de la teneur en protéines alimentaires et en phosphate.
Enfin, à contre-courant, il reste des "zones critiques" "où les progrès se font attendre et qui devront recevoir une attention accrue à l’avenir, en particulier en ce qui concerne les mesures définies dans les programmes d’action", souligne le rapport. Ces zones sont justement liées à la production horticole ou à l’élevage intensifs, mais d’autres le sont aussi en raison des sols et des formations géologiques. La Commission annonce qu’elle sera "à l’avenir particulièrement vigilante" sur l’adoption de ces mesures supplémentaires.